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Droits de l'homme et identité : chemins de traverse
Contribution
Publié dans Liberté le 27 - 12 - 2014

L'association Amusnaw m'a fait l'honneur de m'inviter pour animer une conférence dans un jour important pour moi et, je crois aussi, pour toute une génération qui a introduit dans le champ politique algérien le thème des droits de l'homme longtemps ignoré ou diabolisé par les pouvoirs algériens.
Que tous les membres de cette organisation trouvent ici mes plus vifs remerciements pour cette disponibilité dont je mesure le prix et la valeur.
L'individu nié dans le mouvement national
Aujourd'hui, le concept des droits de l'homme fait partie du discours quotidien en Algérie et il faut s'en féliciter. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, la simple évocation de ce sujet était l'objet de dénonciations épiques de la part des forces politiques y compris, hélas celles se réclamant du progressisme. Pour ces dernières, les droits de l'homme ont longtemps été brocardés en tant que valeur "bourgeoise" destinée à distraire les masses populaires des tâches d'édification nationale ; pendant que le pouvoir, qui y voyait une ingérence étrangère, opposait aux droits citoyens l'idée de droit des peuples, les deux notions étant naturellement antinomiques.
Une première explication à cette marginalisation des droits du citoyen renvoie à la nature des deux dernières occupations subies par l'Algérie. La période ottomane a réduit la relation entre le pouvoir et les autochtones à une dépendance où les Algériens, bénéficiant de la protection turque contre les menaces du monde chrétien, concédaient leur exclusion de toute forme d'aspiration à l'exercice d'une responsabilité politique ou militaire, ce qui en faisait par principe des sous-citoyens.
La domination française a, en quelque sorte, reconduit en l'aggravant une forme d'administration semblable à la tutelle turque à travers le code de l'indigénat qui réduisait les populations locales à un magma géré par des lois scélérates.
Mais outre ces deux phénomènes d'essence politique, il y a le fait que le refuge dans la religion, seul espace où la communauté pouvait se reconnaître et s'immerger, ne facilitait pas la promotion de l'autonomie personnelle, l'islam, quand il est investi comme cadre exclusif d'organisation politique, conçoit la communauté des croyants mais pas celle des citoyens.
Les pesanteurs extérieures
Voilà très rapidement dans quelle conditions les Algériens du début du vingtième siècle ont dû inventer des codes politiques qui les introduisent dans la modernité. Même avec l'avènement du mouvement national, après la naissance de l'Etoile nord-africaine en 1926, le combat des nouvelles élites, pourtant largement inspiré par la révolution française de 1789 qui consacrait les droits du citoyen, continueront d'ignorer ce sujet. La naissance de la première organisation indépendantiste à l'ombre du Parti communiste français faisait de la question sociale, par ailleurs d'une brûlante acuité, une priorité majeure; les considérations idéologiques propres aux partis marxistes-léninistes, laissant, par ailleurs peu de place à l'homme - être unique - qui ne devait se libérer du colonialisme, et plus généralement s'affranchir du capitalisme, que dans la révolution prolétarienne.
Plus tard, Messali liera l'existence de la communauté algérienne à sa dilution dans une nahdha éthérée dans laquelle il convenait de s'immerger collectivement.
A ces environnements tutélaires qui ont présidé à la naissance puis au développement de l'ENA s'ajoute une contrainte stratégique : le régime colonial réprimant toute forme d'organisation autonome a, de fait, favorisé l'élaboration d'un discours sommaire et globalisant qui esquivait avant de l'interdire puis de le combattre violemment toute expression dissonante du groupe.
La diversité et a fortiori la pluralité seront entendues et traitées comme des fissures suscitées ou, en tout cas, exploitées par l'ennemi ; autant dire des formes de compromission voire de trahison. Et cela dure.
L'irruption de la citoyenneté
Si on excepte la furtive polémique épistolaire entre Imache Amar qui opposait dans l'ENA la démocratie des villages berbères à Messali quand ce dernier commençait à se laisser tenter par l'exclusivisme arabo-islamique, on ne trouve pas, dans les structures des partis nationalistes, de trace de débat serein et durable dédié à la place du citoyen dans la cité algérienne.
On peut dater avec la brochure Idir El Watani, publiée lors de la crise de 1949, l'apparition de la question des droits de l'homme implicitement ou explicitement formulée à travers les revendications liées au fonctionnement démocratique d'un parti par opposition aux orientations messianiques de Messali et la mise en perspective d'un Etat de droit imprégné de son histoire multimillénaire et de sa sociologie, nécessairement plurielle dans le cas algérien.
C'était la première fois que des militants prennent la parole dans un parti nationaliste, en l'occurrence le PPA-MTLD, pour inviter à la discussion autour de l'histoire du pays, ses composantes culturelles, la façon d'envisager les modèles d'organisation de la vie publique selon ses réalités...
La réaction inadaptée et violente de la direction du parti opposée à cette initiative avec les terribles coûts politiques et humains qui s'en sont suivis a non seulement pesé sur la préparation et le cours de la guerre mais grève aujourd'hui encore la construction algérienne.
Je peux témoigner que c'est dans cette tragique séquence que ma génération, sevrée de repères et d'orientations, a trouvé les premiers éléments de l'élaboration de sa conscience politique. Le chant Ekker a mmi-s umazigh, le nom de Laimèche Ali, les destins tragiques de Benai Ouali, de Amar Ould Hammouda ou de M'barek Aït Menguellat ont été les chandelles qui ont scintillé sur les chemins brumeux de notre enfance et de notre adolescence, quand bien même ces luttes, ces vies et ces parcours étaient-ils ignorés ou franchement décriés dans la sphère publique.
C'est donc par le raccordement de nos premières intuitions politiques à la crise de 1949, dont on ignorait pourtant l'essentiel des détails, que nous avons trouvé un point d'appui démocratique qui légitimait notre combat.
En un mot, c'est par la revendication identitaire que nous sommes parvenus à nous installer dans un espace politique conforme à nos aspirations citoyennes.
Transmission générationnelle
Mouloud Mammeri était isolé et déjà vilipendé par l'assaut lancé contre son roman la Colline oubliée publié en 1953 par les intellectuels organiques acquis à l'hégémonie arabo-islamique regroupés dans le périodique le Jeune musulman animé par Taleb Ahmed Ibrahimi et dont le livre récemment publié par Hend Sadi (la Colline emblématique) révèle l'âpreté des enjeux. Avec le recul on peut dire que l'écrivain qui aura dédié sa vie à la culture amazigh aurait eu plus de peine à nous sensibiliser si nous n'avions pas eu écho du combat et du martyre des militants de 1949.
Après notre sortie de prison en 1980, nous avions organisé le séminaire de Yakourène pour tenter de donner un minimum d'assise politique et doctrinale à notre mouvement. L'histoire se répétait en quelque sorte. Toutes choses égales par ailleurs, on notera que de la même façon que le 1er Novembre 54 avait précédé la plate-forme de la Soummam qui avait exposé les causes et les objectifs de la guerre, le séminaire de Yakourène a suivi l'explosion d'avril 80 au lieu de la devancer. Singularité algérienne où c'est l'action qui engendre la réflexion. C'est que les fermetures du système FLN face à toute velléité de libre débat n'avaient rien à envier à la censure du système colonial.
Le document produit à cette occasion porte les stigmates de son environnement politique et idéologique. La vulgate marxiste y est prégnante et le poids de la propagande officielle, dont ne s'étaient pas affranchis tous les participants — même formellement décriée — ont impacté en partie les résolutions et le contenu final du texte s'en est ressenti. La symbiose qui avait rassemblé les élites et la population berbérophones a été altérée par des présupposés dogmatiques sans réel écho avec ce qui se passait sur le terrain.
Du coup, tout le monde se rappelle d'avril 80 et hormis quelques initiés, rares sont ceux qui évoquent l'existence de ce document "hors sol" qui sanctionne pourtant le premier regroupement indépendant organisé en dehors et contre le parti unique.
Si nous avions pu disposer, à Yakourène, de l'intégralité de la brochure rédigée par les auteurs de Idir El Watani, nul doute que nous aurions éprouvé une plus grande assurance et gagné en temps et en performance théorique et organisationnelle.
La source originelle
Personnellement, je n'ai pu lire ce texte qu'en 1981 quand j'avais invité maître Mabrouk Belhocine, dont je savais qu'il était un des membres les plus actifs de la lutte engagée en 1949, à animer une conférence à l'université de Tizi Ouzou. En le raccompagnant à son cabinet à Alger, il m'avait remis un livret que lui et quatre de ses camarades de combat ( Ali Yahia Saïd, étudiant en pharmacie, Henine Yahia, étudiant en droit, Sadek Hadjeres, étudiant en médecine et Saïd Oubouzar, ancien médersien) avaient rédigé à la demande d'Amar Ould Hamouda, membre du comité central du PPA-MTLD, afin de provoquer une discussion de fond dans le parti pour éviter la déflagration des tensions latentes qui minaient le PPA/MTLD dont la majorité des militants était originaire de Kabylie mais qui devait subir, impuissante, un oukase installant la nation, sans réflexion ni débat, dans une projection messaliste d'autant plus agressive qu'elle était fruste et, à bien des égards, négationniste.
La lecture de cet opuscule, je m'en souviens, m'avait bouleversé. Pertinence des analyses et audaces des positions m'avaient sidéré et en même temps atterré car la « mise sous scellé » du document symbolisait le temps que nous avions perdu ; éternel problème des luttes démocratiques menées en Kabylie et, plus généralement, en Algérie. La rupture dans les traditions de luttes faisait que chaque génération doit tout éprouver et tout réinventer.
Il est important de jeter un regard critique sur un document dont on se rend compte qu'en dépit des oppositions qui ont, par la suite, séparé les hommes, aura imprégné à divers degrés tout à la fois la proclamation du 1er Novembre, la plate-forme de la Soummam, la conférence de Tanger de 1958, les accords d'Evian et, bien évidemment, plus tard, les analyses et les programmes des mouvements et des partis de l'opposition post-indépendance. Produit par des jeunes étudiants dans des délais très courts avec les handicaps de la clandestinité et, qui plus est, dans un univers de suspicion et de sectarisme partisan, l'offre politique avait, selon les propos de maître Belhocine, "fait l'objet d'une publication doublement clandestine de la part de la police colonialiste et de la direction du parti".
Certes, le style est hésitant par endroits, les redondances portent la marque de la précipitation et certaines analyses péchant par leur volontarisme pèsent sur la cohérence de la pensée politique. Ainsi, les rédacteurs qui se plaisent à souligner l'engagement solidaire des chrétiens et des musulmans libanais et syriens pour libérer leur pays de l'oppression ottomane — quand il faut apporter la démonstration que la lutte pour l'indépendance n'est pas affaire de religion puisque des musulmans se battent avec des compatriotes chrétiens pour s'émanciper d'autres musulmans — ne manquent pas de revendiquer le pouvoir turc de la Régence d'Alger comme l'émanation d'un Etat national algérien alors que le même ordre politique est dénoncé comme un instrument de domination au Moyen-Orient.
Ces remarques n'altèrent pas la rigueur de la construction générale structurée dans un plan méthodique où la rationalité, la modernité et l'humanisme des propositions n'ont pas pris une ride.
La question de la religion est abordée sans complexe. Les auteurs qui conviennent que "si la religion qui ne connaît pas de frontière s'adresse à l'âme, apporte à ses adeptes le réconfort moral et, peut être, constitue un stimulant de l'activité humaine, ajoutent dans la foulée, l'homme dans son développement culturel et social, est conditionné par le sol sur lequel il vit et par le milieu dans lequel il évolue. Les frontières géographiques créent un tourbillon d'intérêts, de souffrances et d'aspirations devant lesquelles les confessions ne peuvent que s'effacer". Cela s'appelle la laïcité, valeur qui annonçait le message de la Soummam qui proclame que la guerre de Libération n'est pas une guerre de religion et qu'il ne s'agit pas de restaurer une quelconque monarchie ou une théocratie désormais révolues.
La question du respect de la minorité européenne est abordée sans ambiguïté : "ou elle (la minorité européenne) garde sa nationalité d'origine et alors, corps étranger dans l'édifice national, donc source de complications et de dangers, elle verra ses prérogatives fortement limitées... ou bien, mêlée à la population locale, il n'y a plus alors aucun danger à ce que, fondue dans la masse des nationaux, elle jouisse de droits identiques". C'est ce que l'on appelle un Etat de droit qui fait de la citoyenneté le seul critère d'appartenance à la collectivité nationale. C'est du reste, au mot près, les termes qui seront repris, à ce sujet, par les accords d'Evian.
Le nationalisme n'échappe pas à une conception libérale qui doit prémunir du chauvinisme aliénant les droits du citoyen. Les rédacteurs préviennent contre les peuples qui posent "la nation comme dogme, professant la nation au dessus de tout".
Mais c'est sur l'histoire et le pluralisme culturel que les jeunes étudiants affichent un esprit offensif. Face à la mutilation historique décrétée par le zaïm qui fait remonter la genèse algérienne au septième siècle, les militants "berbéro-matérialistes" revendiquent "une existence plusieurs fois millénaire qui célèbre Massinissa, Jugurtha, Tackfarinas, La Kahina, Ibn Khaldoun, Abelkader..."
Puis viennent les conceptions qui doivent présider à la construction de l'Etat national. Les orientations ne prêtent à aucune équivoque : "La diversité, loin de nuire, est, ici comme dans tous les pays, complémentaire et source de richesses... Le facteur linguistique a aussi contribué énormément à forger notre caractère national qu'il s'agisse de langues parlées, qu'il s'agisse de la langue classique... L'Algérie arabophone ou berbérophone parle aujourd'hui sa langue maternelle avec fierté..." et de souligner que "comme cela se passe dans nombre de pays opprimés qui s'éveillent et veulent se libérer, on assiste à un véritable renouveau des langues populaires : arabe populaire (berbrya) et kabyle sont constamment utilisées pour des activités nouvelles : chansons artistiques et patriotiques, théâtre, discours..."
On ne rappelle pas seulement l'existence de deux langues, on les pose comme les instruments et les conditions de la libération.
Sur les plans extérieurs, le texte de 1949 destiné à susciter un débat appréhendant aussi les aspects géopolitiques postule la solidarité et l'union nord-africaines comme moyen et finalité du combat à venir, exigence qu'on retrouvera dans la proclamation du premier novembre et la plate forme de la Soummam. On rappelle que "les destins de nos trois peuples sont liés, que l'indépendance nationale ne peut être que l'indépendance de toute l'Afrique du Nord ( qui)...aboutira à la libération, à la prospérité, à la grandeur et à la défense du patrimoine nord-africain", anticipant la conférence de Tanger de 1958 qui appellera au parachèvement des indépendances des trois pays par la création d'une "fédération des Etats nord-africains".
L'ouverture au monde est clairement assumée mais au chapitre nationalisme algérien et internationalisme, il est écrit : "Il ne saurait jamais être question pour la nation algérienne de se laisser dans une zone d'influence quelconque." Sept ans plus tard, la Soummam fera écho à cette volonté de se protéger des absorptions tutélaires en annonçant que "la révolution algérienne n'est inféodée ni au Caire, ni à Moscou, ni à Londres, ni à Washington".
On peut comprendre que ces analyses aient en grande partie déterminé, 40 ans plus tard, le nom du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) qui fond dans un même sigle la culture et la démocratie.
Les impacts de la crise
Ce rappel d'un texte invitant en 1949 à un débat essentiel qui n'a jamais eu lieu, et qui est toujours en suspens, méritait d'être évoqué et revisité en ce 10 décembre car il vient rappeler à la jeunesse d'aujourd'hui que ceux qui se sont intronisés par la force dans le FLN hier et qui sont les tuteurs d'aujourd'hui ont usé de moyens violents et déloyaux pour imposer ce qu'ils appellent les constantes nationales qui sont, en fait les agents corrosifs de la mémoire combattante.
La régression est abyssale. Depuis la publication du texte de 1949 et jusqu'à avril 1980, à chaque fois que le terme berbère est apparu dans un document officiel, c'est toujours en tant que facteur de division ou cheval de Troie des ennemis de l'Algérie qu'il est présenté.
Sans faire explicitement référence au document de 1949 diabolisé, on constate que plusieurs aspects qui y étaient développés vont irriguer les moments décisifs de la libération algérienne. Il ne faut pas oublier que sous la férule d'Abane, la question des droits de l'homme avait retenu une bonne partie de l'attention des congressistes d'août 1956. Malgré les difficultés de la guerre, des décisions révolutionnaires ont été arrêtées lors de ce congrès. L'interdiction de prononcer une condamnation à mort sans jugement, le droit à la défense pour tout prévenu, la proscription des égorgements, la valorisation de la place de la femme dans la lutte au même titre que l'homme, l'évacuation des référents religieux de la lutte de libération et des valeurs constitutives du futur Etat constituent le socle philosophique de la Soummam...
Pour autant, la plate-forme d'août 1956 n'a pas été indemne des anathèmes lancés par le courant panarabiste après la crise de 1949.
La problématique identitaire connaît un traitement timide et allusif, oscillant entre la volonté d'extraire la nation algérienne de l'influence égyptienne et les concessions qu'il fallait faire pour faire admettre un projet de société moderne et laïc. Les convictions jacobines d'Abane ont probablement aussi pesé dans la relativisation de cette question en août 1956 ; relativisation qui s'est traduite par le dramatique amalgame fait entre des messalistes alignés sur la puissance militaire colonialiste et les "berbéristes" victimes d'un procès en sorcellerie.
Pourtant, Abane, obsédé par l'autonomie décisionnelle du FLN, ne manquera pas de dénoncer l'antikabylisme de Ben Bella, déjà affidé de Nasser.
A ce niveau de notre intervention, une remarque s'impose. Si les lignes de force du projet portées par le courant moderniste radical du mouvement national doivent être identifiées et précisées, les projections politiques de phases historiques sur les réalités actuelles, toujours tentantes, demandent à être appréhendées avec précaution, lucidité et minutie. Il faudra beaucoup de recherches pour distinguer la part des concessions tactiques faites à la Soummam de ce qui participe d'une conviction ou de choix stratégiques.
D'autres responsables berbérophones qu'Abane ont eu, eux aussi, à adopter des attitudes complexes dans un contexte qui ne l'était pas moins.
En 1949, Aït Ahmed avait tout fait pour se tenir à l'écart de la démarche du groupe des jeunes de Ben Aknoun dont il était issu. L'hésitation, le malaise — d'autres parleront de saine culpabilité — se traduiront par sa décision de prénommer son fils aîné Jugurtha. Transgression qui n'a pas du reste échappé au tatillon Fathi Dib, chargé par Nasser de cornaquer la révolution algérienne. Plus tard, en 1976, dans un moment de profond reflux politique de l'opposition, Aït Ahmed soutiendra à l'université de Nancy une thèse sur les droits de l'homme en Afrique. Quand je négociais avec lui le préalable de l'inscription de la question amazighe dans l'avant-projet de plate-forme du parti, j'ai le souvenir que le fait de l'avoir vu s'engager dans un travail sur les droits de l'homme avait facilité nos échanges et contribué à réduire le fossé générationnel.
A la fin des années 70, nous nous heurtions à un mur de silence auprès de la presse de gauche française qui refusait d'inscrire l'Algérie parmi les pays violant les droits de la défense. Quand au début des années 80, j'avais adressé la première lettre à la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH ) pour obtenir son aval en faveur de la création de la ligue algérienne, c'était la répression des militants de la cause amazighe qui avait motivé ma correspondance, argumentaire qui, finalement, avait eu raison des dernières réserves de l'organisation internationale dont plusieurs membres étaient encore sous l'influence de la diplomatie algérienne. La même logique avait prévalu une année plus tard quand il m'a fallu convaincre Amnesty International d'accepter d'ouvrir une section en Algérie.
Après quatre ans de conciliabules avec la FIDH, l'accord pour une affiliation de la ligue algérienne est obtenu. J'avais commencé à contacter les personnes de l'ancienne génération susceptibles de faire partie de la future ligue algérienne des droits de l'homme. Le premier nom qui s'est naturellement imposé fut celui de maître Ali Yahia. Outre qu'il avait un long passé de militant syndical, on vient de voir que son frère Saïd, étudiant en pharmacie, était l'un des rédacteurs de la brochure de 1949 alors que son autre frère, Rachid, était un des principaux protagonistes dans le conflit qui opposa les partisans de l'Algérie algérienne aux commandos envoyés par Messali en France pour imposer la ligne de l'Algérie arabe dans l'émigration.
Et maintenant
Aujourd'hui, le dossier des droits de l'homme connaît le traitement que réserve le pouvoir à tous les sujets qu'il ne peut plus occulter ou réprimer directement : le clonage et la pollution. Il y a une foultitude d'organes officiels chargés de veiller au respect des droits des citoyens. La plupart sont instrumentalisés pour faire diversion sur les reculs des libertés. Les normes et les critères d'engagement et d'adhésion à ce combat n'ont pas échappé à la régression ambiante.
On vient de voir comment les parcours individuels et les entreprises collectives des luttes démocratiques ont été marqués par une alternance mettant en avant tantôt les droits de l'homme tantôt la problématique identitaire qui sont en fait les deux faces d'une même médaille.
A contrario, on observe que l'effondrement éthique qui caractérise actuellement les droits de l'homme coïncide avec un certain affaissement du combat identitaire. Ces reculs se vérifient dans les comportements particuliers comme dans les décisions des pouvoirs publics.
L'indifférence ou les animosités infligées aux immigrants sub-sahariens sont des indices de fortes tentations de repli sur soi et de xénophobie latente. Cette évolution se constate aussi quand on compare sur ces deux sujets l'Algérie avec des pays où les mêmes problématiques se posent. Le statut du Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA), enfant naturel de l'Etat, et le refus d'envisager l'officialisation de la langue amazighe en Algérie contrastent avec l'ampleur des prérogatives de l'Institut royal de la culture amazighe au Maroc (IRCAM), pays où la langue de Jugurtha est constitutionnellement officialisée au côté de l'arabe. Conséquence mécanique de ce décalage, on observe chez nos voisins de l'ouest une vigueur sans précédent dans le mouvement de défense des droits de l'homme.
Pendant que les dirigeants algériens, toujours prisonniers du tropisme baathiste, s'agrippent au slogan du Maghreb arabe, le Maroc officiel répudie le référent arabe parce qu'exclusiviste pour s'en tenir à la dénomination de Grand Maghreb...
La réhabilitation des débats et des recherches historiques est l'une des conditions pour une reconstruction nationale crédible, fiable, harmonieuse et solidaire...
Je viens de prendre connaissance de la neuvième session du colloque organisé par l'université de Skikda dédié à Zighout Youcef. Cette institution joue son rôle et mérite toute la considération que lui doivent les citoyens soucieux de mieux cerner les événements historiques importants de la guerre de Libération.
La redécouverte d'une histoire en friche et des combats qui la sous-tendent menés dans ou par la Kabylie en faveur d'un Etat démocratique et social est une des conditions qui peut éviter de fourvoyer le pays dans un tour de piste supplémentaire l'enfermant dans des constructions autocratiques fondées sur le déni de l'histoire, sas de l'arbitraire et du sous développement.
Réhabiliter par la recherche universitaire ou la consécration civique et sociale comme les baptisations ou la pérennisation de séminaires autour de la vie des Benaï Ouali, Laïmèche Ali, Amar Ould Hamouda, M'barek Aït Mengellat ou d'autres au parcours plus modeste — je pense à Dda Salem Aït Ali, militant de l'Etoile nord-africaine, auquel on a retiré le titre d'ancien combattant parce qu'il avait accepté que je l'interviewe dans la revue Tafsut à l'époque du parti unique, est à la fois un devoir moral, une garantie contre les dommages de la falsification de l'histoire et, plus que tout, un message que les fossoyeurs de notre pays doivent entendre sans la moindre ambiguïté : aucune construction nationale ne se réalisera sans ni contre la reconnaissance de ceux qui se sont battus pour une nation plurielle, tolérante et démocratique. Chacun doit et peut apporter sa pierre à la recherche de la vérité des faits d'abord. C'est la seule manière d'éviter les méfaits de détournements qui n'ont épargné aucun secteur et aucune période de notre vie commune, avril 80 compris. Je ne suis pas historien mais je me sens en devoir de m'engager dans ce travail de témoignage et de reconstruction mémoriel. Et comme rien ne vaut le combat par l'exemple, je vais m'employer à faire de sorte que la brochure rédigée et publiée en 1949 dans des conditions de double censure soit à nouveau diffusée le plus rapidement possible et mise à la disposition du citoyen.
S. S.
(*) Ce texte est une version résumée de la conférence donnée par l'auteur le 10 décembre 2014, à Tizi Ouzou.


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