ONU/Conseil de sécurité: consultations à huis clos sur la situation en Syrie    Agression sioniste: l'UNRWA épine dorsale de l'acheminement de l'aide humanitaire à Ghaza    Ghaza: le bilan de l'agression sioniste s'élève à 34.305 martyrs    Le projet "Baladna" de production de lait en poudre: la première phase de production débutera en 2026    Coupe d'Algérie - Demi-finale: le CRB élimine l'USMA aux tirs aux but (3-1) et rejoint le MCA en finale    Secousse tellurique de 3,3 degrés dans la wilaya de Tizi Ouzou    Le Festival du film méditerranéen d'Annaba, une empreinte prestigieuse sur la scène culturelle    Chanegriha impitoyable à la préparation au combat    Le ministère de la Culture annonce le programme des foires nationales du livre    19e édition des rencontres cinématographiques de Béjaia: le 15 mai, date butoir de dépôt des œuvres    Les autorités d'occupation ferment la mosquée Ibrahimi aux musulmans    Les autorités d'occupation ferment la mosquée Ibrahimi aux musulmans    Transformer le théâtre universitaire en un produit commercialisable    Le Bureau Fédéral de la FAF apporte son soutien à l'USMA    Son nom fait «trembler» le foot du Roi    Coupe d'Algérie : Le MCA écarte le CSC et va en finale    Les médias conviés à une visite guidée du Centre de formation des troupes spéciales    Le directeur général des forêts en visite d'inspection    Trois membres d'une même famille assassinés    Dahleb donne le coup d'envoi d'une campagne de reboisement au Parc de Oued Smar    Ali Aoun inaugure une usine de fabrication de pièces automobiles et une unité de production de batteries    PIB et taux de croissance, inflation, taux de chômage, endettement, réserves de change, cotation du dinar    Le Président chilien Gabriel Boric a qualifié la guerre israélienne de « barbare »    L'Algérie participe à la 38e édition    Principales étapes de la résistance des Touaregs    La psychose anti-islamique obéit aux mêmes desseins que la hantise antibolchevique    L'ambassadeur du Royaume du Lesotho salue le soutien de l'Algérie aux efforts de développement dans son pays    Coupe du monde de Gymnastique : Kaylia Nemour sacrée aux barres asymétriques    Le nouvel ambassadeur de Cuba met en avant le caractère historique des relations algéro-cubaines    Chanegriha supervise l'exécution d'un exercice tactique avec munitions réelles en 3ème Région militaire    Energie et mines : Arkab reçoit la DG de la compagnie britannique Harbour Energy    Parquet de la République: ouverture d'une enquête suite à l'effondrement du plafond d'une classe dans une école primaire à Oran    Tamanrasset: 7 morts et 15 blessés dans un accident de la route    "Nous nous emploierons à exploiter le sel provenant du dessalement de l'eau de mer"    Coupe d'Algérie (demi-finales): le MC Alger renverse le CS Constantine et accède à sa 10e finale    Le ministre de la Justice insiste sur la fourniture de services de qualité aux citoyens    Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80        L'ORDRE INTERNATIONAL OU CE MECANISME DE DOMINATION PERVERSE DES PEUPLES ?    Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'imagination au pouvoir.    Le diktat des autodidactes    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    El Tarf: Des agriculteurs demandent l'aménagement de pistes    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Pourquoi la Réconciliation?
Publié dans L'Expression le 31 - 08 - 2005

«J'étais enchaîné comme vous étiez enchaînés. J'ai été libéré, et vous avez été libérés. Donc, si moi je peux pardonner à mes oppresseurs, vous le pouvez aussi.» Nelson Mandela, Ancien président de l'Afrique du Sud Prix Nobel de la paix
Qui se souvient de l'Algérie du début des années 90? Remémorons-nous, et là je m'adresse à ceux qui sont restés au pays pendant ces années de braise, la guerre civile dans toute son horreur, notre terreur au quotidien. Remémorons-nous la cessation de paiement du pays, le diktat du FMI, les ajustements structurels, la dette payée plusieurs fois. Remémorons-nous, enfin, le boycott des médias occidentaux, surtout français, qui avait souvent frisé l'insulte et frôlé l'indécence. Ces mêmes médias (français) exhibent orgueilleusement les figures de proue de l'intégration, les bons petits Français Zidane, Bouras, Adjani...mais les terroristes nés et agissant en France sont des «Franco-Algériens». C'est dire si la France ne peut être autorisée ou s'autoriser à dicter l'histoire des autres, je ne peux confier l'histoire de l'Algérie à des historiens étrangers, mais on ne peut que s'interroger sur l'article 4 de la loi qui fait injonction aux historiens de louer dans les programmes scolaires, l'oeuvre positive de la colonisation. C'est naturellement deux poids, deux mesures; quand il s'est agi pour le président français de reconnaître la responsabilité de l'Etat français dans la déportation de 15.000 juifs de Drancy, il n'a pas demandé aux historiens d'étudier cela, pas plus d'ailleurs pour le génocide arménien, la France a fait pression et fait toujours pression sur la Turquie pour qu'elle reconnaissance sa faute. S'agissant de la faute en Algérie. Pas question. Il est à se demander s'il ne faut pas d'abord éclaircir certains concepts avant tout engagement. Nous avons d'abord intérêt à régler. «Plus jamais ça.» C'est en ces termes que le président Abdelaziz Bouteflika a appelé, dimanche 14 août, les Algériens à se prononcer par référendum le 29 septembre sur un projet de «charte pour la paix et la réconciliation nationale» afin de rétablir la paix et la sécurité dans le pays. L'objectif est de tourner la page après plus d'une décennie de violences. Le chef de l'Etat a rappelé le coût exorbitant payé par l'Algérie: «Des dizaines de milliers de morts, plus de 20 milliards de dollars de destructions, une coûteuse entrave au développement et une régression de notre position sur la scène internationale.» Le projet est constitué d'une série de mesures juridiques et sociales qui s'adressent aux membres des groupes armés islamistes non impliqués dans «des massacres collectifs, des viols ou des attentats à l'explosif dans des lieux publics». Il prévoit la «fin des poursuites judiciaires» pour des milliers de membres des différents groupes armés qui avaient rejoint la trêve décrétée en 1997 par l'Armée islamique du salut (AIS). Le projet préconise aussi l'abandon des poursuites contre les personnes recherchées en Algérie et à l'étranger ou condamnées par contumace si elles se rendent volontairement, et la grâce pour les personnes déjà condamnées et détenues pour actes de terrorisme. Par ailleurs, l'Etat assumera la «responsabilité» pour les disparus, qui seront considérés comme des «victimes de la tragédie nationale», ouvrant ainsi un droit de réparation pour les familles. Le 31 mars 2005, un rapport officiel avait recensé 6146 civils disparus du «fait d'agents de l'Etat» et préconisé ces mesures, vivement contestées par des associations. Enfin, la «solidarité nationale» s'exercera en direction des veuves et des orphelins des membres de groupes armés tués durant le conflit.
Déjà en septembre 2002, le président avait annoncé son intention d'arriver à une paix définitive. «J'avoue qu'il peut y avoir d'autres avis contraires au mien, je suis prêt à les écouter mais il faut qu'ils se débarrassent de leur arme et acceptent la contradiction», affirme-t-il. Lui, se réclame sans hésiter de ceux qui ont choisi la paix. «Nous voulons la paix et nous allons y arriver», promet-il. «Arrêtez de marchander sur le dos du peuple algérien ! Arrêtez de faire de la religion un fonds de commerce sur la scène politique» (1).
Pour Maître Miloud Brahimi, «la réconciliation nationale que nous appelons de tous nos voeux a un fondement qui est celui de l'exigence de vérité. L'on doit dégager une voie pour que la réconciliation nationale trouve son fondement du point de vue du droit algérien. Il y a une mise à niveau du droit algérien qui reste à faire pour le rendre compatible avec la norme internationale. ... S'agissant de notre pays, il y a un fait aujourd'hui incontestable c'est que l'Etat a vaincu les forces du mal. Il y a la recherche de la paix des coeurs à présent. Il reste à bien cerner la notion de crime contre l'humanité qui, en droit pénal international, ne tomba pas sous le coup de l'amnistie...C'est un sacrifice du peuple et de l'Etat que d'accepter d'aller vers la réconciliation nationale et l'amnistie générale. .... Il ne faut jamais oublier ce qui a été commis, note maître Brahimi. La gestion de l'après-terrorisme doit nous conduire à la paix, à la réconciliation définitive dont il faut savoir extraire ce qui est contraire aux lois internationales » (2).
Les racines de la haine. Qu'est-ce que pardonner?
On associe habituellement le mot haine à l'idée d'une dangereuse malédiction qu'il faudrait éloigner aussi vite que possible. Je pense, moi aussi, que la haine peut empoisonner un organisme, mais seulement tant qu'elle reste inconsciente et dirigée contre des substituts, c'est-à-dire des boucs émissaires. Alors, elle ne peut pas se dissoudre et disparaître. Et la haine ne me poussera pas à tuer qui que soit ni à porter préjudice à quiconque. Il en va autrement de la haine consciente, réactive, qui, comme tout sentiment, peut retomber quand elle est revécue. On a peine à imaginer un homme qui subirait des tortures et qui ne ressentirait pas de haine envers son tortionnaire. S'il s'interdit ce sentiment, il aura à en subir les effets dans sa chair. Pour autant, réussir à échapper au pouvoir du tortionnaire, ce n'est pas être condamné à vivre quotidiennement avec la haine. Naturellement, le souvenir de l'impuissance et des souffrances d'autrefois peut toujours revenir. Mais avec le temps, il est vraisemblable que l'intensité de la haine va diminuer. Voilà pourquoi il nous faut en payer le prix quand nous essayons de la réprimer. Car la haine a quelque chose à nous dire, sur nos blessures, mais aussi sur nous, sur nos valeurs, notre type de sensibilité, et nous devons apprendre à l'écouter et à comprendre le sens de son message (3).
L'exigence du pardon, que l'on retrouve quasiment partout en dépit de sa charge destructrice, encourage cette trahison du Soi. Préconisée tant par la religion que par la morale traditionnelle, elle est présentée dans divers types de thérapies comme une voie de « guérison «.Le pardon, qu'est-il exactement? Pardonner n'est pas la même chose qu'oublier. Pardonner n'est pas davantage refuser de reconnaître la faute, la nier. On ne guérit pas une maladie en la rayant du dictionnaire. Pardonner, ce n'est jamais s'établir en dehors de la vérité. Parfois, nous nous imaginons que le pardon est un pur acte de volonté, une prouesse de maîtrise de soi. A un moment donné, par un acte de volonté, puis vous vous écriez: «Je te pardonne», et le tour est joué. Est-ce aussi simple? Pardonner n'est pas non plus tout reprendre comme avant la faute, car le méfait laisse dans l'histoire une trace indélébile.
Pardonner, ce n'est pas non plus renoncer à ses droits. L'injustice doit être corrigée dans toute la mesure du possible. L'amour ne remplace pas la justice; loin de la neutraliser, il la porte à sa perfection. Pardonner, ce n'est pas davantage excuser. Car ceci équivaut à minimiser la faute; c'est même ne pas la respecter... Enfin, il y a une manière d'accorder le pardon qui humilie le coupable.
«Trop de mémoire ici, trop d'oubli ailleurs», ce constat sert de point de départ à la réflexion du grand philosophe Paul Ricoeur, qui a sérié les symptômes de la mémoire: cette maladie du souvenir. «Les peuples ne se pardonnent pas mutuellement», les individus peuvent se pardonner, pas les peuples, il y a quelque chose d'impitoyable dans leurs blessures. Ce trop-plein de mémoire s'apparente au demeurant à une forme d'oubli. Dans leurs revendications, les minorités n'oublient en effet ni les humiliations ni les victoires, mais le mal fait aux autres, lui, est toujours oublié. Je me risquerais même jusqu'à dire que le culte d'une mémoire collective crée les conditions de cette cécité à l'égard du malheur des autres. La mémoire se veut incomparable (4).
« Pour Paul Ricoeur, il y a au fond trois grands obstacles à la mémoire. La mémoire empêchée, tout d'abord. C'est la grande leçon de Freud: la mémoire a besoin d'être aidée, parfois même autorisée. La mémoire manipulée, ensuite: par les idéologues et autres démagogues. La mémoire obligée, enfin. Sur ce point précis, je ne dis pas que le devoir de mémoire est en soi un abus. Je dis qu'il y a effectivement un devoir de mémoire, car la dette à l'égard du passé oblige, mais qu'il est «l'occasion» d'abus. On ne peut nier qu'il y a une fonction thérapeutique importante de l'amnistie, une société ne pouvant être indéfiniment en guerre contre elle-même. Mais il s'agit d'un piège terrible, car la frontière entre amnistie et amnésie est très poreuse.....Pour des raisons de préservation de son identité, le corps politique a toujours besoin de faire croire qu'il est indemne, qu'il n'a pas été déchiré en profondeur. Et l'amnistie sert ainsi à préserver l'image d'un corps politique indivisible.». Evitons, comme le préconise Paul Ricoeur, le piège de l'amnésie par une amnistie sans garde-fous. On en conçoit bien sûr le danger: le travail de mémoire ne se fait pas et, pour user d'une métaphore psychanalytique, le retour du refoulé se prépare » (4).
Les expériences de réconciliation de par le monde: la guérison et la justice
Il ne faut pas croire que seule l'Algérie a été confrontée à des catastrophes de guerre civile. Sans remonter loin dans le temps jusqu'à la Saint Barthélemy en France, par exemple ou à l'inquisition ou à l'époque du franquisme en Espagne, plusieurs pays sur les cinq continents ont connu les affres des guerres civiles ou des conséquences de régimes dictatoriaux. Chaque pays ne comptant que sur lui-même, c'est-à-dire sur son peuple, a essayé de sortir de la spirale de la violence, du deuil et de la haine.
On estime que 5 millions d'individus ont péri lors des guerres civiles qui ont endeuillé les vingt-cinq dernières années. L'effondrement de la confiance et l'échec de la conciliation politique interne découlent souvent d'inégalités horizontales et d'une absence de processus démocratique pour le règlement des différends. ...Ce paradoxe est certes en partie dû à une situation de guerre civile. Mais pourquoi ces sociétés sont-elles en guerre? La réponse tient à la qualité de la démocratie. Enfin, de nombreux pays ont eu recours à ce que l'on appelle des commissions vérité et réconciliation pour panser leurs blessures. Les commissions vérité et réconciliation ont formellement été créées en Amérique latine, dans les années quatre-vingt
Depuis, on a constaté qu'elles permettaient habilement de faire la part des choses entre deux nécessités divergentes : la guérison et la justice. Après son élection, en 1983, le président argentin Raúl Alfonsín a nommé une Commission nationale sur les disparitions, présidée par l'écrivain Ernesto Sabato. En 1984, cette instance publie un rapport intitulé Nunca Más (Jamais plus), description glacée de la mécanique de mort mise en place par la dictature militaire. Dans la foulée, les tribunaux argentins jugeaient les membres des trois juntes militaires qui se sont succédé entre 1976 et 1982.
Suite à cette expérience, le nouveau gouvernement démocratique du Chili a, lui aussi, créé une commission vérité et réconciliation, ouverte à un large éventail de partis politiques. La commission chilienne a préféré informer la famille de chaque victime du sort que celle-ci avait connu. Dans la mesure, bien sûr, où il lui était possible de reconstituer les faits. Durant la guerre civile en Colombie, déjà vieille de quatre décennies, plusieurs crimes et abus ont été commis. Les commissions vérité et réconciliation ont été créées, en Bolivie (1982), Argentine (1983), Chili (1990), Salavador (1992), Guatemala (1994) et en Haïti (1994). Après son élection en 1983, le président argentin Raul Alfonsin a nommé une Commission nationale sur les disparitions. Un premier rapport publié en 1984 (intitulé Nunca mas, Plus jamais) décrit les mécanismes mis au point par la dictature militaire (5).
C'est toutefois par l'Afrique que les commissions vérité et réconciliation ont acquis une notoriété mondiale. Les profondes plaies physiques et psychologiques laissées par l'apartheid en Afrique du Sud ont ainsi été exposées aux yeux de tous, avec la participation de chacun et dans une émotion intense... Voilà que, soudain, l'Afrique, dont l'image avait été si ternie par ses dictateurs, montrait la voie au monde par la sagesse de ses prix Nobel, parmi lesquels le président Nelson Mandela et l'archevêque Desmond Tutu (6).
L'amnistie en échange de la vérité: tel a été le grand compromis sud-africain pour sortir de l'apartheid. Bilan: la réconciliation a avancé et le spectre d'un nouveau conflit racial s'éloigne. En 1995 il y eut la création d'une «Commission vérité et réconciliation» (CVR). Présidée par Mgr Desmond Tutu, elle est chargée de recenser les violations des droits de l'homme commises entre 1960 et 1994 et d'indemniser les victimes. Elle n'a aucun pouvoir judiciaire, sauf celui d'accorder l'amnistie aux auteurs de violations qui la demandent, à condition que le requérant «expose tous les faits» et qu'il prouve que ses crimes étaient «politiquement motivés». Dans son livre Demain est un autre pays, le journaliste sud-africain Allister Sparks raconte comment le Congrès national africain de Nelson Mandela (ANC) et le gouvernement de l'apartheid ont été contraints d'admettre la nécessité d'un règlement négocié. «Si vous voulez la guerre, a dit Mandela lors d'une réunion cruciale entre l'ANC et les généraux de droite de l'armée sud-africaine, je dois admettre honnêtement que nous ne pourrons pas vous affronter sur les champs de bataille. Nous n'en avons pas les moyens. La lutte sera longue et âpre, beaucoup mourront, le pays pourrait finir en cendres. Mais n'oubliez pas deux choses. Vous ne pouvez pas gagner en raison de notre nombre: impossible de nous tuer tous. Et vous ne pouvez pas gagner en raison de la communauté internationale. Elle se ralliera à nous et nous soutiendra.» Le général Viljoen fut obligé d'en convenir. Les deux hommes se toisèrent et firent face à la vérité: leur dépendance mutuelle, écrit en substance Allister Sparks. Cette déclaration, acceptée par tous les participants à cette réunion, résume l'un des grands facteurs qui a mené à la création, en 1995, de la Commission vérité et réconciliation (CVR). A la base de tout compromis, il faut que les parties en conflit soient disposées à renoncer à leurs objectifs inconciliables, et tendent ensuite vers un accord qui puisse procurer des avantages substantiels aux uns et aux autres (7).
Finalement, l'accord se fit sur une amnistie sous conditions. D'abord, il fallait donner aux victimes de l'apartheid la possibilité de dire ce qui leur était arrivé: leurs épreuves seraient reconnues publiquement. Ensuite, les auteurs de crimes politiques devraient rendre compte de leurs actes passés en s'engageant à dire toute la vérité. Enfin, on indemniserait les victimes. Un châtiment imprévu: la honte. Au cours de ses audiences publiques, la Commission a entendu d'atroces récits de souffrances et de cruauté. Beaucoup d'amnistiés subissent un châtiment qu'ils n'avaient vraiment pas prévu: la honte d'avoir vu leurs crimes exposés en public. La révélation de leur participation à des actes de barbarie abjects a parfois brisé leur famille, détruit leur respect d'eux-mêmes et leur système de valeurs.
Cette forme de sanctions peut être considérée comme bien plus dévastatrice qu'une peine de prison. De même, le repentir qui amène à solliciter le pardon dans l'espoir d'une réintégration dans la société peut être bien plus réparateur qu'un séjour en milieu carcéral. La reconnaissance publique de l'histoire du racisme en Afrique du Sud représente une forme de réconciliation. L'expérience de la Commission vérité et réconciliation n'a pas été sans heurts. Plus de 7000 personnes ont déposé une demande d'amnistie, dont deux anciens ministres du gouvernement de Pieter Botha et plusieurs hauts gradés de sa police.
La démocratie: le long et unique chemin vers la réconciliation
Dans son Rapport sur le développement humain 2002, qui avait pour thème la démocratie, il a beaucoup été question des droits de l'homme, de la liberté de la presse ainsi que de la culture démocratique plus large. A cela s'ajoutent ces questions essentielles que sont la justice et la réconciliation. «Si j'en crois ma propre expérience, écrit Max Malloch administrateur du Pnud, pas plus que la démocratie, la vérité et la réconciliation ne peuvent s'obtenir à la hâte. J'ai été très frappé par l'expérience du Chili et de l'Argentine, mais aussi par celle de l'Afrique du Sud, où il a fallu laisser passer du temps pour que la réconciliation devienne un processus réellement intériorisé, avec une société qui se sentait suffisamment forte et suffisamment harmonieuse pour aborder ces problèmes à fond. Il faut que la démocratie soit fermement établie, il faut du temps pour qu'on puisse affronter les fantômes du passé sans que cela ne pose de risques pour un président démocratiquement élu. Cependant, le processus de réconciliation est inévitable. ...» Par conséquent, même si l'on peut arguer que ce ne peut être le premier pas, il reste une étape inévitable sur la voie de la guérison (8).
Le sens premier de la démocratie est que tous ceux qui auront à supporter les conséquences d'une décision doivent être en droit de participer à cette décision, directement ou par l'intermédiaire de représentants qu'ils auront choisis... Exclure les groupes qui ont perdu [une élection] de la prise de décision nuit de toute évidence à la démocratie au sens premier du terme. La démocratie est la seule forme de régime politique respectueuse des cinq catégories de droits existant : les droits économiques, sociaux, politiques, civils et culturels.
La quête de la démocratie doit être pour nous l'un des piliers de la réconciliation. C'est un travail de longue haleine qui passe par la pédagogie et l'éducation. Quand on apprendra à nos enfants au quotidien à l'école, à l'université, les cinq fondements de la démocratie, nous pourrons, au bout de beaucoup de patience, d'abnégation et d'endurance dans l'effort, comme le martèle le président, dire «Plus jamais ça !»
Les enseignements à tirer et la spécificité du contexte algérien
«Et nous oublions parce que nous le devons et non pas parce que nous le voulons». Matthew Arnold, poète britannique. Bien que les Algériennes et les Algériens ont été à des degrés divers touchés par le terrorisme, il n'en demeure pas moins que les familles ayant perdu des proches, les familles des disparus et les autres victimes de la tragédie se doivent d'être consultées, convaincues du sens de la démarche. Rien ne peut se faire sans leur adhésion. On comprend pourquoi, lors de ses meetings, le président de la République s'est adressé longuement aux familles des victimes du terrorisme ainsi qu'à celles des disparus pour les convaincre «d'accepter de payer un tribut lourd mais inévitable à la paix et à la sécurité pour tous». Aucune indemnité au monde ne peut remplacer la perte d'un être cher. Cependant il est nécessaire qu'il y ait réparation du préjudice causé. Au-delà de ce problème, la vraie indemnisation des victimes, elle, est morale. L'Etat, écrit Maître Miloud Brahimi, doit faire un geste vis-à-vis des familles des disparus, en disant la vérité sur le sort de ces disparus. Nous le pensons aussi (9).
Compte tenu des expériences des autres pays et dont les recommandations pourraient être transposées à la réalité algérienne, il faut se convaincre que le règlement de la crise qui déchire la société algérienne ne se résoudra pas le 30 septembre. Ni même dans un proche avenir, c'est un processus lent et long qui doit mobiliser en permanence toute la société algérienne.
« ...Il faut maintenant passer, écrit le philosophe Paul Ricoeur, de l'inculpation à la compréhension. Qui dit inculpation dit en effet tentation de disculpation. Désormais, il nous faut nous demander: comment il se fait que nous ayons fait ces choses-là ? La mémoire fonctionne en effet par empilement de couches, d'épaisseurs successives. ... Il ne faut pas chercher à établir une échelle de l'inhumain, l'inhumain est hors d'échelle. Nous sommes par conséquent alternativement dans des rapports de vaine recherche d'unanimité ou alors de contestation, voire de dénonciation. Plus que de dénonciation, c'est de resymbolisation dont nous avons besoin. Et pour cela, il importe que nous retrouvions un vrai sens de la discussion publique, une saine gestion du différend ».(4).
La désymbolisation du monde conduit à l'errance multidimensionnelle (identitaire, religieuse, sociale..) En ce début de 21e siècle, la perte de repères, la disparition des grands récits de légitimité avec la fin des idéologies a naturellement conduit à un retour frénétique du religieux. Nous avons besoin de resymboliser notre monde en croyant en l'avenir, en ne nous dévalorisant pas mutuellement, en ne cherchant pas nos référents à l'extérieur par mimétisme et par tentation névrotique de plaire, en tentant vainement d'avoir l'imprimatur de l'extérieur. C'est une erreur, notre vie est en Algérie, l'imprimatur doit être donné par les Algériens eux-mêmes. D'autre part, l'adhésion des partis politiques devrait être sollicitée.
L'université, qui s'est tenue ou a été tenue à l'écart des grandes mutations du pays, doit être impliquée et sollicitée pour réussir cette réconciliation qui est un travail de longue haleine. La réconciliation pourrait être un nouvel axe de recherche du PNR qui doit s'inscrire dans la durée. Le système éducatif dans son ensemble, doit s'impliquer en créant les conditions d'un apprentissage didactique au quotidien de la réconciliation.
Il faudrait enfin penser à créer une instance (ministère?) de la réconciliation avec des universitaires, des juristes, des sociologues, des hommes de religion, des scientifiques, des historiens, des psychologues, des médecins, en un mot un ministère qui regroupe ce qui a de bien de mieux de plus généreux dans la société. La fin de mission de ce ministère coïncidera avec l'avènement définitif de la paix.
Au-delà de toutes les raisons d'ordre sociale, économique que l'on peut invoquer, il faut bien admettre que nous sommes à la recherche d'un projet de société fédérateur du plus grand nombre, Un projet où les jeunes qui représentent, on l'oublie trop souvent au profit de représentations sans racines dans la société, plus de 75% et qui n'ont pas de parti représentant leurs intérêts. Un projet de société pour former l'Algérie de demain, qui réduise les inégalités, qui fasse que l'on pourra garder nos diplômés autrement qu'en leur proposant des CDD à 8000 Da (70 euros) alors qu'ils peuvent gagner 20 fois plus s'ils arrivent à traverser la mer.
Les Algériennes et les Algériens doivent inventer un modus vivendi qui fera que, sans renier nos repères identitaires et religieux, on puisse être hypnotisé par l'avenir si on veut un jour que ce pays se réconcilie avec lui-même. C'est cela le projet de société qui devrait constituer, de mon point de vue la superstructure de la réconciliation à laquelle nous voulons tant croire.
Les jeunes et les moins jeunes ont le droit de savoir où ils vont. Dans un siècle où ils sont arrosés à longueur de journée par le miroir aux alouettes de la vie à l'européenne, devant le manque de perspective, fruit d'une insertion résignée dans une mondialisation-laminoir et devant l'indigence criante de l'unique média lourd, ils ont l'impression d'être coincés comme des rats.
La réconciliation, c'est aussi se réconcilier avec cette jeunesse qui a perdu ses illusions et à laquelle il faut tout faire pour lui rendre l'espoir. Alors la réconciliation nationale ne sera pas un vain mot.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Discours de Bouteflika au colloque international d'Alger. Ghania Oukazi. Du terrorisme à la concorde civile et à la concorde nationale, Le Quotidien d'Oran, 27 octobre 2002.
2.Table ronde sur la réconciliation nationale. Propos recueillis par Farid B. Algeria Watch El Moudjahid 8 mai 1945.
3.Alice Miller : Qu'est-ce que la
haine ? Traduit de l'allemand par Pierre Vandevoorde. Site Internet.
4. Entretien avec Paul Ricoeur. Propos recueillis par Aude Lancelin. le Nouvel Observateur, n°1870, 7 septembre 2000.
5.http//www.lemondediplomatique.fr/dossiers/ameriquelatine
6.Hayner, 1994 ; United States Institute of Peace, 2000; Garton Ash, 1998.
7.htpp//unesco.org/courrier/1999_12/fr/dossiers.txt.04
8.Mark Malloch Brown, Administrateur du Pnud, Réconciliation nationale dans les pays sortant d'un conflit : le rôle des Nations unies, Conseil de sécurité des Nations unies New York 26 janvier 2004
9.Table ronde sur la réconciliation nationale. Propos recueillis par Farid B. Algeria Watch El Moudjahed 8 mai 1945


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.