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Entre conflits armés et dialogue
Syrie
Publié dans Le Temps d'Algérie le 24 - 08 - 2011

Mère Agnès-Mariam de la Croix (*), Supérieure du couvent de Saint Jacques l'Intercis, en Syrie, développe et complète ici ce qu'elle avait affirmé dans un précédent témoignage sur les évènements qui déchirent ce pays.
Le monastère Saint Jacques l'Intercis appartient à l'éparchie grecque melkite catholique de Homs, Hama et Yabroud. Il est situé 2 km à l'ouest du village de Qâra. Cet édifice du Ve siècle à l'histoire prestigieuse et mouvementée était une ruine lorsque nous entreprîmes de le restaurer en 1994.
Aujourd'hui il abrite une communauté d'une quinzaine de membres appartenant à huit nationalités différentes. Ce lieu est devenu un centre spirituel international qui accueille plus de 15 000 personnes par an de tous horizons dont le dixième y passe au moins une nuit… Notre communauté vient en aide à des personnes de tous bords, chrétiens et musulmans.
Nous le faisons à travers des microcrédits, un service-conseil quotidien qui n'exclut pas l'hébergement gratuit, un réseau local de relations publiques pour trouver des solutions à des problèmes qui nous dépassent. Actuellement nous essayons de suivre au jour le jour les souffrances de nos frères et sœurs confrontés soudainement à une situation sociale des plus difficiles et qui se dirige vers la précarité.
J'aimerais répéter que nous ne sommes pas engagés politiquement mais spirituellement, d'après les valeurs de l'Evangile. Solidaires avec nos frères syriens, toutes confessions confondues, sans négliger de militer pour les droits des minorités.
Dans un article précédent j'ai essayé de décrypter les événements qui frappent la Syrie. Publié sur le net par un site chrétien, cet article a été traduit en anglais, arabe et italien et repris sur des dizaines de sites aux tendances les plus diverses : d'informations catholiques, orientalistes, progressistes, antimondialistes, situés en France, Italie, Belgique, Suisse, Liban, Etats-Unis, Canada, Palestine, Syrie, Israël, Afrique du Nord et j'en passe.
D'aucuns ont désavoué mon témoignage. Ils ont récusé la possibilité que je dise vrai, parce que je m'écartais de l'opinion la plus courante. Un commentateur a conclu que mon article «déploie une argumentation politique si élaborée qu'il pourrait s'agir d'un faux».
C'est la première fois de ma vie que je me penche sur un tel sujet, aussi je trouve cette appréciation bien flatteuse. Un autre commentateur a écrit vingt pages pour remettre en cause chacune de mes assertions et en a pris prétexte pour s'en prendre avec une verve implacable,
tout à la fois à des sites antimondialistes et anti atlantistes (surtout le site Voltaire.net dont il assure à tort que je fais partie), à l'Eglise catholique, au Pape, à M. Sarkozy et aux services de renseignements français avec qui, affirme-t-il, je suis de connivence.
Si bien que tout le soin que j'avais apporté à fonder mon argumentation sur des sources précises n'a pas été prise en considération. En définitive j'ai bien noté qu'il est risqué de fournir une version différente de celle donnée par les pouvoirs médiatiques et politiques.
Assurément, on est mieux accepté si on utilise la langue de bois. Mais le faire n'est-ce pas verser dans l'hypocrisie ? Et se taire n'est-ce pas de l'absentéisme coupable ? En tous les cas, telle est notre option : être sincères car seule la vérité rend libre.
Comment informer lorsque la désinformation s'impose ? Il est impératif d'être bien renseignés sur une situation donnée pour pouvoir se positionner en conséquence. Sinon, comment accomplir notre devoir de personnes consacrées au service de l'Eglise dans ce pays ?
Or les sources principales d'information qui font autorité et jouissent d'un monopole absolu déforment l'information et nous induisent en erreur, instaurant un malentendu de taille.
C'est notre dilemme : la grande presse internationale jouit d'une telle crédibilité que tout témoignage qui la contredit est relativisé, y compris le nôtre qui s'appuie pourtant sur une expérience vécue. Si notre témoignage ne passe pas par les voies officielles de l'information , il est inaudible et quasi inutile.
Je l'ai expérimenté en transmettant à qui de droit la mise en garde que les chrétiens de Qâra avaient reçue dernièrement et que j'insère plus loin dans cet article, j'ai constaté que l'unique réaction a été : «Où est la vérité ?» Cette position timorée me rappelle un incident significatif.
Une de nos fondatrices subit jadis un malaise cardiaque et fut transportée à l'hôpital où l'électrocardiogramme n'enregistra aucune anomalie. Les médecins nous rassurèrent mais, à peine arrivée au monastère, elle eut une attaque fatale et succomba sous nos yeux.
Rappelé d'urgence, le médecin qui venait de la congédier brandissait l'électrocardiogramme pour assurer que la religieuse n'avait rien. Malgré l'information fournie par son appareil de contrôle, notre sœur est décédée… Je crains qu'à force d'être soumis à un système de désinformation, on ne se laisse berner jusqu'à un point de non retour.
La faute de la désinformation retombe, dit-on, sur le régime syrien qui empêche le libre accès des médias. C'est vrai. Mais faudrait-il pour cela punir la population et ne plus l'entendre en bloquant son témoignage et en refusant
de le diffuser ?
Car aujourd'hui en Syrie, pour être bien renseigné, il ne suffit plus de suivre les nouvelles servies par les chaînes satellitaires internationales. Est requise une synthèse qui s'appuie sur la comparaison entre une variété de sources parmi lesquelles les témoins oculaires ont un rôle privilégié. Nous l'avons constaté sans cesse : la réalité qui se vit ici est différente de ce que transmettent les médias.
Ces chaînes n'accompagnent pas l'évènement, elles le précèdent pour le provoquer. Heureusement, de plus en plus de gens accusent cette information de parti pris et de falsification. Nous encourageons nos lecteurs à être plus critiques à l'égard des médias.
Les versions des télévisions syriennes pro-régime s'accordent plus avec la réalité. Nous avons essayé de nous documenter en temps réel en téléphonant à des proches sur les lieux mêmes des incidents décrits : la situation ressemblait plus à ce qu'en disait la télévision syrienne qu'à celle propagée par Al Jazzirah, BBC ou France 24, Al Hurra ou Al Arabia à travers des montages et autres compilations audio-visuelles mensongères et de mauvaise qualité.
La théorisation qui paralyse
Si la désinformation dénature l'évènement et le fausse, la théorisation le relativise et le rend inconsistant : ce sont les péroraisons des théoriciens politiques ou éthiques de tout acabit qui nous étourdissent par des raisonnements émis à froid sur ce que devrait être la situation en Syrie, alors que le sang coule dans la rue et que le pire est à nos portes.
Que diriez-vous si, devant un feu qui embrase votre demeure, les volontaires du quartier s'attardaient à débattre sur les tenants et les aboutissants de la réforme sociale des sapeurs-pompiers et comment elle affecte la nature du feu qui est en passe de vous dévorer ?
Ou si, pour toute réaction devant votre fils assassiné de sang-froid, vos voisins se désintéressaient de vous parce que la presse n'a pas encore parlé de ce crime pour condamner celui qui l'a perpétré ? Les slogans faussement humanitaires anesthésient la conscience des auditeurs et favorisent le glissement vers une logique vindicative aveugle qui, somme toute, ne sert que la cause de l'injustice.
C'est par fidélité aux victimes, quelles qu'elles soient, que nous ne voulons pas théoriser. En vérité nous sommes scandalisés par la légèreté avec laquelle certains intellectuels ou autres personnes de référence abordent les évènements dramatiques en Syrie.
Croyant bien faire, ils ont une approche manichéenne qui s'aligne sur la vision de Leo Strauss propagée par les médias. D'après cette vision, il y aurait en Syrie d'un côté les «bons» personnifiés par l'opposition - prise en bloc - qui réclame la «démocratie». De l'autre côté il y aurait les «méchants» : c'est-à-dire le régime lui-même mais aussi la masse de ceux qui ne participent pas aux manifestations des «bons».
La victimisation de l'opposition la pousse à encourager la chute du régime par la force, sans se préoccuper de la recrudescence de la violence et des retombées de ce cycle mortifère sur une population déjà saignée à blanc. C'est la simplification du sujet qui rend plus facile la manipulation médiatique et contribue à favoriser le malentendu.
La situation, elle, est autrement complexe et délicate. Le but du présent article est d'informer à partir de ce que nous, nos parents, nos connaissances ou amis vivons en Syrie, au fil des évènements qui se recoupent et s'éclairent. Depuis mon dernier article, ces évènements m'ont donné raison, n'en déplaise à ceux qui m'ont critiquée.
Evolution de la situation en Syrie
Aujourd'hui il ne fait aucun doute qu'il y a ingérence étrangère, refusée fièrement par une partie de l'opposition. Aujourd'hui il ne fait aucun doute que l'opposition s'est muée en divers endroits en une insurrection armée qui commet des atrocités contre la population civile et contre les forces de l'ordre et l'armée. Enfin, aujourd'hui, l'exacerbation du clivage confessionnel est une triste réalité.
Ces trois facteurs convergent pour réanimer le spectre de l'affrontement interconfessionnel, voire de la guerre civile. J'aimerais m'arrêter sur ces points : Ingérence étrangère : l'impensable alliance entre les grandes puissances et des mouvements armés fondamentalistes.
Ahuris nous assistons à un stratagème destructeur : telles grandes puissances, à grand renfort d'endoctrinement médiatique, jouent sur la corde du fondamentalisme religieux pour mettre en relief les différences qui séparent alors que les points communs qui unissent sont bien plus nombreux.
La position de certains pays par rapport à la Syrie constitue pour nous un dépaysement surréaliste en regard du bon voisinage arabe et méditerranéen. Par exemple nous ne sommes pas habitués à une France belliqueuse, menant d'un bras de fer une incursion guerrière en Libye et marquant la rupture avec la Syrie. Ceci est culturellement inexplicable : que la France, qui sait découvrir et accueillir les cultures les plus variées, favorise l'extrémisme et ressuscite les vieux démons des clivages confessionnels.
D'ailleurs dans les prises de position de la France c'est le côté culturel qui a été sacrifié puisque les grands centres culturels français en Syrie comme l'IFEAD et l'IFPO ont été fermés. Même surprise désabusée avec les Etats-Unis. N'ont-ils pas envahi l'Afghanistan pour se défaire d'Al Qaeda ?
Comment pouvons-nous voir aujourd'hui les fondamentalistes les plus farouches proclamer leur sympathie et solliciter l'aide des Etats-Unis ? C'est le monde à l'envers.
La visite des ambassadeurs US et français à Hama a été vécue chez nous comme une démarche injustifiable. Cette ville est, bien sûr, le symbole d'une répression sanglante que personne n'approuve. Mais Hama est aussi le porte-flambeau de l'idéologie islamiste qui cherche à faire tomber les régimes nationalistes arabes au profit d'une transformation confessionnelle islamisante de l'espace politique. Que cherche l'Occident ? La liberté ou l'islamisme ? Ou est-ce la liberté donnée à l'islamisme ?
Or cet islamisme nous savons qu'il s'oppose comme l'onagre biblique autant aux musulmans modérés qu'aux non-musulmans. Pourquoi abonder dans son sens ?
On n'y comprend plus rien. Pourquoi les Occidentaux encouragent-ils une insurrection armée, confessionnelle et fondamentaliste de surcroît, qui risque de s'étendre comme une tache d'huile ? Aucune explication ne saurait légitimer une telle attitude.
Aussi, l'ingérence subversive des puissances occidentales ou arabes dans les affaires internes du pays est-elle vigoureusement dénoncée par les autorités religieuses. Le 16 juin, les évêques de Damas ont publié un communiqué déplorant cette ingérence et appelant à l'unité nationale et au dialogue. C'est aussi ce qui ressort de la lettre ouverte que le P.
Elie Zahlawi a adressée au Premier ministre français Alain Juppé le 30 juillet 2011. De son côté le Patriarche maronite Mar Béchara Boutros Raï a une lecture plus globale de la situation.
Il dénonce le «projet du Nouveau Moyen-Orient qui est à l'œuvre pour morceler le monde arabe dans le but qu'Israël vive en paix en en sécurité». D'après cette lecture, les évènements en Syrie sont mis à profit pour un remodelage géopolitique sur fond d'affrontement interconfessionnel.
Certains d'entre nous ont fait l'expérience de ces manipulations au Liban durant la guerre civile, expérience partagée par nos frères et sœurs irakiens, boutés hors de leur pays et présents par milliers à Damas. La tendance mondialiste qui prévaut, c'est de promouvoir le choc des civilisations pour asseoir la légitimité des regroupements ethniques ou confessionnels qui, à leur tour, légitiment l'existence d'Israël.
Opposition pacifique ou insurrection armée ?
La Syrie vit depuis des mois des coups d'Etat larvés car ce remodelage ne peut être instauré sans la force des armes. L'insurrection armée en Syrie est une tumeur inoculée qu'on cherche à faire crever un peu partout dans le pays au gré des clivages confessionnels ou tribaux, avec son cortège de haine, de vengeances, de victimes et de désastres socioéconomiques.
Cette situation ouvre la voie à la loi du plus fort et marginalise les justes réclamations des Syriens pour un changement sociopolitique rationnel et en profondeur. Elle est dénoncée autant par les Syriens de l'opposition que par ceux qui sont restés fidèles à ce que le régime a de sécurisant et qui sont, reconnaissons-le, l'immense majorité qui a joui d'une réelle stabilité civile.
En disant cela, je n'exonère pas le régime de ses responsabilités éthiques pour avoir été totalitaire et oppressif avec les dissidents ou pour avoir laissé proliférer la corruption et le clientélisme. Dans la plus récente de ses interviews, l'intellectuel syrien dissident Borhan Ghalioun, professeur à la Sorbonne, insiste sur le fait que «l'opposition rejette avec véhémence l'intervention militaire ou tout usage de la force, la sédition ou le sectarisme».
Le blog de Joshua Landis a enfin reconnu que l'opposition était devenue une insurrection armée, démentant les allégations des chaînes satellitaires selon lesquelles les soldats tués l'ont été par leurs pairs parce qu'ils refusaient de tirer sur les manifestants. Cette insurrection reçoit depuis plusieurs années des armes par les frontières très perméables avec le Liban, la Turquie, la Jordanie ou l'Irak.
Cette contrebande juteuse a joui de la permissivité des douaniers qui en profitaient. Aujourd'hui on le regrette vivement. Le 6 août, j'ai lu dans les journaux libanais que l'armée libanaise a intercepté une livraison de mille fusils à destination de la Syrie de la part de particuliers sunnites, basés à Beyrouth ouest, près du lieu où le Premier ministre Hariri a été assassiné.
Les personnes interpellées ont avoué qu'elles en étaient à leur trentième livraison de fusils : cela ferait, rien que pour ce poste de contrebande, trente mille fusils. La majorité des musulmans et des chrétiens syriens se sont d'abord tenus à l'écart du mouvement de contestation pour diverses raisons, puis ils l'ont boycotté, et enfin certains s'y sont opposés.
C'est face à la violence croissante des manifestants que les citoyens, à travers les comités populaires, se sont armés pour défendre leurs quartiers. Les manifestations ont eu très tôt un double visage :
un visage pacifiste de façade destiné à faire la vedette dans les médias à travers les vidéo-montages bricolés et autres messages pathétiques de (faux) témoins en retransmission audio, et un visage occulte anarchiste, où des activistes ou des agents infiltrés sont chargés de semer la pagaille et de provoquer la violence
. Vivre au jour le jour les revendications de certaines couches de la société syrienne peut donner une idée des «dessous» occultes que recouvrent les manifestations qui ont dépassé le cadre des revendications légitimes en faveur d'une réforme civile,
pour instaurer par le vandalisme un régime de terreur propice à un remodelage religieux à caractère islamique sunnite, comme c'est le cas dans la région de Tal Khalakh en symbiose avec les villages haririens du Liban Nord, à Jisr El Chagour au Nord, à Daraa au Sud, dans la Jezzirah, à Hama fief de l'opposition ultra-sunnite,
à Abou Kamal près de la frontière irakienne ou à Deir Ezzor, enclave multiethnique où l'embrasement intertribal pourrait affecter le tissu social syrien. Les manifestations se sont transformées en un mouvement insurrectionnel armé et subversif qui s'en prend même aux musulmans récalcitrants qui subissent menaces et exactions. À Hama, beaucoup de gens, chrétiens y compris,
n'ont pu quitter la ville à temps. Les pauvres sont restés chez eux pour garder le peu qu'ils possèdent et faute de lieu où se réfugier. Tant que le téléphone n'était pas coupé on nous informait d'une situation des plus précaires, bien différente de celle retransmise au même moment par les médias.
«On entend des tirs un peu partout. Ce ne sont pas les tirs de l'armée qui n'est pas encore entrée mais ceux des gangs armés qui, le visage couvert, circulent partout sur leurs motos ou dans leur 4x4, et imposent la loi martiale. Les quartiers islamistes de Hader, Arb'in, Qoussour, Jisr el Mazareb et autres sont devenus des places fortes retranchées avec force blocs de béton, pylônes d'électricité, et tout autre matériel récupéré.
Hama a proclamé sa mutinerie et son indépendance de la République Arabe Syrienne. Deviendra-t-elle une autre Bengazi ? Ce sont ces barricades qui seront les lieux de l'affrontement avec l'armée. Une véritable guerre des rues.
Hier déjà un colonel a été tué et sept soldats. Les insurgés ont brûlé tous les bâtiments gouvernementaux y inclus le club des officiers. Sur Facebook le Hama News Network informe que l'hôpital Hourani dont la propriétaire, Fida', est une dissidente, distribue des armes aux insurgés.
L'insurrection de Hama a eu des retombées inquiétantes dans sa propre province. Le dimanche 1er août, un téléphone de la ville de Mhardeh, grecque orthodoxe en sa totalité, nous alerte que des centaines d'hommes et d'adolescents ont déferlé dans la ville, armés de fusils, de machettes et de bâtons.
Ils tirent en l'air et avancent en brûlant des pneus, en saccageant les magasins et en incendiant les voitures et les motos.
Ils proviennent des villages sunnites de Seijar, Treimseh, Me'rzâv, Jdeideh autour de Mhardeh. Les prêtres ont fermé les églises, sacrifiant les services liturgiques dominicaux. Tout le monde est terré chez soi. La population réclame l'intervention des forces de l'ordre.
Police et services secrets sont en petit nombre dans une région qui n'a jamais connu de troubles. Ils demandent à la population de se protéger comme elle peut. Les hommes montent sur les toits et font face aux assaillants avec leurs fusils. Des rixes s'ensuivent.
Les assaillants sont repoussés vers midi. Le soir une réunion entre les imams de ces villages et les curés de Mhardeh ne donne aucun résultat. Les imams reconnaissent qu'ils sont impuissants à contrôler leurs ouailles qui représentent pourtant chez eux un faible pourcentage de la population sunnite (entre 5 et 7%). Le lendemain, 2 août, les gens de Mhardeh peuvent faire leur constat :
c'est pour distraire l'armée qui investissait Hama que les villages sunnites des alentours s'en sont pris à leur village. On compte plusieurs blessés.
Même scénario pour le village chrétien de Sqailbiyyeh : les sunnites de Qalaat Al Maddiq ont essayé de s'y introduire pour créer des troubles, mais la population les en a empêchés. De ces incidents dramatiques, aucun mot n'a été dit sur les chaînes satellitaires.
La guerre confessionnelle, une réalité qui pointe
Les incitations à l'insurrection sur base confessionnelle produisent un glissement dangereux dans les relations sociales. Une anecdote vécue montre combien les esprits faibles sont perméables au matraquage des médias. Un bijoutier du nom de N.L.
nous raconte qu'une dame chrétienne de Jdeidet Artouz était à Damas pour faire des emplettes. Surchargée, elle prend un taxi pour la déposer au terminal des minibus en direction de son domicile. En chemin, elle contacte avec son portable son mari pour lui dire où elle est.
Quand elle a terminé sa conversation, le chauffeur de taxi se retourne pour l'invectiver : «Vous, les chrétiens, ne durerez que deux mois, le régime va tomber et votre manière de vous habiller ne survivra plus en Syrie». La dame, craignant le pire, voulut quitter ce taxi mais le chauffeur refusa de s'arrêter. Elle appela au secours par la fenêtre. Un policier la vit et poursuivit le taxi.
Le chauffeur fut remis à la sécurité pour intimidation confessionnelle. La tendance est assez répandue pour qu'à Mazzeh, avenue chic de Damas, des chrétiennes prennent le parti de porter le tchador, suprême démission, de peur d'être molestées par les islamistes. Dans les milieux fondamentalistes, on réclame que la première dame,
qui est sunnite, porte le tchador. Ceux qui ne comprennent pas l'arabe ne pourront pas se rendre compte par eux-mêmes comment, à l'orchestration habile des médias «professionnels» s'ajoutent des stations satellitaires islamistes émettant d'Egypte ou d'Arabie saoudite,
comme Al Wissâl ou Safa, pour haranguer les sunnites à l'insurrection confessionnelle. L'étoile de ces émissions est un imam wahhabite qui s'appelle Cheikh 'Ar'our.
Il s'agit d'un officier de l'armée syrienne relevé de ses fonctions suite à un scandale de mœurs. Il s'est transformé en prédicateur de l'Islam le plus fondamentaliste, basé en Arabie saoudite. Cette situation passe très vite de l'anecdote passagère à la gravité d'un conflit, larvé mais redoutable.
Nous avons su par des témoins fiables que dans les régions où coexistent les sunnites et les alaouites (entre Tartous et Lattaquieh), la population est armée. Il faut préciser que les sunnites sont nombreux sur le littoral tandis que les alaouites vivent dans les villages en hauteur.
Dans ces régions, les civils dressent des barrages aux abords de leurs villages ou quartiers pour s'enquérir de l'identité confessionnelle du passant. S'il s'avère qu'il est d'une autre confession que la leur, il subit des sévices. Le régime contient jusqu'à présent les alaouites.
Ce sont les insurgés sunnites qui défient les lois de la convivialité. Nous venons de savoir que la contagion confessionnelle a gagné Damas ; le frère d'une de nos résidentes, de confession alaouite, chauffeur de taxi, a été pris dans une manifestation aux abords de Damas.
Les manifestants lui ont demandé de montrer ses papiers et, en voyant qu'il était alaouite, ils l'ont battu et ont brisé sa voiture. Même scénario à Qusayr, dans la région de Homs où les chrétiens ont dû se défendre des manifestants sunnites qui faisaient des incursions tapageuses et hostiles dans leurs quartiers. Là aussi les forces de l'ordre n'ont pas bougé car elles étaient débordées. Ce n'est que la semaine passée que l'armée est intervenue à Qusayr pour instaurer le calme.
Lorsque, durant les manifestations de Homs, le désormais célèbre slogan a été scandé : «Les alaouites au tombeau et les chrétiens à Beyrouth» (Al ‘alawiyé Bil tâbût wil massihiyé fi Beyrouth), et le sinistre cri de ralliement à la guerre de religion a retenti : «Debout, allons au Djihad» (hayya alla ljihâd), on a cru à une effervescence passagère.
Malheureusement, aujourd'hui, en dehors des remous des manifestations, certains musulmans fanatisés ne craignent plus de manifester ouvertement aux chrétiens leur antipathie viscérale et leur disent ouvertement : «préparez-vous, votre fin est proche».
Le tabou confessionnel imposé par le régime baathiste sous peine de graves sanctions avait assuré à la Syrie une stabilité sociale enviable pendant des décennies. Des chaînes satellitaires comme Al Jazirah ou Al Arabiya ont contribué directement à inoculer la mentalité discriminatoire confessionnelle.
Invité en permanence, le Cheikh Al Qaradawi n'a pas mâché ses mots, invitant les musulmans à s'insurger contre les «infidèles», y inclus par la force des armes, des fatwas, ou bulles légales, ont «permis» aux musulmans de verser le sang des «infidèles», les kuffâr (musulmans modérés, alaouites et chrétiens), de violer leurs femmes et de kidnapper leurs enfants.
Certains villages sunnites dressent des barrages sur la route internationale Alep-Hama et arrêtent voitures et autobus. Ils vérifient l'identité des voyageurs et molestent les alaouites allant jusqu'à les battre ou les tuer. C'est ainsi qu'une femme alaouite avec sa fille ont été torturées à mort. A Hama trois enfants alaouites on été sauvagement mutilés. L'émissaire turc a vu leurs dépouilles de ses yeux.
Dans les faubourgs de Homs, un jeune chrétien du nom de Gayyath Al Turk de Kfarram a été kidnappé dans la rue Hadarat par les salafistes, torturé puis dépecé ; on l'a mis dans un sac sur lequel on a écrit le nom musulman de «Ahmad» de sorte que la communauté musulmane croie que ce sont les alaouites qui ont perpétré ce crime et s'en venge. L'intention était d'attiser la haine confessionnelle. Le 2 août dans l'après-midi, Bassam Nakhlé,
un petit commerçant du village de Yabroud, à 30 km de chez nous, a été froidement abattu à côté de chez lui par des islamistes montés sur des motos. On a bien senti que le mot d'ordre de s'en prendre aux chrétiens était désormais lancé. Par qui ?
Nous ne pouvons pas le certifier. Malgré leurs accointances privilégiées avec l'étranger, les chrétiens ont été le plus souvent trahis et livrés au gré des avantages politiques de leurs protecteurs. Depuis l'ère coloniale occidentale, les chrétiens sont les laissés pour compte. Ils savent désormais que la prunelle des yeux de l'Occident, c'est Israël, et que tout ce qui peut contribuer à réduire la présence palestinienne et à museler la résistance est le point de mire des grands de ce monde.
Les chrétiens, déjà exsangues, seront les premiers à payer le prix du sang et de l'exode dans les soubresauts de l'histoire contemporaine, au gré des intérêts des grandes puissances. En Irak et en Syrie, les chrétiens ont joui d'une réelle sécurité sous le régime baathiste. Fondé par Michel Aflaq, un chrétien, ce parti a la particularité d'être laïc. Pour les chrétiens, la laïcité est un excellent moyen d'assurer l'égalité entre tous les citoyens indépendamment de leur appartenance religieuse.
Le Printemps arabe, quel bilan à ce jour pour les chrétiens ?
La réforme du «printemps arabe» qui inquiète la majorité des Syriens en général et les chrétiens en particulier est la montée en puissance du fondamentalisme islamique sous tacite bénédiction internationale.
Les révolutions «réussies», en Egypte ou en Tunisie, ont fait chuter les régimes incriminés et leurs chefs honnis, mais n'ont-elles pas contribué à livrer ces pays à l'inconnu et au vide ?
Le chaos qui s'instaure est confié à la «garde» de l'armée mais, la plupart des analystes le soulignent, il ne profitera qu'aux mouvements islamiques : frères musulmans, salafistes ou Al Qaïdah, organisés depuis des années, avec une base disciplinée et qui se disent prêts à négocier avec Israël.
Les derniers évènements sur la place Tahrir au Caire confirment notre analyse : il y a bien eu affrontements entre l'armée et les groupes fondamentalistes.
L'entente est désormais affichée entre les Etats-Unis et les frères musulmans. Même les talibans sont recyclés après la «mort médiatique» de Ben Laden.
Le nouveau leader d'Al Qaeda, le médecin égyptien Ayman Al Zawahiri, a proclamé sa solidarité avec le mouvement pro-démocratique syrien, haranguant les protestataires dans une vidéo postée sur un site web jihadiste le mercredi 27 juillet, en leur disant qu'ils font partie d'une révolution plus globale pour libérer les terres musulmanes.
Les partis islamistes, modérés ou extrémistes, militent en faveur d'un retour à la «pureté» de l'application du Coran dans la vie civile.
Ce fondamentalisme va du rigorisme dogmatique des frères musulmans au fanatisme vindicatif des salafistes. Il s'oppose à des régimes mis en place après la Seconde guerre mondiale, issus de la «renaissance arabe» et prônant le panarabisme, considéré aujourd'hui comme mort. Ces régimes, de tendance socialiste, ont remplacé des monarchies plantées à la hâte par les colonialistes.
Ils se voulaient populaires et «laïcs» comme le régime baathiste. Si ce régime venait à tomber, la majorité sunnite qui viendra au pouvoir démontre vouloir implanter la Sharia islamique, au détriment des libertés de croyance et des droits civiques des non-chrétiens.
De semaine en semaine, le printemps arabe en Syrie part chaque vendredi de l'enceinte échauffée des mosquées pour s'exprimer avec haine dans des termes ultrareligieux et sectaires où les citoyens appartenant à d'autres confessions ne se retrouvent pas.
Avec l'instauration de ce qu'une communauté chrétienne a nommé par euphémisme une société «moins laïque», les chrétiens seront non seulement dépourvus du droit à un statut civil équivalent à celui de leurs frères musulmans comme c'est le cas partout dans le monde musulman sauf au Liban et en Turquie, mais ils seront réduits au rang de citoyens de seconde zone, les dhimmis.
C'est pourquoi les minorités, et même les musulmans modérés, regardent avec scepticisme le «printemps arabe», n'en déplaise à ceux qui acclament la révolution arabe les yeux fermés ou qui la théorisent les yeux grands ouverts. Déjà les constitutions des régimes arabes qui se disent «laïcs» sont basées sur la loi coranique… Cependant, les constitutions de ces régimes sont rédigées en termes civils et non pas religieux.
Ils prônent l'égalité des citoyens, musulmans et chrétiens confondus, devant la loi, ce qui, à part le statut civil, fut un énorme bienfait pour les chrétiens. Dans notre monastère, nous profitons du dialogue national pour demander à l'Etat de changer la clause de la Constitution ayant trait au statut civil de sorte que le même traitement assuré par la loi aux musulmans soit désormais assuré aux chrétiens…
La majorité et ses droits démocratiques
Y-a-t-il des chrétiens qui désirent faire chuter le régime ? Oui, mais ils sont une minorité. Il s'agit d'intellectuels théoriciens qui ont vécu hors du pays, ou de simples citoyens qui ont subi pour une raison ou une autre les exactions injustes du régime. La plupart des chrétiens et des musulmans de Syrie ne veulent pas la chute brutale du régime mais une réforme en profondeur. Pourquoi ignorer ou diaboliser cette
«grande majorité» qui est une réalité démocratique ? Lorsque plus d'un million de personnes, jeunes et vieux, hommes et femmes et enfants, manifestent à Damas, ce n'est pas un trompe-l'œil du régime. C'est une valeur sociale qui a droit au respect de la communauté internationale.
Elle ne peut être abordée dédaigneusement parce qu'elle n'est pas «politiquement correcte». La société syrienne devrait être comprise d'après les principes qui régissent l'Orient depuis des millénaires et qui établissent l'harmonie entre les contraires
grâces aux intérêts claniques des grandes tribus. Cette réalité est indépassable. On ne peut «aider» le peuple syrien à obtenir les justes réformes qu'il revendique par une immixtion insistante et tapageuse qui rend précaires les subtils équilibres confessionnels et claniques traditionnels.
Ce serait le chaos qui ne peut être «créateur», sauf si on cherche à tout détruire pour rebâtir une société artificielle qui tient mentalement mais qui ne «prend pas» socio-culturellement, comme c'est le cas en Irak.
Les régimes laïcs qualifiés de «totalitaires» qui sont nés dans la mouvance du panarabisme se sont en fait ancrés, comme les anciennes oligarchies monarchiques, dans le système clanique et tribal infiniment complexe du Moyen-Orient. Une stabilité évidente en a résulté qui n'exclut pas les dérapages, la corruption ou l'injustice.
Ce ne sont pas les dérapages, parfois gravissimes, que nous défendons, mais le respect des affinités et des équilibres socioculturels du tissu social multiforme de l'Orient de manière à préserver le droit des minorités et l'égalité des chances entre tous.
En conclusion
Nous sommes cœur et âme avec les justes revendications de tout citoyen pour la liberté civique, la fin du totalitarisme d'Etat et de la corruption. Nous souhaitons la démocratie, l'impartialité de la justice et des réformes économiques et sociales conséquentes.
Mais nous sommes conscients - et c'est là où nous nous heurtons à beaucoup d'incompréhension - que ces revendications peuvent devenir un cheval de Troie pour diverses entités nationales ou politiques afin de provoquer une déstabilisation dangereuse à partir de clivages confessionnels et claniques très subtils. Il s'ensuivrait une guerre civile confessionnelle qui en est à ses premiers syndromes, où l'élément sunnite fondamentaliste (frères musulmans, salafistes,
Al Qaeda) serait le fer de lance pour galvaniser les esprits faibles «contre» les alaouites, les chrétiens, les druzes, les kurdes et tous les autres. Le terrible massacre de trois familles alaouites à Homs depuis un mois en est un triste exemple.
On cherchait à provoquer la revanche des alaouites pour attiser la spirale de la violence et faire sombrer le pays dans le chaos de la guerre civile. Au bout du chemin, ce serait le morcellement de la Syrie en des factions ethnico-religieuses antagonistes comme en Irak.
Mais la Syrie est loin de l'effondrement. Les foyers d'où l'on cherche à attiser les antagonismes confessionnels sont isolés et contrôlés, parfois au prix du sang lorsqu'il y a une résistance armée, au fur et à mesure que la population prise en otage fait appel à l'armée. Le peuple syrien est composite : sunnites, alaouites, chiites, chrétiens, druzes, arabes, kurdes, turkmènes, caucasiens, et j'en passe.
Il n'est pas facile de maintenir une telle mosaïque dans la cohérence et la paix civile. Le parti Baath l'a obtenu en respectant les règles qui président aux structures tribales et claniques de l'Orient. Cependant ce régime était totalitaire et corrompu. Aujourd'hui une saine autocritique est à l'œuvre publiquement et des lois sont promulguées, obtenues par une saine opposition, pour les réformes souhaitées.
Nous préférons cette voie tant qu'il y a de l'espoir. Notre vœu c'est que tous favorisent le dialogue inter-syrien, en vue de réformes conséquentes, dans le cadre d'une prise de responsabilité efficace même si elle est lente. Les italiens disent «chi va piano va sano e va lontano» (celui qui va lentement va sainement et va loin), en bon français nous dirions «qui veut voyager loin ménage sa monture».
C'est dans cette optique que nous avons accepté d'accueillir dans notre monastère, choisi parce qu'il est un espace universel et non partisan, un groupe d'opposants sunnites, alaouites, kurdes et druzes qui ont voulu rencontrer des chrétiens, prêtres et laïcs. Cette réunion a eu lieu le 30 mai et il en est résulté à l'usage des autorités un communiqué qui stipulait
ce qui suit : «Devant l'ingérence étrangère et la manipulation faite aux justes revendications de l'opposition, nous trouvons que le meilleur moyen pour aboutir aux réformes souhaitées n'est plus le recours à la rue mais le dialogue confiant et serein, sans compromission avec les erreurs passées».
Le gouvernement et quelques membres de l'opposition ont opté un mois plus tard pour cette même voie qui s'est concrétisée par les deux jours préparatoires au dialogue national des 10 et 11 juillet 2011, ainsi que par une série de lois qui continuent d'être promulguées et qui étaient impensables avant les manifestations. Les manifestations pacifiques ont donc été déterminantes mais elles deviennent stériles si elles sont subversives et violentes.
Je me rallie à l'avis de Camille Otrakji, analyste syrien vivant à Montréal : «Je pense qu'une nette majorité de Syriens soutient plusieurs des revendications des manifestants pacifiques. D'un autre côté, seule une petite minorité de Syriens est prête à prendre le risque de déstabiliser son pays pour obtenir un total changement de régime,
au terme d'un conflit douloureux». Boycotté et décrié par ceux qui théorisent ou qui instrumentalisent, ce dialogue est l'unique issue.
Il est proposé par la grande majorité des responsables religieux de la nation auxquels nous nous joignons. Nous prions pour que la communauté internationale l'encourage, que le peuple syrien s'y engage et pour qu'il porte les fruits escomptés de modernisation, démocratie et pacification.
Agnès-Mariam de la Croix, higoumène
France Catholique, 15 août 2011/
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(*) Mère Agnès-Mariam de la Croix est de nationalité libanaise et française. Son père est réfugié palestinien de 1948. Elle a vécu la guerre civile du Liban et travaille en Syrie depuis dix-sept ans.


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