D'abord, les résultats, déplorables, de ce conflit : trois enseignants licenciés et cinq autres astreints au déplacement d'office. Les sanctions ont été prises le 9 juillet dernier par la commission paritaire de l'Ismal, érigée en conseil de discipline après avis du ministère de tutelle, selon la direction. Un autre enseignant chercheur, l'unique en son genre à l'institut, a également été suspendu et, d'après lui, son salaire gelé, malgré une mesure de recours introduite suite à la sanction. Les deux parties échangent aujourd'hui bien des accusations, étayant leur argumentaire de “preuves à l'appui”. En définitive, le mal semble être déjà fait, puisque l'Ismal perd un pourcentage précieux de sa matière grise. Il perd des hommes et des femmes que l'université a mis longtemps à former. Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a vraisemblablement jugé sur pièces avant d'autoriser les sanctions, mais il a sans doute échoué dans sa mission originale d'arbitrer raisonnablement les conflits et d'éviter des pertes aussi coûteuses. Dommage ! Car, indépendamment des raisons objectives ou subjectives à relever, l'exil à l'étranger de l'unique spécialiste en pollution marine par les hydrocarbures et la démission de spécialistes en sciences de la mer constituent des compétences en moins pour le secteur lui-même. Panne sèche en haute mer. Hécatombe bien sûr. La confrontation, en fait, a commencé il y a cinq ans. Depuis le remplacement du professeur Rachid Semroud par le chercheur Mustapha Boulahdid à la tête d'Ismal. Au-delà de la personnalité des deux hommes et de leur rivalité, l'opposition a fini par fédérer des groupes à chacune des deux entités et plonger l'institut dans une atmosphère délétère. “Intimidations, humiliations, accusations gratuites, sanctions abusives”, reprochent les enseignants et les ingénieurs, “minorité (…), moyens et méthodes indignes de la profession d'enseignant, de pédagogue et d'éducateur”, réplique le directeur. Mécontents, les enseignants chercheurs et les ingénieurs techniciens ont, tour à tour, parfois ensemble, saisi le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, l'“interpellant quant à la gestion désastreuse” du directeur. Dans une de leur correspondance, ils relèvent la “défaillance” de ce dernier “avec l'accablante complicité des responsables administratifs de l'Ismal et de certains enseignants”. “J'ai toujours agi en fonction de la réglementation et en parfaite coordination avec la tutelle, les acquis de notre institut sous ma direction sont énormes. Il vous suffit pour cela de demander aux autres enseignants et, surtout, aux étudiants. Leurs accusations sont superflues, elles cachent une volonté de déstabilisation qui a échoué”, se défend Mustapha Boulahdid. “Il a bloqué la recherche depuis qu'il est en place, renchérissent les plaignants. Son comportement à notre égard est pour le moins indigne, il use de moyens d'intimidation pour nous dévaloriser. Cela est insupportable. En outre, il se distingue par son opacité, son manque de concertation, rétention de l'information, violation de la franchise universitaire, etc.” “J'en ai enseigné beaucoup dans ce groupe, je ne comprends pas pourquoi ils s'agitent maintenant, c'est-à-dire au moment où les choses commencent à s'arranger, où les acquisitions se succèdent. Ils doivent applaudir la gestion de M. Boulahdid et l'aider à réaliser de meilleures performances”, souligne un des membres du conseil scientifique, entité proche du directeur. La vingtaine d'enseignants chercheurs et d'ingénieurs techniciens qui demandent la “réhabilitation et la réappropriation de l'Ismal” a accentué son action après le séisme du 21 mai. “Il a montré, disent-ils, une terrible insouciance quant à la préservation du matériel technique et des produits chimiques de la bâtisse de Sidi Fredj (30 kilomètres à l'ouest d'Alger). En dépit de notre insistance, les bureaux sont restés fermés, augmentant ainsi les risques d'accidents.” “Faux, rétorque le mis en cause. J'ai pris toutes les précautions nécessaires à la préservation du matériel. D'ailleurs, je viens de recevoir un appel du Contrôle technique de construction (CTC) indiquant que l'évacuation de ces produits n'était pas obligatoire.” La bâtisse de Sidi Fredj, trop vieille pour résister à un tremblement de terre aussi fort que celui du 21 mai, abrite le siège de l'Ismal depuis sa création, au milieu des années 1980. Sérieusement touchée, elle a été classée par le CTC orange 4 : “Evacuation immédiate.” “Au lieu de procéder à l'évacuation des personnes et du matériel, il s'est lancé dans une campagne de mise en congé obligatoire, trouvant refuge y compris dans des histoires de reliquat”, ajoutent les plaignants. “Je ne pouvais pas retenir enseignants et étudiants ici après un tel séisme, surtout au regard de la persistance de leurs agissements négatifs”, s'insurge le directeur. Comme ultime recours, les enseignants chercheurs et les ingénieurs techniciens décident la rétention des notes des examens. De son côté, M. Boulahdid décide de les traduire devant une commission paritaire, érigée en conseil de discipline. Au terme des délibérations, le verdict est brutal : trois expulsions et cinq déplacements d'office. Le sort du professeur Semroud est, lui, scellé au cours d'une réunion de ses pairs, en instance réglementaire, à Bab Ezzouar (est d'Alger). Les recours introduits sont toujours à l'étude au ministère. Les salaires des enseignants et des ingénieurs sont pourtant toujours gelés. “J'ai lancé quatre appels à la raison (par écrit) qui sont restés sans écho. J'ai dû appliquer la réglementation”, conclut le directeur. “Nous continuerons à nous battre parce que la raison nous impose de remettre l'Ismal entre des mains plus sûres”, assurent les enseignants et les ingénieurs. Affaire à suivre. L. B.