A «la grande», la plage principale de la Madrague, on a fait les choses en grand pour annoncer que «la plage est réservée aux familles». Ceux qui ont collé les affichettes tout au long de la murette qui sépare le sable du bitume ont vraiment dû avoir une peur bleue que personne ne la voie, tellement ils en ont mis. C'est que le message contenu dans l'écriteau va au-delà de ses apparences informatives. Non seulement il annonce expressément son caractère dissuasif, un peu trop véhément pour être bienveillant, mais il cache à peine sa nature… militante ! Pourtant, ce sont bien des agents communaux qui ont été à la tâche. Enfin, «pourtant», ça fait trop longtemps que la distinction entre l'action rédemptrice de l'islamisme ordinaire et celle des services de l'Etat est devenue difficile à faire pour faire semblant de s'en effaroucher. Pour se le rappeler, des fois qu'on l'aurait oublié, il aurait peut-être suffi de se rendre compte que c'est Ammar Ghoul, le nouveau ministre du Tourisme. Et c'est lui qui, pour annoncer la couleur, dans la foulée de l'ouverture de la saison estivale, que «la plage est un espace familial». C'était censé nous «rassurer», parce que dans la foulée aussi, il était aussi question de «sécurité». Et la plage étant… familiale, il n'est pas besoin qu'on nous fasse un dessin pour comprendre de quelle sécurité il s'agit. Les petits larcins et les petites agressions ordinaires n'étant pas vraiment ce qui est le plus redouté sur les sables dorés, tous les Algériens qui peuvent encore avoir l'illusion que la plage est un espace de détente et de liberté sont avertis : ils n'y ont pas leur place. Sinon, ils auraient quand même eu droit à un mot qui puisse les rassurer. Que les préposés à la sécurité s'occupent (aussi) des traqueurs de maillots de bain, de chasseurs de câlins, de «régulateurs» de musique et de prêcheurs sur sable. Et pourquoi pas, puisqu'il n'est pas interdit de rêver, empêcher de se baigner tous ceux et toutes celles qui ne sont pas en… tenue de plage ! Sinon, nous sommes habitués à être rassurés là où nous n'avons pas peur. On a fermé des bars qui font partie du décor intégré dans des quartiers où la drogue et l'invective islamiste terrorisent les habitants. On a été complaisant, voire bienveillant, avec des contestations «citoyennes» qui veulent moraliser leur localité quand la localité en question est livrée à la prédation et à l'hégémonie intégriste. On a «nettoyé» des espaces publics des «bras dessus bras dessous» quand on espérait qu'ils soient nettoyés des agresseurs de jeunes filles et des voleurs de vieilles grabataires. On a traqué et emprisonné des «casseurs de Ramadhan» là où on attendait qu'on en finisse avec les vrais et les faux terroristes spécialisés dans l'enlèvement d'entrepreneurs. Alors, quand on vient nous apprendre que la plage est un espace familial et qu'on le dise avec autant d'enthousiasme, il est difficile de le prendre autrement. Auquel cas, on se demanderait si les agents de sécurité procéderont à un contrôle d'identité à l'entrée, et le cas échéant exiger des livrets de famille. On se demanderait ce qu'est une «famille», si une femme ou un homme seul peuvent aller faire trempette… mais nous voilà quand même… rassurés.