Le nouveau gouvernement en Irak s'est engagé samedi à libérer les manifestants arrêtés pour avoir participé à la révolte populaire lancée en octobre, promettant également justice et dédommagements aux proches des plus de 550 tués. L'allocution télévisée a été diffusée en soirée à l'issue du premier Conseil des ministres du Premier ministre Moustafa al-Kazimi, qui était chef du renseignement quand a éclaté la pire crise sociale qu'ait connue l'Irak post-Saddam Hussein. Cette adresse à la nation intervient également alors que fleurissent sur les réseaux sociaux des appels à relancer les manifestations dimanche. M. Kazimi, qui a obtenu avec 15 de ses 22 ministres la confiance du Parlement mercredi soir, a promis «la vérité sur tous les événements». Il s'est engagé à «faire rendre des comptes à tous ceux ayant versé du sang irakien», alors que le gouvernement de son prédécesseur Adel Abdel Mahdi n'a cessé d'assurer depuis octobre ne pas pouvoir retrouver les «tireurs non identifiés» ayant décimé les rangs des manifestants qui réclamaient un renouvellement total du système et de la classe politiques. Le 1er octobre, dans les premiers défilés de ce qui deviendrait le mouvement social le plus important et le plus sanglant de l'histoire récente de l'Irak, de nombreux protestataires brandissaient des portraits du général Abdel Wahab al-Saadi, «héros» de la reprise de Mossoul aux terroristes, alors tout juste mis à l'écart par Abdel Mahdi. Il a été ré instauré dans ses fonctions à la tête du contre-terrorisme, unités d'élite créées et armées par les Américains, samedi soir par Kazimi -longtemps vu comme l'homme de Washington à Baghdad avant de tisser d'étroits liens aussi avec le grand ennemi des Etats-Unis, l'Iran. Par ailleurs, M. Kazimi a appelé le Parlement à adopter la nouvelle loi électorale nécessaire au scrutin anticipé promis par son prédécesseur. Le nouveau gouvernement s'est présenté comme un cabinet «de transition». Enfin, le nouveau cabinet a annulé une décision prise la veille de son départ par l'ancien gouvernement qui interdisait toute dépense à l'Etat -dont les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités, soit un Irakien sur cinq. Les retraites seront versées dans les jours à venir, a promis Kazimi.. De petites manifestations émaillées de brefs heurts avec la police ont eu lieu hier dans plusieurs villes d'Irak, dont Baghdad, les protestataires disant envoyer «un message» au gouvernement tout juste nommé afin que leurs revendications soient mises en oeuvre. Le 1er octobre, cette révolte inédite par sa spontanéité et son ampleur a éclaté en Irak, provoquant la pire crise sociale de son histoire récente. Le mouvement de contestation réclamant le remaniement complet d'une classe dirigeante jugée corrompue s'est essoufflé après avoir été réprimé dans le sang, avec plus de 550 morts, et les mesures prises par les autorités face à la pandémie de Covid-19 l'ont quasiment fait disparaître. La formation du gouvernement de Moustafa al-Kazimi mercredi devait permettre, assurent les responsables politiques, de tourner la page et d'enclencher les réformes nécessaires au redressement politique et économique d'un des pays les plus riches en pétrole du monde, mais aussi l'un des plus corrompus. Hier, sur l'emblématique place Tahrir de Baghdad, toujours couverte de dizaines de tentes sept mois après le début du mouvement, des dizaines de manifestants étaient rassemblés.»Aujourd'hui, nous envoyons un message», affirme un étudiant.»Nous donnons 10 jours (au gouvernement Kazimi) pour faire ses preuves et s'il ne satisfait pas nos revendications, nous allons durcir notre mouvement», prévient-il. De nombreux Irakiens estiment que le système politique de répartition des postes en fonction des ethnies et des confessions imposé par les Américains après leur invasion en 2003 est arrivé à bout de souffle. Des jeunes jetaient des pierres et des cocktails Molotov sur les policiers qui répondaient à coups de canons à eau et de grenades lacrymogènes et bloquaient le pont al-Joumhouriya, unique séparation entre la place Tahrir et l'ultra-sécurisée Zone verte de Bagdad où siègent les autorités irakiennes. Selon une source médicale, vingt manifestants ont souffert de problèmes respiratoires dus au gaz lacrymogène et aucun tir à balles réelles n'a été enregistré. Des heurts ont également eu lieu à Nassiriya et Kout (sud) entre des centaines de jeunes manifestants parfois armés de bâtons brûlant des pneus en travers des routes et des policiers qui tiraient des grenades lacrymogènes.