L'Algérie va célébrer dans moins d'une semaine le 38e anniversaire du Printemps berbère de 1980 et le 17e anniversaire du printemps noir de 2001. Une occasion pour faire une halte sur les acquis de la cause amazigh depuis le 10 mars 1980, jour où une conférence sur la poésie kabyle que devait animer le défunt Mouloud Mammeri à Tizi Ouzou a été interdite. L'interdiction de cette conférence a été à l'origine du Printemps berbère du 20 avril 1980 et la revendication identitaire avait pris des proportions jamais égalées. Depuis, un long parcours est fait, jalonné de plusieurs acquis grâce aux sacrifices de générations entières de militants, mais aussi des populations mobilisés autour de la cause. La reconnaissance de tamazight comme langue nationale en 2002, dans le sillage des douloureux évènements du printemps noir où 127 jeunes ont été tués pour son officialisation en 2016, l'inscription de Yennayer dans la nomenclature des journées nationales et la création prochaine de l'Académie de langue amazigh ainsi que son enseignement dans plusieurs wilayas du pays sont tous des acquis, mais qui ne suffisent pas à redonner à tamazight sa place naturelle dans la nation. Beaucoup reste en effet à faire. A côté des appels à des marches populaires pour célébrer l'évènement, des acteurs du Printemps berbère du 20 avril 1980 dont certains sont parmi les 24 détenus, se sont exprimés ces derniers jours dans des tribunes publiées dans la presse nationale, sur la question abordant les acquis mais aussi les défis. Il s'agit notamment d'Ali Brahimi, ancien cadre du RCD, ancien député et ancien détenu, et de Mouloud Lounaouci, doctorant en socio-linguistique, titulaire d'un magistère en langue et culture amazighes et ancien détenu de 1980. Ali Brahimi propose une loi-cadre qui devrait précéder l'académie et qui «doit consacrer et projeter dans un plan court, moyen et long terme la mise en œuvre progressive et graduelle, modestement et de manière réaliste, des caractères obligatoire et général de l'enseignement de tamazight en territoires linguistiques berbérophones et pour les amazighophones vivant hors de ces territoires». «Légiférer sur ce caractère obligatoire pour les amazighophones n'est pas contradictoire avec sa mise en œuvre progressive. C'est une preuve d'une volonté réelle des pouvoirs publics. Il faut également revoir les maigres volumes horaires, les classes tardives de l'introduction de tamazight et les discontinuités de cet enseignement et poser d'ores et déjà les jalons d'un enseignement dans la langue», a-t-il écrit. Il ajoute que la loi organique cadre doit énoncer cette nouvelle politique linguistique, ainsi que les contenus de l'enseignement et de l'officialisation de la langue amazighe et les règles générales de son aménagement, les moyens humains, financiers, matériels et institutionnels qu'il appartient à l'Etat de rendre disponibles pour compenser son long et injuste déni. Un Haut Conseil pour Tamazight Un point partagé par Mouloud Lounaouci qui soutient que la valorisation de tamazight ne deviendra réalité que si son enseignement est obligatoire. «Mais, pour éviter des conflits inutiles, il serait bon que cette obligation ne s'applique, dans un premier temps, que dans les régions amazighophones», a-t-il défendu. «La valorisation de la langue amazighe passe par la construction d'une langue standardisée, fonctionnelle et socialement acceptée par les locuteurs. Il y a donc à définir une norme consensuelle, médiane, accessible et perméable à tous, qui puisse préserver la clarté de l'idiome. Cette construction ne peut se faire qu'après plusieurs étapes notamment en autonomisant les dialectes dans un premier temps tout en recherchant les «zones de convergence», a-t-il écrit, citant le chercheur Salem Chaker. Deux ou trois générations sont donc nécessaires pour aboutir à un amazigh unifié accepté par tous, estime-t-il. Pour ce qui est de l'académie, Ali Brahimi estime qu'elle pose les problèmes de son statut juridique et politique, de sa composition et de ses missions scientifiques et académiques. Il plaide pour son autonomie politique et financière, sa décentralisation et sa composition par des compétences indépendantes connues et reconnues de la scène scientifique élues parmi le potentiel académique de langue amazighe. Il plaide aussi pour un Haut Conseil composé de personnes choisies parmi les acteurs politiques et culturels de l'amazighité qui a toute sa place pour vulgariser et massifier le travail de l'académie et prendre en charge tous les autres aspects qui ne relèvent pas de ses missions, comme la politique du livre, l'édition, les différents arts amazighs, le recueil des traditions populaires, l'histoire, les TIC en tamazight, les médias, le cinéma, l'alphabétisation des illettrés en tamazight...