Ce qui s'est passé, hier matin, à l'hôtel Essafir est grave. Très grave. L'association que préside Mustapha Boughouba et qui voulait tenir une conférence de presse s'est vu refoulée sur le perron de l'établissement de peur qu'elle n'évente des noms de faux moudjahidine qui écument nos institutions. C'est un immense scandale, un outrage aux principes de la république que de clouer le bec à des citoyens qui veulent simplement dire la vérité. La vérité sur ceux qui ont manipulé, déchiqueté l'histoire, pour en faire un fonds de commerce, un moyen d'ascension sociale et de promotion politique. Quel affront fait à la mémoire des vrais maquisards que d'offrir — sans jeu de mots — des attestations de “moudjahidine” à tour de bras, comme on le ferait pour les actes de naissance ! Ce sacrilège est, sans doute, dur à avaler pour les héros de Novembre encore en vie qui rêvent d'une chose : que le bon grain soit séparé de l'ivraie. Mais cette vérité-là gêne terriblement ceux qui profitent de cette usurpation de la mémoire. C'est sans doute pour cela que Boughouba et ses amis ont été renvoyés manu militari de l'hôtel Essafir. L'affaire ne devait pas être ébruitée. Il fallait plutôt l'étouffer autant que faire se peut, pour protéger une faune de faux moudjahidine qui continuent de jouir toute honte bue des privilèges, ô combien nombreux, que leur procure un statut qu'ils doivent à la l'incurie de l'administration et à la sacro-sainte loi de l'omerta. C'est connu, les autorités recourent à ce subterfuge éculé — réclamer des autorisations de réunion — pour obtenir le silence voulu. Cela a été le cas, il y a une année, quand la même association avait essuyé une rebuffade pour sa rencontre avec les journalistes à la salle de conférences de la Maison de la presse. C'est que, en haut lieu, on souhaite vivement que Boughouba et ses amis se taisent. Définitivement de préférence. Et le cas de Benyoucef Mellouk, qui a eu le mérite d'être le premier à avoir rendu publique cette scabreuse affaire connue sous l'appellation de “magistrats faussaires”, est édifiant quant à la capacité de nuisance de ceux qui sont directement impliqués dans ce trafic éhonté et qui ont la haute main sur l'administration. Cette pratique s'est vérifiée, également, lorsque l'ex-président du Syndicat national des magistrats a voulu tenir une conférence de presse dans le même hôtel, Essafir, pour raconter sa version des faits au sujet du traitement par la cour d'Alger du dossier du FLN. En l'occurrence, Ras El-Aïn a été prié de surseoir à sa sortie médiatique après y avoir été initialement autorisé. C'est que la loi est toujours la même : celle du silence. Et le sort réservé, hier, à l'initiative de Boughouba n'est du reste pas surprenant, surtout qu'il avait promis de citer des noms de faussaires. Et pas des moindres… Les autorités, peuvent-elles pour autant réduire au silence indéfiniment ces gens qui dénoncent les trafiquants en tout genre ? Le ministère des moudjahidine, concerné en premier chef dans cette affaire, ne doit pas rester dans sa tour d'ivoire. Il y va de sa crédibilité déjà largement entamée par ce commerce florissant du fameux “trois volets” ; document qui, par une alchimie bien algérienne, transforme l'ami du coin, voire le harki, en valeureux martyr de la glorieuse révolution. Le président de la république avait promis de faire la lumière sur ce dossier. Il avait même installé une commission d'enquête présidée par un général. Cependant, l'adage bien de chez nous a été appliqué à la lettre : la commission sert à noyer les problèmes. Tout juste. Et à la veille de l'élection présidentielle, ce dossier devrait s'imposer comme un thème majeur de la campagne électorale, parce qu'il engage le passé et le présent et hypothèque l'avenir des prochaines générations. H. M.