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«ma mère l'Algérie»
MOHAMED LEBJAOUI
Publié dans L'Expression le 02 - 04 - 2005

Quel homme était Mohamed Lebjaoui dans la vie quotidienne de son exil genevois ?
Un jour de décembre 1974, à Genève, je reçois un coup de téléphone de Georges Haldas, célèbre écrivain de Suisse romande, qui m'annonce qu'un ancien dirigeant du FLN, un certain Mohamed Lebjaoui, vivant en exil à Genève, a écrit un recueil de très beaux poèmes consacrés à la guerre d'indépendance. Il pourrait, me dit-il, publier très facilement ses textes chez Gallimard, son éditeur, mais, en guise d'hommage à la Suisse, sa terre d'accueil, il souhaite trouver un éditeur en Suisse romande.
Deux ans auparavant, nous avions créé, avec ma femme, dans le sillage des idées de mai 68, une maison d'édition de gauche, et nous avions publié plusieurs ouvrages sur des sujets politiques suisses et sur l'histoire sociale de ce pays. (Notamment, une Histoire du mouvement ouvrier suisse) Très honoré par cette proposition, j'acceptai évidemment de rencontrer l'auteur, curieux de découvrir à quoi pouvait ressembler un vrai révolutionnaire. Je m'attendais un peu, je dois l'avouer, la rigueur de la guerre aidant, à découvrir un homme austère, dur et froid : un homme de l'ombre.
L'allure d'un grand
La rencontre eut lieu, au cours d'un déjeuner, dans un petit café de Genève, le Don Camillo où G. Haldas tenait ses quartiers. C'était un restaurant sans alcool, car le tenancier, n'ayant pas de patente, n'avait pas le droit d'en vendre. Sauf si on lui faisait un clin d'oeil qui signifiait qu'on lui demandait un grapillon, c'est-à-dire, un verre de vin, ce qui était parfaitement illégal. Comme quoi, en Suisse aussi, il faut parfois ruser pour boire un verre de vin en cachette.
Surprise ! L'homme de l'ombre me parut lumineux, chaleureux, ouvert, intelligent et drôle ! Très soigneusement vêtu, il ressemblait, entre nous soit dit, à un élégant banquier genevois plutôt qu'à un “fellagha”. D'ailleurs, à propos de banques, je me souviens que ce jour-là, notre révolutionnaire avait relaté comment, pour trouver de l'argent, les militants attaquaient les banques pour en piller avec succès les coffres. Et l'évocation de ces souvenirs était suivie du rire magnifique, communicatif, joyeux et grinçant à la fois, de Mohamed Lebjaoui, dont tous ceux qui l'ont connu se souviennent!
Je tombai donc sous le charme. En sortant du restaurant, je fis quelques pas avec lui et il me dit qu'il avait senti que le courant était passé entre nous et qu'il me confiait l'édition de ses poèmes. Ce fut le début d'une longue amitié et d'une fructueuse collaboration éditoriale.
Lorsque le recueil de poèmes «Un Morceau de lune et une étoile couleur de sang» sortit de presse (en février 1975) j'en présentai aussitôt un exemplaire à l'auteur qui exprima rapidement, en le feuilletant, une déception sévère et me fit remarquer que j'avais omis une chose à ses yeux essentielle : la dédicace. Elle avait pourtant été composée mais oubliée au tirage. Elle était fort simple et tenait en trois mots: «A ma mère». C'était une véritable catastrophe! Il fallait absolument et de toute urgence réparer cette omission mais je trouvai la parade. Comme il était impossible de remettre sous presse un ouvrage déjà broché, j'eus l'idée de fabriquer un tampon encreur muni des trois mots essentiels, puis de tamponner avec l'aide du relieur, les mille à mille cinq cents exemplaires et le tour fut joué.
En bon diplomate, Mohamed Lebjaoui me félicita et me dit: «L'important n'est pas de commettre une erreur, c'est de savoir la réparer!»
Trente années après cette aventure, je me dis que cette petite dédicace avait peut-être encore plus d'importance que je ne le pensais alors. J'avais appris par la suite que Mohamed Lebjaoui vénérait sa mère, certes, et il était beau d'offrir à sa génitrice ses poèmes épiques, mais cette mère, n'était-ce pas aussi, sans que cela soit dit, l'Algérie elle-même, la terre nourricière tant aimée qui avait enfanté le militant disposé pour elle à risquer sa vie?
Comme j'avais, dans ma petite maison d'édition, un secrétariat, Mohamed Lebjaoui me donnait des textes à taper. Le plus souvent des prises de position politiques et des déclarations à la presse. Il venait alors nous trouver à la maison et nous demandait notre avis, au début, sur la forme de ses textes, puis, par la suite, sur leur contenu politique. Historiens, militants d'extrême gauche, nous avions une formation marxiste, mais jeunes encore, il nous manquait beaucoup pour être à la hauteur du leader historique. Ce fut une chance pour nous de confronter avec lui nos points de vue, et de faire ainsi des progrès dans notre capacité d'analyse pour enfin dépasser notre vision gauchiste souvent fausse et simplificatrice et finalement de nous forger notre propre opinion.
Quel homme était Mohamed Lebjaoui dans la vie quotidienne de son exil genevois? Il travaillait beaucoup, recevait de nombreux militants, son appartement des Crêts-de-Champel était devenu un vrai bureau politique. Mais comme il aimait la vie, qu'il la considérait comme un cadeau en plus, après ce qu'il avait vécu, il s'accordait volontiers des moments de détente entre amis. C'était un homme généreux qui faisait preuve le plus souvent d'une extrême gentillesse. Par exemple, dans le bus, il était le premier à se lever pour offrir sa place à une personne âgée. Nous connaissions, dans notre immeuble, une charmante vieille dame qui avait de la peine à marcher et que nous aimions beaucoup et à qui nous rendions service en lui apportant régulièrement des provisions. Nous l'avions présentée à Lebjaoui qui l'avait prise, lui aussi, en sympathie. Et il s'était mis également à lui apporter de temps en temps quelques vivres qu'il achetait et transportait lui-même. Pour lui, être de gauche, c'était aussi faire preuve de générosité et il se moquait de certains prétendus militants, incapables de délier leur bourse pour payer simplement le café.
Il avait un don pour se faire aimer des enfants. Ce que vous ne savez peut-être pas et que je vais vous apprendre c'est qu'il est l'auteur d'un manifeste : le Manifeste des nourrissons et qui débute ainsi: «Nourrissons de tous les pays, unissez-vous!» Il est constitué de 28 articles. Je vous en livre quelques-uns pour que vous en compreniez toute la portée politique:
Art. 3. Nous ne sommes rien, soyons tout !
Art. 6. Liberté de nous défouler en poussant nos cris à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Art. 26. Création, dans chaque pays, d'une Union nationale des nourrissons.
Et ce texte important se termine ainsi: «Nous vaincrons parce que nous sommes aujourd'hui les plus faibles et demain les plus fort!»
Admirateur de Abane
En préparant cette intervention, j'ai relu Vérités sur la Révolution algérienne et j'aimerais vous dire combien j'ai apprécié cette relecture et comme il est heureux que cet ouvrage soit désormais en vente libre en Algérie. C'est un livre magnifique ! Souvent, les livres de témoignage, portant sur des problèmes d'actualité ou sur l'histoire récente prennent de l'âge. Celui-ci n'a pas pris une ride. Contribution de premier ordre sur la guerre d'indépendance, ce texte est aussi celui qui nous en dit le plus sur M. L., et sur les valeurs qui ont toujours guidé son action. Je n'ai pas l'intention de m'étendre longuement sur ce chapitre, d'autres ici pourront le faire beaucoup mieux que moi, mais tout de même, quelle démonstration ! Citons d'abord : le primat du politique, toujours, sur l'action militaire . Puis, l'exigence impérieuse de la démocratie, toujours, dans l'action politique, pendant la guerre au niveau, bien sûr, des instances dirigeantes, puis, dès l'indépendance, au niveau le plus large. Lebjaoui ne transige pas sur ce point, quand la démocratie n'est plus possible lors du congrès de 1964, il quitte tout. Pas de compromissions. Puis, enfin, qualité essentielle dans le combat politique, la stratégie : savoir utiliser les divisions et les faiblesses de l'adversaire (les libéraux français), se renforcer par des alliances (Bourguiba, la Cisl). Ne pas donner des armes à l'ennemi en pratiquant le terrorisme aveugle ou en réglant les divergences entre frères au couteau, etc. Je m'arrête ici, volontairement.
Mais permettez-moi d'ajouter encore un témoignage. Lorsque Lebjaoui parlait de la guerre de libération, comme il avait une très bonne mémoire, son récit était vivant, précis, daté. Il portait des jugements nuancés sur ses pairs, tantôt élogieux, tantôt critiques. Parmi les hauts responsables, il en était un qui, à ses yeux, faisait l'objet d'une admiration et d'une estime sans faille. Cet homme, vous l'avez deviné, c'était Abane Ramdane, le Jean Moulin algérien, lâchement assassiné par les siens.
Un soir, je me souviens, il était tard, il parla longuement de lui ; sa voix, chargée d'émotion, devint soudain plus grave, puis il se tut, la gorge nouée, et le silence envahit la nuit. Mais écoutons Mohamed Lebjaoui: «Dans le combat, en effet, il se distinguait par une intelligence exceptionnelle, une autorité sans faille, un courage qui frisait la témérité, un sens moral très élevé, un grand respect de la démocratie dans toutes les discussions et un sincère amour du peuple.» (Bataille d'Alger ou Bataille d'Algérie, p. 76).
Je crois pouvoir dire que durant son exil à Genève, M.L. a connu beaucoup de moments heureux, à l'occasion par exemple de repas pris entre amis, dans une ambiance chaleureuse, et bien sûr, lors de la visite de ses enfants et de ses petits-enfants. Mais aussi des moments plus douloureux, à cause de l'exil, un exil bien trop long. Sa pudeur l'empêchait d'en parler, mais une certaine lassitude parfois en était le signe (Nostalgie : La lumière de mon ciel, pour moi, jour après jour, enjambe la mer, elle vient chaque matin ruisseler dedans mes yeux, Sous le bras, mon soleil, p. 14). Pourtant il n'a jamais cessé de se battre pour que la situation change en Algérie. Et comme il a toujours refusé en la matière, de faire couler le sang, estimant que son pays avait sur ce plan payé un assez lourd tribut, c'est un combat qui ne fut pas livré à armes égales. Et peut-être, l'Algérie n'était-elle pas encore mûre historiquement, du temps de Boumediene en tout cas, pour un tel changement. Les luttes de l'opposition démocratique à la dictature font pourtant honneur à l'Algérie et je pense que les nouvelles générations doivent savoir qu'elles ont existé et qu'il faudrait songer désormais à en écrire l'histoire.
Encore un point, et j'en aurai terminé. Je voudrais vous remercier de m'avoir invité aujourd'hui parmi vous et vous dire combien je suis ému de me trouver pour la première fois sur le sol de cette Algérie que Mohamed Lebjaoui aimait tant et qu'il m'a fait aimer parce qu'il était tellement algérien lui-même. Durant les terribles années de la guerre civile que le pays a connue, je vous avouerai que j'ai souvent fermé mon poste de télévision quant on parlait d'elle aux nouvelles. J'avais mal : j'avais mal à mon Algérie. Mais sachez qu'elle sera toujours dans mon coeur!
Alger, 11 mars 2005
* éditeur genevois du moudjahid Mohamed Lebjaoui, qui a écrit entre autres, Vérités sur la révolution algérienne et quelques poèmes d'une rare beauté.


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