Le choix de non-musulmans, ne vivant pas en Algérie, d'être enterrés chez nous est un phénomène qui remonte à la période de la Guerre de Libération nationale, avec un premier cas de rapatriement enregistré juste au lendemain de l'indépendance. En l'espace d'une année, nous avons assisté, au moins, à trois enterrements dans un cimetière algérien de personnes non musulmanes et vivant hors d'Algérie. Leur dénominateur commun reste l'amour qu'ils portaient pour cette terre et son peuple. Ils sont chrétiens, juifs, etc., ils sont pieds-noirs pour les uns, anciens coopérants pour les autres, sans aucune attache pour certains, mais leur dernier vœu fut d'être enterrés en Algérie. Selon des indiscrétions, au moins une dizaine de cas d'enterrement d'anonymes sont enregistrés en Algérie par an, soit par inhumation, soit par enterrement des cendres, une procédure facilitée par le recours, dans les pays occidentaux, de plus en plus à la crémation. Si le dernier cas connu du grand public est celui du défunt Roger Hanin, le phénomène, bien que quantitativement limité, remonte aux premiers jours qui ont suivi l'indépendance avec le cas de l'ami de l'Algérie, l'Allemand Georges Puchert, assassiné à Frankfurt pendant la guerre de Libération, par la Main rouge. Ces choix vont droit au cœur des Algériens qui y voient une marque de respect et de gratitude dans une conjoncture marquée par de plus en plus de cloisonnement entre les peuples du Nord et du Sud, ainsi que par plus d'appréhension sur l'hospitalité de la terre berbéro-arabo-musulmane. De l'avis même de certains préposés aux cimetières chrétiens et israélites d'Algérie que nous avons approchés, le phénomène va s'accentuer les années à venir. Pour Alger, beaucoup de pieds-noirs, de personnes proches de ces derniers, voire de touristes d'un jour qui n'ont aucune attache avec l'Algérie, ont déjà exprimé leur vœu d'être enterrés à Saint-Eugène, selon les propos recueillis par nos soins, il y a une année de cela, auprès du gestionnaire de ce cimetière. Les demandes émanent de France, certes, mais aussi des USA, d'Italie et de Suisse. Les demandes de renseignement sont faites lors des séjours en Algérie, par téléphone, e-mails ou courriers classiques. Le recours de plus en plus à la crémation facilite la procédure en évitant le rapatriement des dépouilles, coûteux financièrement et contraignant. Administrativement, bien que les autorités algériennes refusent rarement de telles demandes, la crémation a cet atout de permettre aux gens déracinés durant leur existence, et une fois décédés, d'être "enterrés" aussi bien dans leur pays de naissance que dans leur pays adoptif. Ici repose Roger, Fanny, Jean-Louis, Ander, Georges... Le dernier enterrement médiatisé de par la posture du défunt est celui de l'acteur français Roger Hanin. Mort le 11 février 2015 à Paris, à l'âge de 89 ans, l'enfant de Bab El-Oued a été enterré le 13 du même mois à Alger, sa ville natale. Il a été inhumé au cimetière israélite de Saint-Eugène où repose son père, et ce, en présence d'une vingtaine de proches et de quelques officiels algériens et français. À son arrivée au cimetière, le cercueil a été accueilli par une haie d'honneur de la Protection civile, signe d'honneurs officiels. Choisir Saint-Eugène, Bologhine, comme dernière demeure, est un vœu que Roger Hanin avait fait de son vivant auprès des autorités algériennes et des proches. Moins de 3 mois avant, ce fut autour de Fanny Colonna d'être inhumée, le 29 novembre 2014, au cimetière chrétien de Constantine, comme pour Roger Hanin, en exécution de sa volonté. L'écrivaine et chercheuse, qui a aimé l'Algérie et Constantine, est décédée 9 jours avant, soit le 20 novembre, à l'âge de 80 ans, en France. À Constantine, ils étaient une dizaine de ses proches venus l'accompagner à sa dernière demeure en présence d'une foule nombreuse d'Algériens, dont des universitaires et des artistes ayant connu la fille de Theniet El-Had qui a vu le jour dans ces contrées de l'Algérie profonde en 1934. Fanny est restée en Algérie, où elle mena une brillante carrière dans la recherche, l'édition et l'enseignement universitaire, jusqu'qu'en 1993. Sa vie était partagée entre l'amour de l'Algérie et des travaux d'intellectuelle engagée. L'auteure d'Algérie 1830-1962, Quand l'exil efface jusqu'au nom de l'ancêtre, et Meunier, les moines et le bandit : des vies quotidiennes dans l'Aurès du XXe siècle, fut aussi directrice de recherche au CNRS. Il y a presque une année, le 21 mai 2014, le journaliste français proche de la cause algérienne, Jean-Louis Hurst, est enterré à Alger. Mort en France le 13 mai 2014 à l'âge de 78 ans, il a été inhumé, selon ses vœux et ceux de ses proches, au cimetière chrétien de Diar Essaâda, sur les hauteurs de la citadelle. À l'instar de Hanin et de Colonna, Jean-Louis bénéficia de toute l'assistance des autorités algériennes et d'une cérémonie officielle. Nous sommes le 15 février 2009. Traînant une lourde maladie, Ander, un ancien coopérant technique ayant travaillé en Algérie durant quelques années, est de retour au pays auquel il était resté toujours attaché. Il est à Collo, cette belle presqu'île du Nord-Constantinois pour un long séjour, plutôt pour son ultime voyage. Au bout de la troisième semaine, la mort le surprend, à l'âge de 61 ans, dans son sommeil, dans un hôtel de la cité balnéaire. Selon ses vœux consignés et exprimés à ses proches, il sera inhumé, quelques jours après, au cimetière chrétien sur les hauteurs de la ville. Le jour de son enterrement, une foule nombreuse de Colliotes s'est jointe à ses proches pour un ultime adieu. Une cérémonie religieuse sera organisée à l'occasion et à laquelle chrétiens, musulmans et non croyants assistèrent dans une totale communion dédiée à l'homme, à l'être humain qui a aimé cette terre et dans laquelle il retournait. Le choix de non musulmans, ne vivant pas en Algérie, d'être enterrés chez nous est un phénomène qui remonte à la période de la guerre de Libération nationale, avec un premier cas de rapatriement enregistré juste au lendemain de l'indépendance. En effet, selon nos recherches, le premier cas remonte juste au lendemain de l'indépendance avec le transfert, selon ses vœux, de la dépouille de Georges Puchert. Il s'agit d'un ressortissant allemand, grand ami de l Algérie et adepte de son idéal révolutionnaire. Puchert était durant la guerre de Libération installé à Tanger, au Maroc. Il était aussi propriétaire d'une flottille de pêche. Et c'est fort de cet atout qu'il aida le MALG dans ses opérations liées au trafic d'armes en assurant plusieurs opérations de livraison des bases arrière installées au Maroc depuis l'Espagne. Quand les services français de l'époque, à travers le SDECE, découvriront sa connexion avec le FLN/ALN, ils essayèrent, sans réussir, de le retourner contre leurs homologues du MALG, soit la défunte DVCE. Après avoir détruit dans un premier temps deux de ses bateaux, les services français finissent par le liquider le 3 mars 1959 à Frankfurt par l'entremise de la Main rouge, réputée pour être, à l'époque, le service action du SDECE. Une fois l'indépendance recouvrée, la direction de la Révolution procédera au rapatriement de sa dépouille à Alger où elle repose pour l'éternité. M. K.