On raconte l´histoire d´un wali nouvellement nommé à son poste, et qui demande un chauffeur pour effectuer un déplacement. Jusque-là, rien d´anormal. Sauf que le chauffeur en question saisit cette occasion en or pour exposer ses problèmes sociaux au premier responsable de la wilaya, en s´apitoyant sur son sort et sur celui de sa petite famille et il finit par demander un logement. Sur ce, le wali excédé lui ordonne de descendre du véhicule et prend lui-même le volant. Peut-on dégager une morale de cette histoire tout ce qu´il y a de véridique? Plusieurs hypothèses viennent à l´esprit. On peut supposer que ce chauffeur est réellement en manque de logement, et donc qu´il a estimé être en droit de poser son problème aussi crûment puisque l´occasion s´est présentée à lui. Il ne sera ni le premier ni le dernier à utiliser ce stratagème. Mais on peut également supposer qu´il n´en est pas à sa première tentative : connaissant la valse des walis dans notre pays, qui a lieu au moins tous les quatre ans, il a dû en faire des demandes de logements et en obtenir quelques-uns. On peut imaginer qu´il a dû jouer la même comédie à tous les walis qui sont passés. Sur quelles bases ce chauffeur a-t-il été désigné par son chef hiérarchique pour aller conduire le wali? On a dû tenir compte de son professionnalisme, de ses connaissances mécaniques, de sa condition physique, de sa bonne vision, de son ancienneté dans le métier, de sa ponctualité, de son sérieux dans l´accomplissement de sa tâche, de sa conduite pondérée, du soin qu´il prend à entretenir son véhicule, c´est-à-dire de ces qualités qui n´ont rien à voir avec sa situation de bien ou de mal logé. La distribution de logements obéit à des critères dont les autorités sont obligées de tenir compte. Il y a une commission à réunir et des pièces administratives à fournir. Parfois des enquêtes sont diligentées pour déterminer la véracité des déclarations contenues dans le dossier des postulants. C´est ce qu´a dû se dire le wali lorsqu´il a ordonné au chauffeur indélicat de quitter le véhicule. Quant à ce dernier, il a dû au contraire penser que transporter un responsable, être assis dans le même véhicule que lui, partager avec lui une si intime proximité sont des facteurs qui suppriment la distance hiérarchique et le dispensent de fournir un dossier pour l´obtention d´un logement. Comme dit le proverbe: lorsqu´on coupe le miel, on ne résiste pas à l´envie de lécher ses doigts. Mais ce proverbe ne nous dit pas où commence et où finit la corruption, car il y a plusieurs façons de se lécher les doigts. Soit une seule fois, juste pour se nettoyer les phalanges tout en dégustant le don des abeilles. Soit la tentation est trop forte, et on replonge sa main dans le pot jusqu´à vider ce dernier de son précieux contenu. Et puis, franchement, peut-on considérer un chauffeur qui demande un logement, même s´il transgresse les lois hiérarchiques et qu´il n´en est pas à son premier essai, comme un corrompu, sachant que la corruption se passe à un autre niveau et touche des secteurs plus sensibles. En réalité, la corruption va assez souvent dans l´autre sens. De nombreux responsables tentent de soudoyer leurs chauffeurs en leur offrant un logement, car ils ont beaucoup de choses à cacher ou à se reprocher. Le chauffeur rabroué a voulu peut-être danser plus vite que la musique. Il a perdu le sens du rythme et de la pondération. S´il avait été plus patient, il aurait peut-être fini par apitoyer son patron sur son sort. Il ne fait aucun doute qu´il a dû longtemps méditer sur les conséquences de son geste.