Vous connaissez le mildiou ? Non, les Algériens qui en ont entendu parler ne doivent vraiment pas être nombreux à pouvoir mettre quelque chose sur le mot. Les autres, même quand on aura un mal fou à le leur expliquer, ne pourront pas le retenir. Sinon en adoptant un terme général ou générique de «maladie de la pomme de terre». Il y en a même qui ouvriront des yeux aussi grands que s'ils venaient de découvrir un chameau dans leur chambre à coucher : «Ah, parce que la pomme de terre a une maladie ?» Oui, la patate a une maladie. Ce serait même trop beau qu'elle n'en ait qu'une seule, mais en l'occurrence, elle s'appelle le mildiou. D'après Hadj Google qui, une fois n'est pas coutume, nous complique un peu l'existence, «le mildiou de la pomme de terre est une maladie cryptogamique causée par oomycète de la famille perenosporaceae, phytophthora infestans, micro-organisme eucaryote précédemment considéré comme un champignon. Répandue dans le monde entier, cette maladie est le principal ennemi des cultures de pomme de terre, et fut responsable de la grande famine européenne des années 1840 qui frappa particulièrement la région écossaise des Highlands. Cette espèce affecte également les cultures de tomates…» Ouf ! Avec une telle explication savantissime doublée d'une leçon d'histoire sur la famine dans l'Europe du dix- neuvième siècle, ceux qui ne savaient pas ce qu'est le mildiou ne le savent toujours pas, mais ils auront compris que ça concerne la pomme de terre. Et quand il s'agit de pomme de terre, on comprend toujours. Parce que si le tubercule venait à disparaître des étals, ce ne serait pas l'histoire mais le présent qui serait à l'ordre du jour. Pour faire plus simple, la famine de 1840 sera la famine de 2014. Bien sûr, on pourra toujours dire qu'il y a une vie sans pomme de terre, mais elle est tellement invraisemblable qu'il est difficile de l'imaginer. Parce que la faim en 1840, ce n'est pas vraiment la faim de 2014. Personne n'est mort parce qu'il ne peut pas manger de frites, de purée ou de pommes boulangères, mais il y a des douleurs insupportables avant la mort, au vingt et unième siècle, dans un pays riche. Tellement riche qu'il subventionne le pain, le lait et… l'huile. Ça tombe bien, parce que pour faire des frites, il faut de l'huile. Mais on ne peut pas faire des frites sans pommes de terre, et aux dernières informations en provenance de Aïn Defla, il y a péril sur le tubercule en raison du mildiou. On peut ne pas connaître la maladie cryptogamique de la pomme de terre, mais il est difficile de ne pas savoir que c'est de Aïn Defla et ses prolongements dans l'oued Cheliff que provient une grosse part de la production de pomme de terre. Pourtant, ce n'est pas évident, dans la tête de tout le monde - enfin, presque tout le monde - Mascara étant toujours le pays mythique de la pomme de terre avant de devenir celui des blagues sympathiques. Pour l'heure, les services agricoles font ce qu'ils peuvent. «Un réseau de surveillance a été mis en place conjointement par les services de l'Institut national de protection des végétaux de Chlef et les services agricoles de la wilaya de Aïn Defla», d'après le collègue local qui nous apprend également que «les conditions climatiques actuelles sont favorables à la prolifération de la bactérie en raison des fortes précipitations dans la région, suivies d'une forte chaleur inhabituelle». Comme quoi, l'alternance de la pluie et du soleil ne sont pas toujours un facteur de fertilité. On l'aura appris grâce au mildiou, qu'on… ne connaissait pas ! Slimane Laouari