Après deux décennies d'occupation du terrain, la solidarité nationale, version islamiste, se trouve dépassée par d'autres acteurs. Il est loin le temps où les islamistes et les associations caritatives qui leur étaient inféodées occupaient, à eux seuls, le terrain des actions de solidarité sociale en Algérie durant le ramadan. Aujourd'hui, en plein libéralisme et ses millions de laissés-pour-compte, l'activisme social des islamistes ne cesse de reculer et paraît parfois totalement absent de la scène, donnant l'impression que ce courant politique est indifférent à la pauvreté et à la misère sans cesse croissante de ceux-là mêmes qui constituaient naguère le gros de ses troupes pour la conquête du pouvoir politique. Ce paradoxe, de l'inactivité sociale et même politique des formations et des associations islamistes sur un terrain qui faisait par le passé leur principale force de mobilisation des masses marginalisées par le système politique, prouve que l'activisme islamique est bel et bien en phase de reflux pas seulement sur le plan politique, mais également sur celui de l'entraide sociale. De nouveaux acteurs entrent en scène, notamment les grands groupes financiers et industriels ainsi que d'autres opérateurs économiques privés et publics. Pourtant, depuis le début des années 1980, l'action de tous les mouvements et autres forces d'obédience islamique s'est concentrée avant tout sur cet aspect de la vie de la cité. Leur travail en profondeur de la société algérienne grâce justement à des actions et à des oeuvres caritatives de grande ampleur leur ont permis de mobiliser à leurs thèses des millions d'adhérents ou de sympathisants. De la Rabita à la Daâwa en passant par El-Irchad ouel Islah et l'action sociale du FIS ou d'Ennahda, les islamistes ont toujours su trouver les formules appropriées pour subjuguer la masse des déshérités et les rendre perméables à leurs discours, particulièrement lors des phases de crise économique aiguë par des formules telles que souk islamique, souk Errahma, panier du pauvre, etc. apparus au début des années 90. Certaines associations de solidarité islamistes, à l'instar de celle de Chems-Eddine de Belcourt, étaient même très connues dans la capitale et des ses environs puisqu'elles recevaient la visite de milliers de personnes qui profitaient de ses actions de secours et d'aides en tout genre, particulièrement lors des principales fêtes religieuses. Aujourd'hui, ses locaux sont fermés et son action complètement arrêtée. Les mesures du ministère de l'Intérieur interdisant les quêtes dans les mosquées ont, peut-être, aussi concerné ce type d'associations. Mais le recul des actions de solidarité des organisations islamistes n'est pas seulement dû à des décisions purement administratives ou judiciaires. Il est surtout le fait de considérations politiques aussi bien interne qu'externe qui vont des attentats du 11 septembre 2001 aux médiocres scores électoraux des formations islamistes réalisés lors des différentes consultations populaires de ces dernières années. Les deux faits ont conduit inéluctablement au tarissement des sources de financement de ces organisations, en apparence caritatives, mais qui, en fait, faisaient de la politique politicienne de manière indirecte pour ne pas dire détournée. Résultat: même les bailleurs de fonds locaux ne veulent plus donner ou miser de l'argent sur les partis politiques ayant sous leur coupe ces associations de bienfaisance, et qui sont actuellement confinés à des seconds rôles ou à se contenter de faire de la figuration sur la scène. Par conséquent, en ce ramadan 2002, les séculaires actions islamistes de solidarité nationale paraissent complètement dépassées et par l'effort consenti par l'Etat qui a dégagé pour ce volet solidarité avec les démunis pas moins de 50 milliards de dinars et par les nouveaux venus dans le domaine comme les organisations syndicales (Ugta) ou les grandes entreprises (Sonelgaz, Naftal, Sonatrach, etc.) qui ont programmé de distribuer des milliers de repas par jour aux nécessiteux. Alors les capitalistes et consorts sont-ils en train de supplanter les organisations et par voie de conséquence les partis politiques islamistes sur ce terrain particulièrement sensible de la solidarité nationale et de ses soubassements politiques : la récupération des masses?