Architecte de la destitution du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013, le général, devenu maréchal, avait pourtant démissionné avec l'ensemble du gouvernement de Hazem El-Beblawi il y a une semaine, sur fond de grogne sociale dans le pays déserté par les touristes et à l'économie exsangue. Ce qui laissait penser qu'il se présenterait rapidement à la prochaine présidentielle, dont les règles exigent, notamment, des candidats qu'ils ne fassent pas partie du gouvernement. Une énigme pour un maréchal assuré de gagner sans coup férir. À moins qu'il ne fasse pas trop confiance non pas à sa bonne étoile mais à d'éventuelles embûches. La situation de l'Egypte est, en effet, des plus délétères : le risque de révoltes sociales aux conséquences désastreuses n'est pas écarté. Sans compter des pro-Morsi qui n'ont pas baissé les bras malgré la répression féroce. Al-Sissi sait donc que sa présidentielle peut ne pas se dérouler dans la sérénité et le calme, qu'il lui faudra donc louvoyer entre les récifs tout en allant vite. C'est pourquoi, apparemment, il s'est gardé le poste de ministre de la Défense dans le gouvernement qui va préparer les élections. Le chef de l'armée égyptienne et ministre de la Défense, le maréchal Abdelfatah Al-Sissi, qui ne cache plus sa ferme intention de se présenter à la magistrature suprême prévue au printemps, a donc lui aussi prêté serment samedi avec le nouveau gouvernement. Pour autant, sa décision de rester ministre de la Défense ne signifie pas qu'il ne briguera pas la présidence égyptienne. Selon ses proches de l'armée, il conserverait son portefeuille ministériel jusqu'à la promulgation de la loi électorale encadrant le scrutin présidentiel. Entre-temps, il va utiliser le remaniement inopiné pour essayer d'améliorer la situation économique de ses électeurs et se prévaloir durant sa campagne électorale d'un gouvernement au bilan positif, alors que l'équipe Beblawi avait été démissionnée sur fond d'aggravation de la crise économique, de grèves dans différents secteurs et d'attentats à répétition. Son remplacement par l'attelage Ibrahim Mahlab, ne devrait pas changer grand-chose à la donne du pays, à moins que l'Arabie Saoudite et le Koweït consentent à des crédits supplémentaires à Al-Sissi à qui les deux pays ont déjà débloquer une enveloppe de 12 milliards de dollars, pour avoir débarrassé l'Egypte des Frères musulmans. En outre, le maréchal devrait pouvoir également compter sur la Russie avec laquelle il a rabiboché son pays après des décennies de fâcheries, conséquemment aux accords de Camp David de 1978 qui ont marqué l'alignement de l'Egypte sur les Etats-Unis. Pour revenir à Mahlab, Al-Sissi, de l'avis des politologues au Caire, n'a pas eu la main heureuse. Le nouveau Premier ministre est un cacique du parti du président Hosni Moubarak renversé par la révolte populaire début 2011. Des électeurs s'interrogent sur le choix de cet homme pour conduire le pays vers l'élection présidentielle. Certains vont jusqu'à suspecter Al-Sissi de vouloir rétablir l'ordre ancien. Au Caire, des voix autres que celles de l'opposition islamiste pro-Morsi, déclarées hors la loi, voire de "terroristes", commencent à s'élever pour condamner les velléités autoritaires du prochain président. Al-Sissi, agacé par les exigences démocratiques des Occidentaux, notamment les Etats-Unis, serait séduit par le système Poutine qu'il a visité 12 février à Moscou en quête de soutien et de contrats d'armement. Le maréchal a mis à profit son séjour moscovite pour exprimer publiquement son mécontentement envers les Etats-Unis dont plusieurs responsables politiques avaient dénoncé son coup d'Etat et dont le Congrès menace de prolonger la suspension de l'aide américaine (les Etats-Unis versent chaque année à l'Egypte près de 1,3 milliard de dollars d'aide militaire et environ 200 000 dollars d'aide civile, des montants qu'ont récemment éclipsé les 20 milliards de dollars proposés pour cette seule année par l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït). Al-Sissi a fait son marché à Moscou : des avions de chasse et des hélicoptères de combat, à hauteur de 2 milliards de dollars, payés par les Emirats arabes unis. Le rapprochement entre Sissi et Poutine n'augure rien de bon pour l'avenir de l'Egypte, selon les acteurs de la révolution du Nil. Au Caire, la liberté de ton est réduite à une peau de chagrin avant de disparaître, les partis politiques et personnes insatisfaites de la tournure de la situation, menacés de diabolisation, présentés comme des agents de l'étranger... Des manœuvres qui ne sont pas sans rappeler la politique intérieure de Poutine lui-même. Mais est-ce suffisant pour calmer le jeu. La tâche est d'autant plus difficile que les grèves se multiplient dans tous les secteurs, refroidissant des investisseurs déjà méfiants. L'autre défi du prochain président post-islamiste : combattre l'insécurité. L'Egypte fait face à une vague terroriste, à une multiplication des manifestations de protestation des Frères musulmans, et à une explosion de la criminalité. Al-Sissi a expérimenté le "tout-sécuritaire". Sans succès. D. B Nom Adresse email