Le numéro 2 du PJD et président du groupe parlementaire dans l'assemblée sortante, Lahcène Daoudi, s'attendait à avoir entre 70 et 80 sièges sur les 395 que va compter la Chambre des représentants. Les résultats partiels lui ont donné deux sièges de plus. Il en a eu 82. L'annonce des résultats définitifs prévue aujourd'hui pourrait lui en octroyer encore davantage. La victoire est nette et sans bavure. Revenons sur la montée en puissance du PJD. Lors de sa première participation aux législatives en 1997, il n'avait obtenu que huit sièges, mais aux élections de 2002 — les premières du règne de Mohammed VI —, il était passé à 42 sièges et était devenu le premier parti de l'opposition parlementaire. Son ascension a été donc régulière. Le roi Mohammed VI s'apprête à désigner dans les heures qui suivent un Chef du gouvernement islamiste issu de ce parti. Une première au Maroc. Le PJD est suivi du parti de l'Istiqlal, le parti du Premier ministre Abbas El-Fassi, qui a obtenu 45 sièges, selon le ministre qui annonçait les premiers résultats portant sur 296 sièges sur les 395 que compte la Chambre. Le Rassemblement national des indépendants (RNI) et le Parti authenticité et modernité (PAM), deux formations libérales proches du palais royal ont respectivement obtenu 38 et 33 sièges. “Nous ne voterons pas” Le mot d'ordre “mamfakinche” (nous ne lâcherons pas) s'est transformé pour les animateurs du Mouvement du 20 Février en “mamsawtiniche !” (nous ne voterons pas) le jour du scrutin. Le peu d'empressement des Marocains à aller voter aura donné des sueurs froides, durant toute cette journée très particulière, au ministre marocain de l'Intérieur, Tayeb Cherkaoui. Dans la matinée, le taux de participation, à l'échelle nationale, a eu beaucoup de mal à “décoller”. De 4% à 10h, le taux est monté péniblement à 11,5 % à 12h. De 22% à 15h, il est passé ensuite à 45% à la fermeture des bureaux de vote. Ouf ! Le ministre peut enfin souffler et déclarer à la presse qu'il s'agit bien d'un “scrutin historique”. Est-ce à dire que la page de la désillusion des électeurs marocains à l'égard de leurs hommes politiques est définitivement tournée ? Rien n'est moins sûr ! Les contestataires du Mouvement du 20 Février appellent de nouveau à manifester. Entrepreneurs électoraux Contrairement à l'Algérie ou encore la Tunisie, le Maroc n'a pas connu de “parti unique”. Il existe une tradition pluraliste depuis l'indépendance du pays. Ce qui n'exonère pas, hélas, le Maroc d'avoir, lui aussi, une classe politique honnie par le peuple. “C'est l'histoire politique du royaume qui a fait en sorte que les Marocains se soient longtemps désintéressés de la chose publique et en sont même devenus, pour une large part, complètement dépolitisés”, explique-t-on. On apprend que les autorités marocaines ont écarté une centaine de candidats connus pour avoir acheté ou tenté d'acheter des voix. On les appelle au Maroc les “entrepreneurs électoraux”, un euphémisme du mot “beggaras” qui signifie, chez nous, maquignons. Ce sont eux qui font fuir l'électorat ! Tweeter vs 2M Finies les grandes soirées électorales devant la télévision, l'heure était hier aux réseaux sociaux. De nombreux Marocains ont suivi ainsi le dépouillement en temps réel à travers notamment Tweeter. Le Rassemblent national des indépendants (RNI) a innové, pour sa part, en mettant en ligne des flash-infos à intervalles réguliers et ses meetings de campagne en live streaming. La formation de Salah-Eddine Mezouar, ministre des Finances du gouvernement sortant, se fait une fierté d'être le premier parti politique à avoir investi les applications iPhone et iPad. Une première en Afrique. Cela ne l'a pas sauvé de la débâcle électorale lui et ses amis du G8. Où est passé M6 ? “Où est passé Sidna ?” se sont interrogés ironiquement certains opposants au palais. Dès le lancement de la campagne électorale, Mohammed VI n'a pas réapparu. Son absence signalée notamment le jour de la fête de l'Indépendance du Maroc, le 18 novembre, avait sauté alors aux yeux de nombreux observateurs. Dès lors que son séjour en France eut été rendu public, des patriotes marocains n'ont pas manqué alors de fustiger sa présence chez l'ancien occupant à une date si symbolique. Et ce n'est pas la première escapade de M6 par temps agité. En janvier dernier, en plein Printemps arabe, le souverain s'était déjà retranché dans sa propriété de Betz, dans l'Oise, acquise par son défunt père, le roi Hassan II. “Sidna travaille !” Des sources proches du palais ont fait valoir que le roi prend du recul. L'image d'un roi au-dessus de la mêlée est cultivée ici à souhait. “M6 aurait décidé, cette fois, de se retirer dans son château pour signifier à l'opinion qu'il est au-dessus des vicissitudes partisanes et qu'il n'entend pas interférer, d'une manière ou d'une autre, dans le débat politique en cours.” Quoi qu'il en soit, vendredi, jour du scrutin, le roi a, quand même, accompli son devoir électoral à Rabat, accompagné de son frère Moulay Rachid. Et, bien sûr, les mauvaises langues continueront à dire qu'il n'était là que pour les caméras et qu'il ne devrait pas tarder à repartir. Pourtant à tout seigneur tout honneur. L'ouverture politique au Maroc n'a pas attendu le Printemps arabe. On y parle même d'une décennie de réformes M6. À son intronisation, le jeune roi s'est naturellement accommodé d'une “cohabitation” avec des partis d'opposition. Aussi, pour beaucoup d'observateurs, M6 pourrait très bien gouverner aujourd'hui avec des islamistes. “Et puis c'est dans l'air du temps, n'est-ce-pas !” Un trublion nommé Qatar Jeudi, la veille du scrutin, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Tani, émir de l'Etat du Qatar, était en “visite-surprise” au royaume. Il a présidé, en compagnie de Mohammed VI, une cérémonie de signature de quatre accords de partenariat dont l'un porte sur la création d'une autorité d'investissement touristique au Maroc qui serait doté d'un capital de 4 milliards de dollars. Le scrutin a été mis à profit pour annoncer une embellie des relations entre les deux dynasties. Il faut savoir que depuis le référendum constitutionnel, il y a cinq mois, l'émir du Qatar est venu, au moins, à quatre reprises au Maroc. Certains croient surtout déceler dans la présence de l'émir du Qatar au Maroc, à la veille de ce scrutin important, une “vente concomitante” consistant à mettre en selle, là aussi, un parti islamiste (PJD) à la tête du prochain gouvernement. Alger-Rabat, je t'aime. Moi non plus ! Beaucoup évoquent, non sans raison aussi, une vague mission de “bons offices” de l'émir de l'Etat du Qatar entre l'Algérie et le Maroc pour résoudre le “problème” frontalier. La médiation qatarie ferait partie d'une feuille de route du Conseil de coopération du Golfe (CCG) décidé, semble-t-il, à mettre fin au différend entre Alger et Rabat. Il faut surtout signaler sur ce registre des relations algéro-marocaines, la couverture “exceptionnelle” par la télévision publique algérienne des élections législatives marocaines qui n'est pas passée, ici, inaperçue. Car comment expliquer, en effet, que la télé algérienne n'ait pas couvert le référendum sur la Constitution en juillet dernier, un événement électoral autrement plus important ? Que s'est-il passé depuis ? Un traditionnel échange de politesse ? Sans doute. Mais encore ! L'islamisme aux portes de l'Europe “On se croirait à l'ère des "fouthouhat" (conquêtes musulmanes), au temps de Tarik Ibn Ziad.” Mis à part le fait que l'Algérie continue à faire de la résistance, beaucoup pensent déjà que l'Espagne restera, à quelques encablures de l'Afrique du Nord, le dernier rempart contre l'islamisme triomphant. M.-C. L.