Il annonce, dans cet entretien, la sortie en novembre prochain en France de leur nouvel album, tout en évoquant le style et les influences de sa formation, et la réalité de la musique diwane en Algérie. Liberté : Vous animez une série de concerts en Algérie durant tout ce mois de Ramadhan et le succès est toujours au rendez-vous. Quel est votre secret ? Tayeb Laoufi : Je ne sais pas si on a un secret, mais si secret il y a, c'est d'essayer d'être le plus possible dans l'authenticité et la sincérité….tout donner, ne rien garder pour soi. Tout ce que le public nous transmet en vibrations et énergie, nous le restituons dans son intégralité. À la fin du concert, il ne nous reste plus rien… On parle beaucoup de vous et très peu de vos débuts… comment s'est formé Gaâda diwane Béchar ? Gaâda, à l'origine, c'est d'abord une histoire de famille (on se réunissait entre frangins pour faire de la musique) puis il y a eu l'“usine”. Un endroit improbable en banlieue parisienne, qui est devenu, dans les années 1990, une sorte de lieu d'expérimentation autour des musiques algériennes, maghrébines et occidentales. C'était un véritable lieu de métissage et de fusions en tous genres. Gaâda est née, au gré des rencontres, dans cette nébuleuse joyeuse, où tout était permis, et tout était possible musicalement. Considérez-vous votre musique comme appartenant à la mouvance folk (à l'image du travail accompli dans les années 1970 par des groupes comme Jil Jilala, Nass el Ghiwane…) ? Et comment vous projetez-vous dans cette musique ? J'aime bien cette définition et la comparaison est plutôt flatteuse pour nous. Les 2 groupes que vous citez, se sont “servis”, dans leur démarche artistique, du patrimoine “malhoune, chaâbi marocain, gnawas” pour construire leur musique. La valorisation du “folklore” et du génie du verbe populaire (darja) était flagrante de leur part. Pour peu qu'on nous le permette, nous nous inscrivons volontiers dans cet héritage. La démarche de Gaâda est en ce sens similaire : le patrimoine est le bien commun de tous, il ne suffit pas de s'en servir. Il faut le restituer en y apportant sa petite touche et surtout, et c'est l'essentiel, le respecter. La musique gnaouie est très populaire en Algérie ces dernières années. Pensez-vous que c'est un effet de mode ou qu'il y a un réel public ? Je pense que beaucoup d'observateurs et de commentateurs se sont “planté” dans leur analyse du phénomène. La raison, à mon sens, est qu'on n'a tellement pas l'habitude que les Algériens (et les plus jeunes surtout) soient séduits par une musique qui vient du terroir, qu'on se dit : “c'est une mode passagère”. Sauf que cette mode à l'air d'être un peu coriace et n'a aucune envie d'être passagère. Le minimum de bon sens serait d'observer plus finement les choses et d'y déceler une sorte de réappropriation, par ce public, de ce qu'il lui appartient : son patrimoine et… “maâlich”, je vais oser un gros mot : son Identité. Quoi de plus normal que cette musique, tellement ancrée au Maghreb, plaise aux Maghrébins. Messieurs et mesdames les “spécialistes”, intéressez-vous à ce qui fait réellement vibrer nos peuples…. Apportez-nous vos propres analyses. N'attendez pas qu'elles viennent d'ailleurs. Cela risque ne de pas nous convenir. Beaucoup pensent que le gnaoui est arrivé aujourd'hui à son point culminant, et que sa survie dépend de la fusion. Êtes-vous d'accord ? La fusion est une voie… ce n'est pas la seule. C'est aux artistes d'être créatif. C'est leur vocation. Le gnaoui a été effectivement “exploité” et remis au goût du jour grâce à des réarrangements musicaux, et c'est très bien. Cela a permis de le sortir du “ghetto”. Maintenant il est nécessaire de passer à l'écriture et la composition dans ce style…c'est ça le challenge ! Je pense que cette musique connaîtra d'autres évolutions, c'est certain, et qu'elle n'a pas dit son dernier mot. En Algérie, nous avons deux festivals dédiés au diwane (national de Béchar, et international d'Alger), selon vous, ceci suffit-il de porter cette musique ? Je pense que c'est bien qu'il y ait ces 2 festivals. Ils existent. C'est un acquis considérable. Cela étant dit, ce qui serait original c'est de pas “pomper” ce qui se fait, déjà, ailleurs. Pour qu'un festival se démarque et porte cette musique “diwane” autrement, il doit s'incarner dans un concept nouveau et original. Une meilleure réflexion doit être portée de la part des organisateurs sur cette idée. Je sais que beaucoup d'acteurs seraient prêts à y travailler pour l'enrichir… ouvrons-leur les portes. Il ne faut pas être frileux. Il faut oser, de l'audace naît l'originalité. Vous préparez un nouvel album différent, avec des compositions inédites. Pourrions-nous en savoir plus ? C'est un album avec des compositions originales d'une dizaine de titres. L'idée est un peu dans l'éclectisme, à l'image de ce qui nous inspire musicalement. Cela va des influences des R'guibates de Tindouf à la rumba zaïroise en passant par du malhoun. Nous avons tenté une adaptation d'un texte de Mustapha Toumi, Soubhane Allah ya l'tif (chanté par le grand El Anka) sur un rythme gnawi et juxtaposé à un texte en berbère. Manière à nous de célébrer le triptyque indéboulonnable de l'identité algérienne : Arabe-Berbère-Africain. Chellali est un titre qui raconte la vie d'un homme parti de son haut plateau natal vers le Gourara. Toute sa vie il a écrit et chanté sa nostalgie et sa souffrance de déraciné. Nous voyageons également à travers la tradition soufie et celle du malhoun sur 2 titres. Nous avons aussi travaillé sur des rythmes purement traditionnels de la région du Touat car nous pensons que la beauté de ces percussions vaut la peine d'être connue. Le reste je vous le laisse découvrir….. à sa sortie.