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La métaphysique du joystick
Publié dans Liberté le 18 - 06 - 2011

Partant de l'expérience du joueur face à son écran, Mathieu Triclot conçoit une théorie des jeux vidéo.
En général, Socrate s'entretient avec Gorgias, Phèdre ou Ménon. Mais là c'est avec Mario. Et de quoi parlent-ils, Socrate et Mario ? Du bien, du beau, de la justice, de l'ignorance ? Pas tout à fait.
“S : Partons de ta définition. Un jeu vidéo est un programme dans lequel on interagit via une interface, aujourd'hui graphique, et cela pour s'amuser, pour le plaisir et non pour produire quelque chose. C'est bien cela ?
M : Tout à fait, Socrate.
S : Eh bien, prends le Solitaire de Windows. Tu y as déjà forcément joué.
M : Comme tout le monde.
S : Tu seras d'accord pour dire que le Solitaire répond à ta définition : on interagit avec une interface graphique pour se distraire. Et pourtant, c'est juste l'adaptation d'un jeu traditionnel. Cela n'a rien de spécifique. Si quelqu'un voulait savoir ce qu'est le jeu vidéo, tu ne lui montrerais pas le Solitaire, mais certainement d'autres jeux.
M : Sans aucun doute.
S: Et pourquoi cela ? Qu'est-ce qui nous manque si nous ne connaissons du jeu vidéo que le Solitaire ?
M : Je ne sais pas, Socrate.”
Mario va montrer aussi Pong, Final Fantasy, les Sims, les Lapins crétins,Mortal Kombat et autres Space Invaders, si bien que Socrate, comme d'habitude, la trouvera, la définition. C'est par ce dialogue, nullement improbable (Socrate ne voulait-il pas tout apprendre, sachant qu'il ne savait rien ?) que s'ouvre la Philosophie des jeux vidéo de Mathieu Triclot.
Discipline. Philosophe, maître de conférences à l'université de technologie de Belfort-Montbéliard, Mathieu Triclot veut, comme son Socrate imaginaire, définir le jeu vidéo - et non décrire les jeux vidéo. Il sait la difficulté d'approcher un objet qui conserve un “statut d'illégitimité culturelle” en dépit de son poids commercial et de sa diffusion planétaire, et qui, surtout, possède une nature hybride rendant malaisée sa saisie : si on le tire à hue, il rejoint le simple jeu et en revêt les caractéristiques, si on le tire à dia, il intègre le monde de la vidéo, de l'image, de la télévision, du cinéma. Le jeu vidéo peut évidemment être étudié “de l'extérieur”, par la sociologie, l'économie, l'histoire des techniques, la psychologie. Mais de telles études ne diront pas “ce que c'est que jouer à ce jeu-là”. C'est pourquoi, s'est développée une discipline comme les game studies, qui, dans les pays anglo-saxons surtout, a produit une “masse considérable de publications”. Ces game studies, précise Triclot, se divisent “en approches dites "narratologiques", centrées sur les formes de récit” et en "approches "ludologiques" centrées sur les formes du jeu". Ainsi l'un des principaux “ludologues”, Jesper Juul, dans Half-Real : Video Games between Real Rules and Fictional Worlds (MIT, 2005), a-t-il pu fournir un modèle général du jeu : “Le jeu est
1) un système formel fondé sur des règles,
2) dont les résultats sont variables mais quantifiables,
3) pour lequel des valeurs différentes sont attachées à chacun des résultats possibles,
4) dans lequel le joueur fait effort en vue d'influencer le résultat,
5) où il se sent émotionnellement attaché au résultat, et enfin,
6) où les conséquences de l'activité sont optionnelles et négociables.
“Triclot ne se satisfait pas de ces critères, qui surlignent l'idée de système formel de règles (tout comme les mathématiques ?), évoquent à peine les plaisirs du jeu en citant la captation émotionnelle (quelle activité n'engage pas émotionnellement celui qui la pratique ?), mais, finalement, ne caractérisent pas le jeu comme expérience, “expérience instrumentée” - notion qui est au centre de Philosophie des jeux vidéo.
L'essentiel de ce qu'il faut comprendre se trouve en effet dans l'expérience même du jeu, beaucoup plus en tout cas que dans la “description objective des propriétés déposées une fois pour toutes dans le médium”, les spécifications du matériel informatique, les formes graphiques, etc. Aussi une théorie des jeux vidéo doit-elle décrire “la manière dont nous produisons de l'état ludique, ce que nous investissons dans cet état, les styles de subjectivité qu'elle implique”. Pour ce faire, Triclot reprend d'abord la distinction entre game (“les dispositifs d'objets, les jeux avec leurs règles”) et play (“activité protéiforme du jeu”) : estimant que “l'activité "jouer" définit l'objet "jeu"”, il veut, à côté des game studies, trouver une place pour des play studies, “tournées vers la fabrique des expériences, les positions de sujets avec lesquelles jouent les jeux”. Par exemple, si pour les FPS, ou jeux de tir en première personne (first-person shooter), on se contente de regarder ce qui se passe à l'écran, on voit toujours “une suite de massacres opérés à un rythme frénétique” - d'où le fait qu'ils sont toujours mis en accusation (après la tuerie de Columbine en 1999, on a souligné que les deux adolescents meurtriers étaient des adeptes de Doom). Or, un jeu de tir ne se réduit (peut-être) pas à “la violence de ce qu'on peut observer à l'écran”, ni à la jouissance qu'on a de la “diriger” : l'expérience qu'il fait traverser, vu que le joueur connaît les possibilités de chargement et de sauvegarde rapides (F5, la touche de fonction du PC, “définit un point de sauvegarde tout en continuant à jouer, sans ouvrir le menu”, et F9 “permet de revenir à la volée au point de sauvegarde”), tient à la “possibilité extraordinaire d'une répétition à l'infini”, au plaisir “spécifique et gigantesque” de répéter sans entraves une séquence jusqu'à ce qu'elle donne satisfaction : “Quelle forme culturelle, autre que le jeu vidéo, peut permettre cela ? Qui peut rembobiner un film ou tourner en arrière les pages d'un livre et espérer que la suite en sera modifiée conformément à ses attentes ?” Gadget. Ce ne sont là que les prémisses d'une analyse très fouillée. Tantôt Triclot la rend historique, quand il remonte des premières programmations d'étudiants hackers dans les années 60, aux jeux des salles d'arcades de la décennie suivante (“jeux de la perte de contrôle de soi-même”), des consoles de salon, aux jeux de rôle en ligne tels queWorld of Warcraft. Tantôt, il lui donne une dimension psychanalytique, lorsqu'il emprunte à Donald Winnicott le concept d'objet transitionnel pour montrer que le jeu vidéo n'est “ni tout à fait du côté du joueur ni tout à fait du côté de l'écran, mais dans un entre-deux”, au sens où il instaure “une forme de relation magique entre le sujet et l'extériorité, avec des objets extérieurs qui sont en quelque sorte habités, envahis par la subjectivité”. Il use des outils sophistiqués de la sémiologie et de l'esthétique pour saisir “ce qui distingue l'engagement dans l'image que proposent les jeux de celui que construit par exemple le cinéma”. Et ne néglige pas la dimension politique d'un “petit objet”, sinon un gadget, qui a la capacité de concentrer en lui “les logiques les plus puissantes du capitalisme informationnel” - un “capitalisme sans friction”, dont l'idéal serait que l'existence entière basculât. Mais la question qui soutient la Philosophie des jeux vidéo est bien celle de la subjectivité, de “ce que le jeu fait au joueur”. Les jeux vidéo, comme l'a écrit Jessie C. Herz, sont un “entraînement parfait” pour la vie d'aujourd'hui, “où l'existence quotidienne exige une capacité à traiter des informations de plusieurs types simultanément”. Mathieu Triclot constate, lui, que dans les “laboratoires” des jeux vidéo s'élabore une “petite technologie de soi” par laquelle on se produit en tant que “sujet conforme à l'ordre du monde digital”. Rêve ou cauchemar ? On aurait bien besoin que Socrate reprenne sa discussion avec Mario…


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