Ici, en ces lieux fortement boisés, entre Chabet Braham, où romantiquement ne brame aucun cerf, et Taferka, où la nuit rode et ricane l'hyène rayée, le moindre pouce de terrain est l'enjeu d'une âpre lutte entre l'olivier, le pin et le chêne-liège, les trois espèces qui dominent dans ces régions. Mais, alors que, favorisé par la main de l'homme qui le cultive avec grand soin pour ses fruits, l'olivier, avant d'arriver dans ce si beau val, qui, sous la Lune doit prendre un aspect féerique, règne en maître, au-delà de ce val, ces deux rivaux, avantagés par une nature sauvage, se développent de façon anarchique et exubérante, justifiant par-là l'ambition que cette main même qui les combat ailleurs, leur prête: stoper la désertification. Lorsque nous obliquons à gauche, après avoir roulé longtemps sur la route de Tikjda, construite en double voie, la forêt de Taferka apparaît soudain dans toute sa majesté et sa splendeur. Nous posons le pied sur un sol que l'on pourrait croire vierge, mais cette impression est vite démentie par la piste qui zigzague entre les grands fûts de pins. Quelques voitures sont stationnées ici et là dans la futaie. Des camions, des pick-ups. Des hommes en civil, des gendarmes, des pompiers et des garde-forestiers nous ont précédés. Sous le chapiteau de circonstance, le secrétaire général (SG) qui représente le wali à cette Journée nationale dédiée à l'arbre écoute l'exposé qui lui est fait sur la situation concernant le Barrage vert depuis 2022. La main de l'homme Elle est partout et elle pèse sur le destin de nos champs, de nos bois et nos montagnes. Comme sur une feuille blanche, il en dessine les contours, en colore chaque coin pour les amener à ressembler à l'idée qu'il s'en fait. Et qu'est-ce que ces olivaies, et qu'est-ce que ces champs en jachère ou labourés, qu'est-ce que ces bois qui cherchent à mordre sur la route, depuis que nous roulons, sinon de jolis dessins exécutés de main de maître? Aujourd'hui, sous cette tente que n'agite aucun souffle de vent, alors que le ciel reste gris, et que l'on s'attend à de la pluie ce soir, tout ce qui s'est fait pendant les trois dernières années en matière de brise- vent, d'ouverture et d'aménagement de pistes, de plantation forestière et fruitière s'en trouve évoqué et détaillé à la virgule près. Ce ne sont seulement pas les opérations qui sont ainsi déclinées en termes de longueur (km) et de superficie (ha) ou de volume (mares réhabilitées), mais également en termes humains et matériels, en termes de financement pour l'exécution de ces nombreuses tâches. Le montant alloué pour un tel programme peut sembler faramineux. Mais si l'on sait que ces 78 125 000 DA ont servi à financer un programme qui, entre 2024-2025, tend à recréer des écosystèmes détruits par les incendies ou malmenés par des actions humaines; si l'on sait que le programme de 2023, achevé à 84% et qui a profité à 7 communes en créant 171 emplois, on se dit que décidément la forêt a autant d'impact économique sur les communes où de tels projets sont implantés qu'un verger d'arbres fruitiers ou qu'une olivaie. S'inscrivant dans le cadre du Barrage vert, ce récent programme a touché les communes des Hauts-Plateaux, comme Sour El Ghozlane, Dirah, Hadjr Ezarga, Taghdit, Maamoura, Ridane, Hakimia. Moins important que celui de 2022-2023, en matière de plantation, d'ouverture et d'aménagement de piste, celui de 2024-2025 concerne 6 communes et profite à 108 habitants. Il est un autre programme auquel s'attache une ambition pour le moins aussi grande et qui a été également expliqué dans le détail au SG de la wilaya ce matin. À Taferka, le programme national de reboisement prévoit la plantation de 1 000 ha. La wilaya n'en a réalisé que 737 ha. Etendu à 8 communes, dont Bouira, Taghzout, Bordj Kreis, Mesdour, Taghdit, Dirah, Ahl El Kseur et Ouled Rached, il a bénéficié à 14 habitants de ces communes. Lancé en 2020, il prend fin en 2024. Enfin, il y a le Pnud, un projet financé par les Nations unies. Il consiste en la livraison de 12 270 plants. On a choisi le 25 octobre, Journée nationale de l'arbre, pour son lancement avec un premier quota de 8 367 plants qui seront distribués à travers les établissements scolaires, les secteurs concernés comme les forêts etc. Les espèces qui sont privilégiées dans ce projet onusien, sont le troène, le pin pignon, le mélia, le platane et le cyprès et il vise à enrichir de ces nouvelles espèces la forêt Errich qui se compose essentiellement de pins, de chêne et de chêne-liège. Il en faut d'autres de ces projets afin de rendre nos bois plus divers. Nous aimons Tikjda pour ses paysages, mais surtout pour ses cédraies et ses pinèdes formées essentiellement de pin noir et de pin d'Alep. C'est en cela qu'elle diffère des forêts d'Errich, de Hammam Ksana, de Dirah et de Zbarbar. Petit arbre deviendra grand Le SG a suivi avec attention tous ces développements sur les programmes mis en oeuvre depuis 2020 à nos jours pour accroître notre patrimoine forestier et l'enrichir de nouvelles espèces. De sources concordantes, la superficie sur laquelle s'étendent nos forêts est de 112 250 ha. Cette estimation, confirmée ce matin, par le conservateur divisionnaire Souad Yaïci qui nous a rendu les programmes détaillés plus hauts plus accessibles en les commentant pour nous, est d'un recensement assez ancien et peut ne pas correspondre à la réalité. Mais selon notre interlocutrice, c'est le dernier recensement. Force cependant nous est de croire qu'avec les programmes de plantation et de reboisement, comme on le voit plus haut, nos forêts ne cessent de s'étendre comme une tache d'huile. Le chiffre de 150 000 ha concernant leur superficie, cité par une source qui se réfère elle-même aux données fournies par la Conservation des forêts, lors d'une journée de l'arbre, paraîtrait tout à fait crédible. Quoi qu'il en soit, en termes de pourcentage, cela représente 26% de la superficie de la wilaya estimée à 44 39 km2, soit 443 900 ha. Ce patrimoine forestier se subdivise en forêts avec des espèces distinctes. Le pin d'Alep, le plus commun des conifères, occupe 72 626 ha. S'il a la réputation de résister à la sécheresse, il présente, hélas, cet inconvénient d'être très inflammable. À la forêt de Saharidj où le feu avait pris vers la dernière décade de juillet 2023, nous avons, cette nuit vu des pins se consumer en quelques secondes, évoquant pour nous une torche. En termes d'occupation des sols, il est suivi par le chêne-vert qui s'étend sur 10 493 ha. Nous connaissons cet arbre majestueux pour sa force et sa résistance. Mais nous le connaissons aussi pour ses glands, et surtout pour avoir été immortalisé par deux grands poètes: La Fontaine en flétrit l'orgueil dans sa fable Le Chêne et le roseau («Celui dont la tête touchait au royaume des cieux»), et Victor Hugo, Le mariage de Roland, dans La Légende des siècles (Il me suffit de ce bâton. Il dit et déracine un chêne. Enfin, le chêne-liège, présent surtout dans la forêt Errich et à la sortie est de Bouira, en allant vers Haïzer, où il forme 1 821 ha de forêt ou subéraie. Nous savons quelle industrie s'est développée autour de cette espèce. Dans notre wilaya, c'est l'entreprise Zaccar qui en avait l'exploitation exclusive. Ces informations, c'est encore au conservateur subdivisionnaire que nous les devons. La priorité, aujourd'hui, est de poursuivre la même politique qui se traduit concrètement à travers la mise en oeuvre de programmes ambitieux visant à reconquérir les espaces perdus face au phénomène de désertification qui s'est fortement accentuée, ces dernières années, favorisée par une sécheresse sévère. Ce matin, le SG de la wilaya, en se rendant à la forêt de Taferka, dans la daïra de Haïzer, a conscience que le geste qu'il accomplit en plantant un arbre dans cet espace dévasté naguère par un feu, aura valeur de symbole. En voulant l'imiter, chaque responsable au niveau de sa commune, contribue à la reconstitution de nos écosystèmes détruits soit par le feu, soit par la main de l'homme. «Il faut espérer qu'il pleuve», lance un des volontaires venu planter son arbre, lui aussi. Le ciel gris en fait la promesse ce matin. Le SG, tout en continuant à jeter des pelletées pour couvrir le petit arbre mis en terre, appuie ce voeu par un «In Challah». L'année a démarré sous d'heureux auspices. Nos champs, nos forêts n'ont plus rien à craindre d'une année comme celle de 2023 où les feux avaient marqué durablement les esprits dans la région. En posant, qui la pelle, qui la pioche, qui l'arrosoir, chacun a pu contempler ce morceau de terre où de petits arbres, si pathétiques dans leur fragilité et leur aspiration à la vie, promettent de devenir des futaies et jouer ainsi leur rôle qui est, tout en nous fournissant du bois sec et de l'oxygène, de nous débarrasser de l'excès de CO2 contenu dans l'air. La part du feu L'année 2023 a été torride. Le souvenir que nous en gardons est des plus amers. Les récoltes de blé, d'orge et d'avoine ont été détruites dans presque leur totalité. Quant aux incendies qui avaient pris cet été au nord et à l'est de Bouira, ils avaient anéanti plus de 8 000 ha, plusieurs têtes bovines et ovines et causé la mort de trois personnes. Les indemnisations, versées aux victimes et familles des victimes, ont mis un baume sur les blessures et si tout ne fut pas oublié, tout fut surmonté avec beaucoup de courage. Pour être paisible, l'année 2024 n'en a pas moins été exposée aux aléas de ce sinistre, quoique dans une proportion qui rend toute comparaison avec l'année écoulée risible. Qu'est-ce que, en effet, 23,50 ha à côté des 8 000 ha? Une goutte d'eau dans un océan. Et le SG, Faycel Saïdani qui prend la parole au terme de cette Journée nationale de l'arbre, laquelle a permis de planter 600 chênes-lièges et 200 pins pignons, a rendu hommage à tous ceux qui ont pris part à la lutte contre les incendies de forêts. C'était l'armée, la Protection civile, les forêts, l'agriculture, les ressources en eau, les quelque 50 postes de surveillants-ces agents chargés de veiller sur notre patrimoine forestier, recrutés par la Conservation des forêts- mais aussi les citoyens volontaires qui ont été à l'avant-garde de ces gigantesques combats contre le feu. Mais comment lutter contre ce fléau qui menace notre environnement en détruisant nos écosystèmes et la biodiversité qu'ils renferment? Pardi, en plantant, reboisant, nettoyant et débroussaillant. C'est à ce prix-là que nous sauvons la beauté et la tranquillité de nos paysages. Il faut admettre que la situation dans certains sites est devenue critique? Qu'est-ce qu'un oued où on ne peut pas pêcher et se baigner? Qu'est-ce qu'une montagne où on ne voit planer dans le ciel aucun rapace? Qu'une forêt où on ne voit courir aucun lièvre, où on n'entend chanter aucun oiseau et crier aucune bête?