Ils s'appellent Mouna Benamani et Mahmoud Algraine, un couple d'artistes qui a élu domicile plusieurs jours durant dans le cadre d'une résidence artistique au 38 rue Didouche-Mourad et faire naître une remarquable exposition... Le vernissage de leur exposition intitulée «Chronique d'une déchirure» a eu lieu samedi dernier pour se clôturer ce mardi 16 octobre 2018. De quoi s'agit-il? Dans le texte de présentation qui accompagne cette exposition, les deux artistes expliquent leur démarche esthétique avant tout «Chronique d'une déchirure est une volonté de matérialisation de celle-ci. Métaphore d'une plaie visible ou latente, une déchirure physique et émotionnelle. Une lacération plastique. Réelle ou abstraite? C'est face à la lumière qu'elle prend forme. Papier et lumière interagissent ensemble, dans un lieu où tous deux se veulent médiums. Dans un espace où ces lacérations créent des ombres profondes et lumières sans les cavités, dépassant les limites bidimensionnelles qui lui sont initialement imposées». Très beau texte qu'on ne pouvait pas laisser de côté. Très belle exposition où quand l'action, ce geste de déchirer, épouse parfaitement le fond, l'intention, afin de révéler nos saillies béantes, quels que soient le degré et la profondeur de notre déchirure. Tout est parti en fait de cet homme, Nait Joudi Abdelkader qui a accepté qu'on mette son nom. Il était d'ailleurs présent au vernissage, le sourire illuminant son visage. Un homme dont le temps pourtant n'a pas trop épargné et pour cause. L'idée de cette expo est partie de son parcours de vie et partant de tous ces hommes et femmes qui ont perdu beaucoup et se sont parfois perdus en cours de route. Cet homme, qui a longtemps travaillé à la télévision algérienne s'est vu menacé par les islamistes intégristes comme beaucoup d'intellectuels artistes à cette époque. L'homme dut s'enfuir à l'étranger après avoir reçu une lettre de menaces, un bout de tissu et un savon, la recette classique du terroriste. 20 ans après ce départ forcé et la maladie venant, l'homme décide de rentrer au bercail, mais les choses ont changé. Largué, on ne veut plus de lui à la télévision algérienne...C'est à lui que rend hommage cette exposition. Et de quelle façon! Grandiose et éminemment émouvante! Le papier comme moyen de transcription des émotions est métamorphosé, ce dernier se décline à l'infini pour former plusieurs tableaux dont le volume rappelle faussement celui du plâtre. Mais dans ce blanc immaculé de notre existence vannée viennent s'ajouter ces failles qui jettent notre âme dans les abîmes. Comme des bouts de souvenirs amers qui reviennent peut-être du passé, ces déchirures faites dans ce papier varient d'un tableau à un autre. Elles sont ce jardin secret blessé qui nous habite, nous perce le coeur. Ce désordre intérieur qui ne peut que perturber les âmes en peine. Abîmé, cet amas de papier amoncelé qui prend l'allure d'un mur défoncé, dévoile dans ses failles comme de la cendre, un trait crayonné au noir qui rappelle une vague silhouette d'un visage ou d'un portrait. Un spectre humain, celui de nos cauchemars peut-être ou des épisodes marquants qui ont jalonné nos vies de drames, de tragiques souvenirs...Mouna Benamani est le maître d'oeuvre de ces murs défoncés, mais dont l'artiste a voulu conjurer le triste sort... Ces feuilles telle une guirlande pesante planent aussi au-dessus de notre tête dans une installation devant laquelle s'amoncellent des tas de verre, comme autant de vies brisées...Abondant dans le même sens et la lumière des Ateliers sauvage aidant, comme ces feuilles déchiquetées, l'artiste photographe a choisi pour sa part d'immortaliser cet homme dans des photographies en noir et blanc puis de venir les déchirer par endroit. Une façon d'exprimer cet effacement d'une partie de soi -même, celle qui renvoie à nouveau à la déchirure...Pas loin aussi, une autre installation met en scène en un fragment d'image le visage de cet homme. Des morceaux d'images qui se trouvent suspendus dans le vide à l'aide de fil au plafond.. Et ce temps qui s'est désormais suspendu comme une épée de Damoclès sur la tête de nos condamnés? A côté enfin, Mouna Benamani achève ce travail éminemment psychologique en revisitant cette déchirure mystérieuse de façon très remarquable, à l'aide de papier encore et toujours pour nous introduire dans un couloir étroit fait de papier, qui laisse entrevoir un trou noir... celui du mal-être qui ronge quiconque souffre..., de l'autre bout de la pièce nous pouvons aussi apercevoir ce grand miroir brisé qui laisse entrevoir la tête penchée de Abdelkader. Ainsi «seule l'obscurité révèle la lumière». Assurément! Notons enfin que ce vernissage a été l'occasion pour Wassila Tamzali, responsable des Ateliers sauvages d'annoncer la 4e édition du Prix des amis de l'IMA pour la jeune création contemporaine arabe. Cela s'est tenu en présence des membres de la Société des amis de l'Institut du Monde arabe laquelle, présidée par Leila Chahid qui est initiatrice du Prix Siama pour la jeune création arabe contemporaine et dont Wassila Tamzali est pour la troisième fois membre du jury. Ce prix a pour vocation de promouvoir la création émergente issue des pays arabes. Doté d'une bourse de création, le prix est destiné aux artistes de moins de 40 ans dont le travail n'a pas encore fait l'objet d'expositions monographiques.