La question du non-dit et du souvenir refoulé sont les thèmes du dernier roman de Laurent Mauvignier, invité en Algérie, par son éditeur, pour présenter des Hommes. La filmothèque Mohamed-Zinet (Riadh El-Feth) a abrité une belle rencontre littéraire avec l'écrivain français Laurent Mauvignier, dont le roman des Hommes, qui vient d'être réédité par les éditions Barzakh, s'intéresse à la guerre d'Algérie. “C'est un des rares romans français qui arrive à entrer au cœur de cette guerre, mais aussi et surtout des traces qu'elle laisse”, a déclaré d'emblée son éditeur Sofiane Hadjadj. Avec beaucoup de recul et de précaution, Laurent Mauvignier a expliqué les thèmes qui traversent son écriture, notamment la question du non-dit, largement présente dans ce roman de 236 pages, qui raconte l'histoire de Bernard alias Feu-de-bois, un ancien appelé qui a fait la guerre d'Algérie et dont la vie a été littéralement détruite par le souvenir de cette guerre et le non-dit dans lequel il s'est confiné. Déchu et acariâtre, Bernard se consume de l'intérieur, par le souvenir refoulé. Il est comme un feu sans flamme et son surnom n'en est que plus ironique et plus cynique. “40 ans de non-dits et 28 mois de service militaire ont réussi à détruire une vie”, synthétise Laurent Mauvignier, qui a également expliqué que son roman n'apporte pas de réponses et ne distingue pas entre le bien et le mal. “J'essaie de faire un livre qui restitue ces expériences. Qui ne dit pas ce qui est bien ou ce qui est mal”, car, “pour moi, le roman, c'est l'art de poser des questions, ce n'est pas l'art de trouver des réponses”. Selon l'auteur de Dans la foule (qui revient sur le drame du Heysel en 1985, relatif au match entre la Juventus de Turin et Liverpool), estime que “la réalité est beaucoup trop complexe” et son dernier roman des Hommes, paru initialement en septembre 2009 aux éditions Minuit (France), est une manière, pour lui, de “déchiffrer le fait qu'on ne peut pas comprendre. De dire combien c'est indéchiffrable”. La trame du roman des Hommes s'organise autour de quatre temps : l'après-midi, le soir, la nuit et le matin. Et c'est dans le souvenir que la guerre d'Algérie est appréhendée et approchée. Un soir, Bernard réussit, après tant d'années, à se souvenir de ce qui s'est réellement passé durant son service en Algérie. C'est par un flash-back ou plutôt avec un récit analepse que Laurent Mauvignier ramène son personnage en Algérie et le contraint à affronter ses vieux démons, qui ont littéralement brisé son avenir. Pour “représenter quelque chose qui me paraît absolument irreprésentable”, Laurent Mauvignier a saisi l'occasion d'une résidence d'écriture à Berlin, pour écrire cette grande partie du livre, relative à la guerre d'Algérie. Même si lui n'a pas connu cette guerre, son père y a participé. D'ailleurs, à ce propos, Laurent Mauvignier se souvient : “Ma mère m'a raconté, qu'au retour de la guerre d'Algérie, mon père a dit : "J'ai vu des soldats français piétiner une femme enceinte." Et il n'a plus rien dit à propos de la guerre d'Algérie.” En outre, le narrateur dans le roman est polyphonique. Ainsi, les personnages se relayent à relater les évènements. Selon l'écrivain, “c'est quelque chose qui donne de l'intensité et de la vibration au texte”, et parce qu'il n'aime pas le narrateur omniscient, qui sait tout sur tout le monde. De plus, “je n'ai pas le discours de vérité. Passer par la voix du personnage, admet que le personnage peut se tromper”, appuie-t-il. Quant aux questions que pose le roman des Hommes, elles concernent principalement la question du non-dit et du refoulé. “Qu'est-ce que c'est que le refoulé ? Comment vivre avec le passé ?”, sont les questions fondamentales de ce texte fort et perturbant, qui est écrit, d'après son auteur sur un monde bien précis, à savoir “comment faire pour détourner le problème mais sans jamais renoncer à l'affronter”. Par ailleurs, le réalisateur, Patrice Chéreau, portera à l'écran des Hommes en 2012.