«Il s'agit moins de rendre le peuple heureux. Il s'agit de lui faire croire au bonheur». (Saint-Just) «Il y a une minorité d'Algériens qui s'enrichit de plus en plus, et une majorité d'Algériens qui s'appauvrit de plus en plus.» Cette formule, par laquelle nos concitoyens résument la marche du pays, s'affiche, l'été venu, comme un immense panneau publicitaire visible de tous les coins d'Algérie. Le mercure en hausse oblige au déshabillement. La formule populaire s'étale nue. Et c'est dans un brouhaha indescriptible que se croisent riches et pauvres dans les lieux de villégiature. Voici Sidi Fredj, station balnéaire, ô combien chargée de souvenirs, par laquelle s'évadent, le temps d'un été, les Algériens, répétons-le «riches et pauvres». Du matin au soir, le chassé-croisé des voitures, bus, motos, hordes de piétons...jusqu'à l'étouffement dans toute la zone, donne l'impression que le pays, tout entier, s'est donné rendez-vous sur cet «archipel des rêves». Là, il y a ceux qui mangent goulûment, plongent, nagent, skient, hurlent et le soir venu, dansent. C'est la «jet-set». En face, il y a ceux qui, souvent, sans parasol, exposent leurs maigres corps sur de vieilles serviettes de bain. A 13 heures, le papa ouvre une pastèque qu'il partage, accompagnée de grosses miches de pain, à ses enfants. Ces derniers, les yeux grands ouverts, admirent, sur l'horizon bleu, un skieur nautique. Ils rêvent, à leur manière, d'évasion. Le contraste est plus saisissant sur les marchés avoisinants. Sur celui de Staoueli, un autre chassé-croisé s'installe. Algériens aisés, immigrés et autres privilégiés côtoient les autres compatriotes pauvres, parfois à l'aspect miséreux. Des scènes étranges se passent. Tiens, voilà le Monsieur. Tout le monde l'appelle ainsi. Il est gros, trapu, le teint légèrement bronzé. Il est accueilli par de grands «salamaleks» chez chaque commerçant. Ça doit être quelqu'un. Lui, lorsqu'il sort de chez le boucher, le fruitier ou le boulanger, n'oublie jamais de distribuer quelques pièces de monnaie aux mains tendues à proximité des commerces. Le gamin qui lui garde sa voiture a, souvent, droit à un billet. Un soir, le même personnage entouré d'un couple d'étrangers et d'un autre bonhomme aux cheveux gris, sont installés sur la terrasse d'un bar-restaurant situé entre deux grands hôtels touristiques de l'Etat. Sa table garnie de brochettes et de boissons spiritueuses est différente de celle des autres clients par l'ambiance qui y règne. Le gros, trapu au teint légèrement bronzé, parle fort et rit sans gêne. Il vît un bonheur intense qui irradie ses amis, puisqu'ils s'esclaffent à chacune de ses paroles. Un moment, le gros, trapu...fait signe au serveur qui accourt. Le gros devient grave et semble sermonner son serviteur. Les rires se sont estompés autour de sa table. Un autre, de près de deux mètres de taille, arrive et rejoint la table. C'est le patron du bar. Il fait de grands signes et se confond en excuses. Du coup, arrive, en courant, une femme au dos courbé, dans les mains un seau et un balai raclette. Sous les sermons de son patron, elle trottine vers le fond de la cour. Vers...les deux toilettes du bar-restaurant. Tout le monde alors, a compris que le gros s'était plaint de l'état des toilettes. La table du gros redevint joyeuse, les autres clients ont poussé un grand ouf! Et la dame au dos courbé, surveille l'état des toilettes au garde-à-vous. Une autre scène se répète chaque soir à Staouéli. Dans l'avenue qui va sur Sidi Fredj, une dizaine de restaurants (sans alcool, il faut le préciser) présentent leurs terrasses décorées à l'intention des nombreux promeneurs du soir. C'est joli, bien garni, même les serveurs sont bien habillés et très courtois. Dans ce même quartier, un nombre important de policiers assurent la tranquillité. La circulation des voitures est déviée...Sur les nombreuses terrasses, il y a plein de familles qui mangent à satiété. Là aussi, il y a plein de gamins de Staouéli et des environs qui errent le long des terrasses et regardent ceux qui ont la chance de manger et s'amuser. Cela donne l'impression plutôt d'un bunker pour vacanciers aisés. Manger sous surveillance, voire sous escorte, n'est pas chose banale. Pourtant, c'est ainsi. Chacun pour soi et Dieu pour tous. Le muezzin appelle à la prière. Il est 22 heures passées. Staouéli s'éveille à la nuit. Il est temps pour moi de rentrer.