La manière dont le jeûne du Ramadhan est appréhendé en Algérie et le climat dont il couvre le pays sont explicitement symptomatiques des quelques maux qui gâtent notre société. Bizarrement, l'observation du carême constitue l'unique obligation unanimement exigée de tous, même si, pour le commandement divin, ce devoir, et celui du pèlerinage, sont assortis de la mention “pour celui qui peut”. L'individu est soumis à une surveillance collective, dans une communauté où, par ailleurs, il ne vient à l'idée de personne de vérifier l'application concrète et individuelle de “piliers” obligatoires, comme la prière ou la zakat, si ce n'est de la part des prosélytes patentés et des activistes islamistes. Vis-à-vis du public, l'abstinence libère la personne de toute autre impératif rituel et même de toute discipline éthique. Le voleur continue à voler et le trafiquant à trafiquer, tout en jeûnant. Mais le mangeur diurne qui s'isole pour commettre son “méfait” a plus de chance de se faire repérer par la vigilance populaire que chapardeur de téléphones mobiles qui sévit dans le populeux marché. Entièrement mobilisée pour s'assister dans l'épreuve de l'abstinence, la société s'autorise, et autorise à ses membres, à tous les travers “collatéraux”. Cela donne les tristes scènes des déambulateurs oisifs, des employés absentéistes, des pelotons d'acheteurs insatiables, des automobilistes empressés, des passants irritables jusqu'à la violence… C'est le règne de l'instinct. Et, une fois honorée l'exigence de privation alimentaire temporaire, tout est permis. On peut donner libre cours à ses inclinations qui, pour une fois, s'exposent, sans presque aucune restriction : l'avidité d'une communauté qui libère, pour un mois, un nombre impressionnant de commerçants improvisés, la gloutonnerie maladive d'une société tout entière tournée, dans ses occupations et dans ses discussions, vers le fascinant repas du ftour. Le soir venu, une vie parallèle s'organise, où les inconduites refoulées la journée se réveillent pour partie. Les jeux de hasard, comme le loto de cafés, fleurissent dans les établissements supposés abriter la convivialité de gens enfin repus et délivrés de l'épreuve de la faim. Un mois censé apporter piété et retenue n'aura finalement fait qu'éclater certains avatars sociaux sous la pression d'une abstinence dénuée du recueillement et de la concentration mentale qui devaient l'accompagner. Les autorités, ravies de voir tout un peuple embourbé dans des tracas digestifs, hagard, irascible, fourmillant, déserter le terrain de la contestation sociale et politique, les y encouragent en levant l'application des lois qui régissent le commerce, la conduite et les activités sur la voie publique, l'hygiène, la circulation, etc. Et en chargeant, dans le droit sens de nos légers réquisitoires, quelques mystérieux spéculateurs de tous nos maux sociaux Tout se passe comme si Ramadhan dispense de retenue tant que le spectacle peut se justifier par le devoir du jeûne. C'est, à l'évidence, le moment de sonder la profondeur de notre régression civique et faire l'autopsie de nos valeurs perdues. Avec la pieuse contribution de notre Etat. M.H.