Par Dr Driss REFFAS* En m'intéressant à l'histoire antique de mon pays, et en parcourant l'ouvrage de C.A.Julien(Histoire de l'Afrique du Nord- Des origines à la conquête arabe) j'ai été surpris de lire le nom de Robba dans la page 236, où est mentionné le lieu de sa sépulture sous la basilique qui porte son nom à Benian (Ala Miliaria) dans la wilaya de Mascara. Intéressé par l'importance historique que revêt l'information pour ma région, j'ai décidé d'engager minutieusement des recherches. C'était en l'an 2000, le mois d'août.Au bout des trois premières années, tout un pan de l'histoire de notre région du IIè au Vé siècle après;J.Cs'étala devant moi. Le djebel à quelques bornes de Sfisef ma ville natale, dans la plaine du Mcid porte le nom de Robba, envoûta des générations pendant des siècles, précisément depuis l'émergence de l'islam, c'est-à-dire après la conquête arabe. Ce monticule de 80m de hauteur environ, appelé Djebel Lalla Robba par les autochtones, attire par les formes de ses pierres, la curiosité. Mais en fait qui est Lalla Robba?D'où vient-elle, et pourquoi ces pierres aux formes bizarres? «L'énigme Lalla Robba», était le titre de ma première publication dans le quotidien La Voix de l'Oranie le 22 octobre 2002, dans laquelle il était important de mettre en valeur cette élévation par une description physique détaillée. Quatre versants qui se distinguent par de gros blocs atteignant jusqu'à 5 mètres de hauteur, de forme parallélépipédique, collés les uns aux autres. Sur le versant Est, moins abrupt sont visibles des dalles circulaires délimitées par des grosses pierres de même configuration. Des blocs détachés du sommet garnissent les versants. Des formes particulières des blocs de pierres est née la légende d'origine arabo-islamique, selon laquelle: «Dans un passé très lointain, lors de la célébration d'un mariage, une dame, après que son enfant ait fait ses besoins, lui aurait effectué sa toilette avec un gâteau(Msemène). La colère divine s'est abattue sur les fêtards, transformés en pierres, même leurs ustensiles ont accusé le même sort. La dame en question a subi une ascension vers le ciel». Le mausolée mythique Une légende vide de son contenu historique. Il faut mettre l'accent sur le fait que le nom Robba est d'origine chrétienne. Ce n'est qu'après la disparition de l'Eglise chrétienne donatiste vers la fin du VIIè et probablement l'adhésion de ses adeptes à l'islam, que le nom de Robba fut introduit dans le lexique des noms arabo-musulmans.Au bas du versant Est du monticule fut construit un mausolée (kobba ou hawita) pareil à celui des «salihine» qui étaient éparpillés un peu partout dans les champs, près des fermes, au sommet des collines, vergers et vignobles des colons. Une pratique connue des colons pour sécuriser leurs productions qui subissaient des vols.Les indigènes,sont restés très attachés à leur culture traditionnelle islamique. À ce propos, Mohamed Arkoun précise: «Le charisme, le surnaturel, le rêve, les récits légendaires, le messianisme sont les fondements de la connaissance et de l'action dans cet islam rural...»- Arkoun M.: «Penser l'Islam Aujourd'hui»-Laphomic/Enal, Alger 1993- p. 217. Dans le même sillage, le cheikh Ben Badis déclare: «l'islam des Confréries (?uruq) et des «marabouts» n'est que le résultat d'une longue perversion de l'Islam authentique des fondateurs. Perversion qui a débouché sur une sorte de charlatanisme qui fait évidemment le bonheur du colonialisme en ce qu'il réduit l'islam populaire à des pratiques qui n'ont plus rien d'islamiques.» Ce mythique mausolée, abandonné de nos jours, fut construit juste après l'indépendance avec de la glaise et de la pierre des champs, au pied du versant Est du Djebel Robba.Il était visité par les femmes enceintes qui souhaitaient une progéniture féminine. Des prières sont dites en glorifiant «Lalla Robba» qui semble-t-il avait subi une «ascension», dès lors une bougie est allumée et déposée avec un morceau de tissu accroché au mur du mausolée. Si de cette visite est née une fille, elle est prénommée Robba. Ainsi, la vigilance est autorisée, dès lors qu'un récit légendaire, surtout lorsque les raisons n'ont rien d'historique, est lié au phénomène du «maraboutisme». Aussi, il faut admettre que la sacralisation d'un lieu avec une visée maraboutique peut avoir des conséquences tant sur la vérité historique que sur les mentalités locales. Dans cette optique, Adelmadjid Hannoum professeur d'anthropologie au Bard College(Etat de New-York) écrit: «Le récit historique se construit, nous semble-t-il, en dehors de l'historien. C'est la communauté qui, en quelque sorte, est censée énoncer un discours historique, orienté vers un but et souvent une idéologie, c'est-à-dire se construisant comme une mythologie.»-Historographie et légende au Maghreb-La Kahina ou la production d'une mémoire-Annales,Histoire, Sciences Sociales-N°03-1999-P.67 C.A.Julien, dans son ouvrage intitulé 'L'histoire de l'Afrique du Nord des origines à la conquête arabe', il précisa dans la page 236: «Les fouilles opérées à Miliaria(Benian), à la fin du siècle dernier, nous permettent d'évoquer les empoignades sanglantes entre hérétiques et orthodoxes dans la Maurétanie occidentale où le donatisme restait puissant. Ces empoignades mirent à jour les caveaux de plusieurs dignitaires de la secte, notamment celui de la religieuse Robba, qui aurait succombé en l'an 434 sous les coups des 'traditeurs'.» Cette partie du chapitre de l'ouvrage cité, m'a permis de situer la localité de Benian, aujourd'hui Ala Miliaria en Maurétanie Occidentale(Césarienne) pendant l'époque romaine, du nom de Robba et du terme traditeur(1). Une année après, le 27 septembre 2003, ma deuxième publication est apparue sous le titre: 'De Benian(Ala Miliaria) à Mcid: l'énigme de Djebel Robba s'éclaircit.»D'autre part, beaucoup de sources bibliographiques affirment l'existence de la basilique d'Aqua Sirense(Bouhanifia) à sa tête l'évêque Honoratus frère de la religieuse Robba.Effectivement les vestiges de cette cité sont apparentes à ce jour, situés sur des parcelles agricoles privées. L'activité du mouvement donatiste se confirmait davantage dans le vaste périmètre englobant Djebel Robba et ses alentours, Aqua Sirense(Bouhanifia) et Ala Miliaria(Benian). Honoratus, le frère de Robba... Les ruines de l'antique cité d'Ala Miliaria se trouvent à 03 kilomètres à l'Est de la nouvelle ville de Benian, certainement construite sur une bonne partie des ruines, car les habitants ont été souvent surpris de trouver des objets (monnaie, poterie..)en creusant les fondations. Une partie des vestiges des remparts de la forteresse comme décrite par Gsell est encore apparente. Les fouilles entreprises par Gsell avaient mis à jour les sept caveaux des dignitaires donatistes ensevelis sous la basilique de Robba, entre autre le caveau de cette dernière.le site archéologique est devenu une propriété privée où est érigée une ferme. De cette première visite à Benian, est née ma troisième publication le 04 avril 2004 dans le même quotidien, sous le titre 'La basilique de Robba localisée à Benian'. Il est important de souligner qu'Ala miliaria(l'aile des milles cavaliers) était une garnison militaire qui dépendait de Césarée(Cherchell) et qui avait vu le jour vers la fin du IIé siècle et début du IIIé siècle. Elle fut la plus importante unité militaire du Limes(2).Robba est née à la fin du quatrième siècle c'est-à-dire soit en 398, et les cités d'Alamiliaria (Benian)et Aquasirense (Bouhanifia) où résidait Honoratus le frère de Robba comme évêque de la basilique donatiste, distantes de 50kms, ont été édifiées vers la fin du deuxième et le début du troisième siècle sur le long de l'oued El Hammam comme précisé par S.Gsell dans sa publication «Fouilles de Benian.»La découverte par mes soins en 2008 du site archéologique du douar Souabria à Sfisef, et ce avec l'aide précieuse du centenaire Hadj Habib Sabri (Que Dieu ait son âme) à 04 kms environ du Djebel Robba et 20 kms d'Aqua Sirense a conforté davantage mon sentiment sur l'activité donatiste dans ma région natale, durant l'Antiquité. Les tessons à fleur de sol, mis en surface par les labours, et remis officiellement au Musée national A. Zabana d'Oran, ont été datés du IIé et IIIe siècle. I l est à noter qu'une source antique se trouve près du site, appelé par les autochtones Aïn El Karmoud, qui veut dire tout simplement la source des tessons. Aussi les tessons ramassés par un gendarme de la commune du Mcid au niveau du Djebel Robba déterminent la même période. Les données historiques et archéologiques récoltées par mes soins durant plus de 20 années de recherche, confirment que le mouvement donatiste était présent dans les régions de Sfisef, Bouhanifia et Mascara durant les IIIe, IVe et Ve siècle, et que probablement Robba est née dans cette partie du Sud-Ouest de la Maurétanie Césarienne. L'énigme Djebel Lalla Robba, notamment le titre de noblesse 'Lalla ' attribué à Robba par les autochtones au début du dernier siècle, dans le seul but de l'immortaliser de «Walia Saliha» en lui attribuant une «légende», et la construction d'un mausolée de fortune, n'a plus sa raison d'être, du fait que Robba était une religieuse de foi chrétienne, adepte du mouvement donatiste..Aussi, le maraboutisme instauré après la conquête arabe en Afrique du Nord avait comme mission d'effacer l'histoire millénaire du christianisme en Numidie. L'inscription (épitaphe) de la donatiste Robba, fut remise par Gsell à titre de don au musée chrétien du Louvre. En 2015, j'ai pris l'initiative de saisir officiellement la direction du musée du Louvre. Cette dernière après une minutieuse recherche m'envoya le 02 mai 2016, la photo de l'épitaphe de Robba. Un dossier conséquent fut envoyé au ministère de la Culture pour une éventuelle étude archéologique sur les sites de Djebel Robba du douar de Souabria et de Benian. Dans sa réponse du 04 mai 2009, le ministre précisa: «Je vous félicite d'interpeller la mémoire collective pour aller à la rencontre des traces encore fraîches de cette importante phase de notre histoire... Aussi ai-je instruit les services concernés du Ministère de la Culture d'envoyer une mission à Benian et Sfisef pour des investigations sur le terrain, de faire entreprendre une recherche historique afin de préparer un dossier de classement du site de Robba et de sa basilique.»Malheureusement, les sites n'ont jamais été visités par les services concernés du ministère de la Culture.Certainement que Robba la donatiste a vu le jour quelque part dans ce périmètre symbole de l'antique résistance paysanne à savoir Mcid(Sfisef), Aquasirense(Bouhanifia) et Ala Miliaria(Benian). La légende mythique est une expression orale, d'ordre moral, dans le seul but de contourner la vérité historique..Enfin, l'histoire est du vrai qui se déforme, la légende du faux qui s'incarne. * Auteur-romancier Notes: (1)Nom donné aux chrétiens qui, en Afrique, durant les persécutions de Dioclétien, avaient livré aux autorités les livres et les objets sacrés pour échapper à la mort. (2) Frontière romaine fortifiée. Elle était située à environ 200 kilomètres du bord de la mer.
