La 3G arrive et Moha ne sait toujours pas ce qu'est la 3G. Moha reconnaît volontiers qu'il a été un cancre. En plus, il ajoute toujours, dans un rire bruyant et interminable : depuis, ça n'a pas changé ! Pourtant, beaucoup de ses proches lui disent qu'il n'est pas si cancre que ça. Il y en a même qui prétendent que Moha fait le… malin en faisant croire aux gens qu'il n'a rien dans la tête. Leur argument est simple : reconnaître son manque d'intelligence est une forme d'intelligence. C'est trop compliqué pour Moha évidemment et il le dit entre deux questions. Plutôt une question posée à deux individus différents, à moins qu'elle ne soit posée à deux reprises à la même personne : c'est quoi la 3G ? Beaucoup de ceux qui lui font volontiers la leçon sur les «nouvelles technologies de la communication» en riant en coin pour faire les érudits ne comprennent pas plus que Moha. Mais eux n'ont pas été des cancres. Pire, ils étaient de bons élèves et ils ont réussi tous leurs examens ! Il paraît qu'ils sont plus dangereux, parce qu'ils deviennent des… profs et les élèves doivent les écouter. Ils croient alors qu'ils sont de mauvais élèves alors qu'ils ont tout simplement de mauvais profs. Moha ne sait pas s'il a eu ou non de bons profs. Il n'a pas besoin de s'en souvenir puisque de toute façon le résultat n'est pas très brillant. Sinon, il comprendrait au moins ce qu'est cette 3G dont tout le monde parle. Les gens, les «un peu plus que les gens», quelques ministres, deux opérateurs, la télévision, certains murs d'enceinte et beaucoup de panneaux sur l'autoroute. Il paraît que l'Algérie est en retard dans ces trucs là. Du coup, Moha a ressenti tout de même une certaine fierté. Vous vous rendez compte, il est au même niveau que son pays. Le problème est que ce n'est pas vraiment le cas. Moha ne comprend même pas la 2G ni même la 1G. Il ne sait toujours pas comment le téléphone est devenu une génération. Et puis, si l'Algérie veut absolument passer à la 3G, c'est qu'elle a vraiment tout compris aux précédentes, ce qui est loin d'être le cas de Moha. Il était personnellement fier de cette proximité de niveau mais au fond de lui-même, il éprouvait une certaine inquiétude que son pays en soit arrivé là, presque au même niveau que lui. Déjà bien malmené quand il avait entendu dire que la Mauritanie avait la 3G et que le Sénégal s'occupait déjà de la 4G, le voilà carrément effondré maintenant. Et il n'était pas au bout de ses surprises, Moha. Parce que ça parle beaucoup de la 3G, ces derniers temps. Et quand ça parle de la 3G, ça déborde sur autre chose et ça balance. Parce qu'il n'y a finalement pas grand-chose à dire sur la question. Ça fait longtemps que l'Algérie aurait dû avoir la 3G et elle ne l'a pas eue en raison de l'incurie. Il paraît aussi que c'est politique. Personne n'a expliqué à Moha en ce qu'est l'incurie et en quoi le fait de ne pas avoir la 3G peut être politique. Mais ce n'est pas grave. Personne n'a réussi à lui expliquer à quoi sert la 3G et ce qu'elle va changer dans sa vie. Mieux téléphoner ? Moha ne téléphone pas beaucoup mais il pense qu'il téléphone plutôt bien. On lui a aussi dit qu'il va recevoir plus rapidement les images, il ne reçoit jamais d'image. On lui a enfin expliqué qu'il aura un meilleur débit internet, il n'a jamais eu de connexion internet. Quand il a pensé qu'il y a une 4G à venir et que nous allons l'avoir bien après la Mauritanie, il n'avait plus aucune inquiétude. Avec un tel retard, on ne peut plus rattraper quelqu'un. Alors on essaie seulement d'arriver à la 3 quand d'autres sont depuis longtemps à la 4 et ainsi de suite. Il a finalement tout compris, Moha le cancre. Slimane Laouari
