Et voilà le travail! L´eau du robinet est imbuvable dans toute une région à l´ouest d´Alger. La cause? Surpeuplement de poissons carpes au barrage de Boukerdane qui alimente la zone. Il faut rappeler que les autorités chargées du secteur de la pêche s´étaient fait un point d´honneur à ensemencer tous les barrages d´Algérie en poissons d´eau douce. Pensant ainsi, peut-être, résoudre le problème de la rareté du poisson de mer au marché, ce qui a pour effet de faire flamber les prix. Sauf que -la précision vaut son caisson de sardines- cette démarche nage jusqu´au cou dans le mélange et la confusion des genres. Dans le mélange des genres et la confusion des palais. On ne passe pas de l´assiette de poisson de mer à celle du poisson d´eau douce par simple décision ministérielle, fût-elle celle du département de la pêche. Pour savoir si l´Algérien a dans ses habitudes alimentaires le poisson de mer ou le poisson d´eau douce, il faut interroger l´histoire. Durant la période ottomane, l´Algérien avait un rapport presque charnel avec la mer. Toute la vie sur terre était rythmée sur les exploits des raïs et les aventures trépidantes de la course. Les retours autant que les départs des embarcations étaient des événements fêtés au port d´Alger. Et quand déboula la colonisation, tous les Algériens étaient repoussés vers l´arrière-pays. Ils étaient tenus éloignés de toute la bande côtière. A titre d´exemple et pour se faire une idée, à Alger, en janvier 1962, il y avait un million d´habitants dont 900.000 colons. Il ne restait donc plus que 100.000 Algériens vivant à la périphérie de la capitale. Alors que la population totale des Algériens était estimée à 9 millions d´êtres. Un dixième seulement d´entre eux était «toléré» dans cette Algérie utile longue de 1200km. Juste ce qu´il fallait comme bras pour les travaux de peine. Durant un siècle et demi, le littoral algérien n´existait que pour les pieds-noirs. Espagnols, Italiens, Maltais -quand ils ne régnaient pas sur des domaines agricoles- avaient la haute main sur les produits de la mer. Ils avaient toutes les embarcations. Ils étaient les patrons pêcheurs et les Algériens étaient leurs marins. Le poisson ne devait pas et ne pouvait pas dépasser les marchés des villes. Pour deux raisons simples: la première est que le poisson était destiné aux nantis pas aux colonisés, la seconde est que, faute d´une chaîne de froid inexistante à l´époque, la distribution du poisson ne pouvait dépasser les villes côtières et atteindre l´arrière-pays où était confinée la majorité des Algériens. Ceci, sans y ajouter que, de toute manière, leur pouvoir d´achat n´était pas faible, il était nul. Voilà pour la relation des Algériens avec le poisson de mer. Pour celui d´eau douce, il faut seulement rappeler que nous sommes un pays semi-aride et que les rivières et les étangs ne font pas partie de notre topographie. Reste les quelques oueds qui ne charrient de l´eau que pour sortir de leur lit. Comment, dans de telles conditions, l´Algérien peut-il, sans préalable aucun, renouer avec une habitude alimentaire perdue depuis deux siècles? Une habitude tellement perdue que les fluctuations du marché du poisson, contrairement à la viande rouge, ne suscitent qu´un intérêt relatif des citoyens. Qu´a-t-on fait depuis l´indépendance pour remettre le poisson dans l´assiette de l´Algérien et atténuer ainsi la pression sur les autres viandes? Rien! A la place, on ensemence les barrages de carpes et qui, faute de consommateurs, posent problème de surpeuplement. Celui qui a eu cette idée géniale devrait être condamné à manger des carpes matin, midi et soir. ([email protected])