Résumé : Amar engage une sérieuse conversation avec sa fille. Il lui reproche de trop travailler et lui suggère de prendre le temps de se reposer. Cependant, il ne lui cache pas que depuis son retour du bled, il avait l'impression qu'elle lui cachait des choses. Elle était devenue triste, taciturne et s'oubliait même. Puis voyant son air embarrassé et ses yeux rougis, il se rétracte : -Je n'aime pas te brusquer, mais puisque tu persistes à dire que tu a prolongé ton séjour de ton propre gré, je ne vais pas trop tarder là-dessus. Il sourit et se rassoit. Des relents appétissants parvenaient à ses narines : -Hum, cela sent bon. Je ne sais pas ce que tu as concocté, mais tu peux être certaine que je vais manger comme quatre ce soir. J'ai une de ces faims ! Meriem s'empresse de soulever le couvercle de la marmite : -Ce sera prêt dans un moment, je vais découper le pain et mettre les couverts. Après le dîner, Amar se retire dans sa chambre. Il était exténué et ne tarde pas à sombrer comme à ses habitudes dans un profond sommeil. Meriem fait la vaisselle, ensuite elle s'installe au salon pour se pencher sur ses révisions. Elle travaille durant quelques minutes, puis repousse livres et cahiers. Des nausées lui soulevaient le cœur. Elle avait pourtant à peine touché à son dîner. Quelques odeurs culinaires l'avaient incommodée, mais elle avait su surmonter son dégoût. Fort heureusement, son père n'avait rien remarqué. Elle lui avait servi un ragoût de pommes de terre qu'il avait apprécié et mangé jusqu'à la dernière bouchée, avant d'éplucher une orange et de demander un café. La jeune fille ne put se retenir davantage. Elle court se soulager et vomit son dîner, et même le comprimé d'aspirine qu'elle venait de prendre. Se sentant un peu mieux, elle s'asperge le visage d'eau et relève la tête pour se contempler dans la glace. Elle avait les yeux cernés et un regard éteint. Son teint pâle et son visage boursouflé lui donnaient l'air d'une vieille femme. Etait-elle aussi mal en point ? Elle revient au salon et s'allonge sur un canapé. Un mauvais pressentiment la taraudait. Elle était enceinte. C'est certain. Elle se rappelle avoir rencontré des femmes dans son état. Des femmes au début de leur grossesse. Elles avaient les mêmes symptômes. Il n'y a plus de doute : elle était enceinte ! Que deviendra-t-elle ? Elle se jette sur son lit et éclate en sanglots. Le mauvais sort s'acharnait encore sur elle ! Sa vie durant, elle avait lutté. Aura-t-elle encore le courage de faire face à cette nouvelle épreuve ? La nuit passe, le jour se lève. Elle n'avait pu fermer l'œil. Elle entendit son père s'activer dans la cuisine, puis quitter la maison en refermant doucement la porte derrière lui. Il pensait qu'elle dormait encore. Elle soupire. Son père va souffrir par sa faute. Comment fera-t-elle pour lui éviter le déshonneur et l'affront ? S'il apprenait la triste réalité, il allait sûrement la tuer. Pourra-t-elle justifier son état ? Pourra-t-elle lui expliquer comment elle en était arrivée là sans froisser sa sensibilité ? Et puis il y a Houria au bled. Il aura vite fait de comprendre que c'est elle qui était à l'origine de toute cette tragédie, et lui fera payer la rançon de son honneur. Il sera bientôt l'heure de partir. Elle se lève et aussitôt ses nausées reprennent. Elle avait froid et son estomac était noué. Dans la cuisine flottait une odeur de café frais qui lui souleva le cœur. Elle met une main devant son nez et court vomir dans la salle de bain, avant de prendre une douche. L'eau chaude coule sur elle. Ah ! Si elle pouvait la débarrasser de toutes les saletés de son corps et de celles de son esprit ! Elle se sentait sale et répugnante à tel point que l'idée de mettre fin à sa vie la frôle un moment. Elle prend une serviette et s'enroule dedans en jetant un regard à son reflet dans le miroir qui lui faisait face. Elle ne se trouve pas belle et passe la main sur son visage comme pour effacer la terrible vérité qui résonnait en elle. Elle soupire et s'habille hâtivement, puis prend ses affaires et quitte la maison. Meriem se rend tout d'abord dans un laboratoire, où on procédera à des prises de sang et d'urine, puis on lui donnera rendez-vous dans l'après-midi pour retirer les résultats d'analyses. Ensuite, elle se dirige vers la station de bus pour rejoindre son lycée. Surtout qu'on ne devine rien, se dit-elle. Pour cela, elle tente de garder un air dégagé et serein. Elle rencontre des camarades de classe et échange quelques banalités avec eux. Tout le monde était sur les nerfs ce matin. Le prof de maths s'était absenté plusieurs jours, ce qui n'arrangeait pas les choses pour les élèves en fin de cycle secondaire. La révolte grondait chez les uns, mais les autres affichaient une totale indifférence. Après tout, ce sont les examens de fin d'année qui seraient déterminants pour leur avenir. Meriem suivait les conversations d'un air absent. Quelqu'un la tire par le bras. Elle se dégage et remonte la bride de son sac sur son épaule. Elle avait ramassé ses cheveux en queue de cheval et gardé un mouchoir dans sa main. Sait-on jamais avec ces nausées qui la prenaient à tout bout de champ maintenant. La cloche retentit. Le portail s'ouvre pour laisser passer les lycéens et elle suit son groupe sans trop d'entrain. Elle devrait patienter encore plusieurs heures avant d'aller récupérer les résultats de ses analyses au laboratoire. (À suivre) Y. H.