Jadis, la procédure était simple pour transporter ses pénates de l´autre côté: il suffisait d´avoir un cousin qui a un peu de nif pour vous prendre en charge les premiers jours, histoire d´assurer le gîte et le couvert, le temps de trouver un job dans la même entreprise que ledit cousin qui est d´ailleurs connu là-bas comme un loup blanc; il est même très apprécié par le contremaître qui est l´oeil et l´oreille d´un patron qui n´hésite pas à prendre un autre burnous à faire suer. Et le tour est joué: avec un contrat en poche, le candidat à l´émigration est vraiment devenu un vrai émigré. Il y avait une autre façon de quitter le pays en catimini, comme si de rien n´était, en faisant semblant que ce n´est pas exprès: il suffisait de se débrouiller un petit stage à l´étranger (cela arrivait et cela arrive toujours aux sacrés pistonnés...) le temps de prospecter là-bas avec une ou deux bourses à la clef (c´est toujours lié à la force du piston). Les exemples sont si nombreux que certaines administrations ont fini par faire signer des contrats aux candidats aux stages bidons...L´autre manière de se faire la malle, c´était de partir en touriste toujours avec la baraka du cousin qui consent quand même à vous prêter des devises au taux normal de change (au temps béni de Boumediene, un dinar faisait le fier devant le franc et il lui tenait la dragée haute, o tempora, o mores! Mais ne voilà-t-il pas que pendant le court circuit touristique, le jeune Mouh, qui avait pris soin de bien bronzer à la Sablette avant de prendre son billet aller-retour sans espoir de retour, reçoit dans ses bras qui ne demandaient que cela, une belle Normande aux cheveux clairs et aux yeux gris: la belle elle-même était tombée en pâmoison devant le damoiseau à la peau brune et aux yeux d´outre-mer. L´idylle peut ou ne peut pas durer, c´est selon la saison et la mode en cours...Bref, cela va donner des idées à beaucoup de gens, une fois que la crise économique va petit à petit tisser son rideau de fer sur toute l´Europe. Mais qu´importe, les candidats à l´évasion ne reculeront devant rien: les mariages blancs entre des couples dissonants vont fleurir comme muguet au printemps. Et quand le mariage n´est pas possible là-bas, on le rend possible ici: il y a ceux qui ont le talent de trouver chez la rare touriste de passage (dans le sud, le plus souvent), le talon d´Achille qui fera craquer la belle qui n´était venue que pour goûter le profond silence du désert: elle repartira avec un fruit exotique. Mais l´exotisme ne durera que ce que dure l´exotisme: loin de ses racines, le bel amour s´étiole ou l´oiseau de paradis va se percher sur une autre branche. Quand la touriste vient à manquer, il reste toujours la correspondante avec qui on entretient assidûment des échanges de lettres de plus en plus denses, passionnées et brûlantes. Cela se termine souvent par un échange mutuel d´invitations qui vont sceller une amitié que le contact physique, une fois réalisé, va transformer en une relation si torride que leur horizon va se limiter au ciel du lit. On n´anticipera point sur leur avenir...ceux qui n´ont pas d´imagination ni de savoir-faire vont compter sur la famille pour leur trouver un parti désirable: et, tenez-vous bien! la première chose exigée chez le partenaire est la fameuse «résidence», ce précieux document qui dure au moins dix ans (un peu plus que les amours!) et qui a été mis en service sous Giscard. Etes-vous déjà tombé amoureux d´une résidence? J´en ai connu qui en ont rêvé longtemps, longtemps après avoir couru aux archives pour essayer de trouver un hypothétique document qui prouverait que le père ou le grand-père ont, jadis, opté pour une autre nationalité: tout cela parce que l´on n´habite pas à Kouba ou à Belcourt, quartiers bien connus pour avoir fourni une quantité impressionnante de candidats à l´émigration: le circuit était bien connu: un voyage en Italie où le commerce des faux papiers se faisait à ciel ouvert à Napoli, puis les portes de la perfide Albion s´ouvraient toutes grandes, surtout pour ceux qui avaient la barbe bien fournie...Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin: maintenant il ne reste aux désespérés que l´odyssée d´une traversée avec des passeurs pas toujours sûrs, sur une embarcation de fortune...Avec un peu de chance, ils seront repêchés...