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Publié dans L'Expression le 11 - 09 - 2013

«Le journalisme est un métier où l'on passe une moitié de sa vie à parler de ce que l'on ne connaît pas et l'autre moitié à taire ce que l'on sait.» Henri Béraud (1885-1958)
«Que veux-tu dire par «aller plus loin»? s'était enquis le rédacteur en chef avec une pointe d'inquiétude dans la voix.
-Aller plus loin, c'est aller plus loin. Essayer de voir par-delà les réalisations concrètes que l'on jette aux yeux des frustrés comme des poignées de sable ou de poussière. C'est facile de se laisser aveugler par ces miettes qu'on jette avec calcul pour faire croire que les responsables travaillent au bonheur du petit peuple. Aller loin, c'est placer chaque information que l'on prétend ramener, dans son véritable contexte. Les gens, et ce n'est pas du tout de leur faute puisqu'on les a rendus comme cela, sont tellement obnubilés par l'acquisition de l'objet qu'ils ont longtemps désiré qu'ils ne cherchent pas à comprendre. Je vais te raconter une anecdote de chez nous qui montre la curiosité des gens équilibrés: il est de coutume de sacrifier un coq à chaque fête de Yennayer et de donner à chaque membre de la famille la part qui lui revient. Un aveugle recevant sa part ne put s'empêcher de dire tout haut: «Il fait nuit. Chacun a son coq. Dieu seul sait ce qu'ont reçu ceux qui voient.» Dans la gestion économique, le citoyen est un aveugle perdu dans les ténèbres et ces ténèbres sont aggravées par le discours démagogique, l'intox ou la désinformation. D'abord, le journaliste professionnel, s'il a le temps et les moyens, doit placer le lot de logements distribués dans un ensemble plus vaste.
Il doit chercher le nombre de logements réalisés tant sur le plan national que sur le plan local durant l'année écoulée et durant le plan triennal ou quadriennal inscrit dans le programme gouvernemental. Mieux, il doit s'enquérir sur le prix de revient moyen de chaque appartement et le comparer, non seulement avec les autres prix de revient calculés dans la même zone, mais aussi le comparer aux prix de revient publiés les années passées: il pourra ainsi renseigner le lecteur sur l'inflation réelle en partant du fait que les prix annoncés sont bien réels. Mais cela ne suffit pas.
Il doit aussi rappeler au lecteur le nombre de demandeurs de logements afin de le comparer à celui des satisfaits: cela donnera une idée de l'efficacité du ministère de l'Habitat et des institutions qui lui sont affiliées comme cela doit donner une idée de l'attention prêtée au logement par les gouvernements successifs. Ce tableau ne saurait être complet si on ne lui adjoint pas un lot de renseignements sur les heureux bénéficiaires: combien de temps ils ont attendu pour recevoir les clés tant convoitées, leur origine sociale. Evidemment, un petit tour dans l'espace environnemental peut renseigner sur l'atmosphère qui a prévalu à la publication de la liste des bénéficiaires: la confection de la liste a-telle été transparente, a-t-elle donné lieu à des contestations, à des manifestations, à une possible révision? Y a-t-il dans cette fameuse liste des parents à des gens bien placés dans l'administration?
Cette recherche est difficile, certes, mais insuffisante si on ne se penche pas sur les conditions dans lesquelles ont été réalisés les logements en question: quel est le bureau d'études qui l'a prise en charge. Quelle est la société qui s'est occupée de la construction? Est-elle algérienne ou étrangère, a-t-elle à son actif d'autres chantiers? Il arrive, en effet, que des sociétés étrangères abandonnent des chantiers pour des raisons difficiles à cerner et que ces chantiers soient repris en main par des entrepreneurs nationaux: tout cela ayant des effets certains sur le prix de revient du logement.»


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