Rien ne nous préparait à sa disparition, et surtout pas sa robuste santé qu'il mettait à l'épreuve, à Aïn Sefra, dans des activités agricoles avec une austère simplicité de sa vie intellecto-pastorale. Auparavant, j'avais eu avec lui, c'est le moins que l'on puisse dire, des rapports conflictuels d'une rare intensité, rapports à mettre sur le compte d'un homme à principes. C'est ainsi que, lors de notre soutenance de thèse, le célèbre philosophe Francis Jeanson (principal responsable du réseau des porteurs de valises) ayant été évincé du jury par le recteur de l'époque, Benmiloud refusa de siéger, en tant que directeur de thèse, avec les conséquences que l'on peut imaginer. Tous les professeurs, exerçant actuellement, ont été les élèves de Benmiloud : de Kacha à Bakiri, en passant par Tedjiza, Boudef et moi-même. Personnalité puissante, esprit clair, mais connu et redouté aussi pour sa fermeté et son courage, lorsqu'il s'agissait de ne pas concéder une parcelle de son honneur, il l'a démontré (malheureusement pour la psychiatrie) lors de son opposition au ministre de la Santé de l'époque, avec une démission extrêmement prématurée. Il avait des estimes et des sensibilités qu'il aimait évoquer (M. Seddik Benyahia, ministre de l'Enseignement supérieur), mais il avait également des antipathies tenaces… Big Ben était brillant, remarquable, quand il évoquait les problèmes sociologiques du pays. Il avait une profonde connaissance de son peuple. La certitude de sa mémoire, les évocations historiques, les références gréco-latines, mais surtout arabes, en faisaient un homme qu'on aimait écouter. Au cours du séminaire sur la réforme de la justice, I'homme à la blouse blanche avait subjugué son auditoire, composé de robes noires, de magistrats, d'avocats et de juristes, et par sa connaissance du terrain carcéral. La préface, que le professeur Benmiloud m'a affectueusement “dédiée” dans l'ouvrage sur Boumaârafi, est un reflet de cette personnalité entière, ciselée dans le roc, mais aussi généreuse, sensible, discrète, effacée, en un mot, exempte de banalités. Benmiloud n'aurait pas aimé une quelconque éloquence funèbre à son sujet, mais on demandera à “shab el-baroud” une salve d'honneur pour Khaled Benmiloud, le père de la psychiatrie algérienne, notre maître. B. R.