Karim et Hakim sont deux Amazighs d'Algérie, corsaires artistiques qui ont conquis la Hollande avec leur créativité et poésie pleines de générosité et d'amour. Aéroport d'Amsterdam-Schiphol, à 17,5 km au sud-ouest d'Amsterdam, est le troisième aéroport du continent avec 63,6 millions de passagers en 2016. En ce mois de fêtes, les gens sont très affairés. Mais la circulation reste très fluide et les couloirs sont décorés par des tulipes. Rien n'annonce par contre que nous arrivons dans un des rares pays européens à légaliser depuis 2015 un parti politique islamiste, le DENK. Quelques minutes après l'atterrissage, on se retrouve en face de Karim, un des frères Traidia qui sont responsables de notre présence dans la capitale hollandaise. Karim et Hakim sont deux Amazighs d'Algérie, corsaires artistiques qui ont conquis la Hollande avec leur créativité et poésie pleines de générosité et d'amour. Leur dernier vaisseau cinématographique est le Festival du film du Maghreb qui s'est tenu du 6 au 9 décembre 2018 à Haarlem, à 15 km d'Amsterdam.Karim nous présente Mike au physique imposant, chargé de nous conduire à notre hôtel. "Je suis acteur, guitariste et humoriste. Et aujourd'hui je fais office de chauffeur", s'empresse-t-il de blaguer. La compagnie de l'humoriste a rendu notre trajet extrêmement court. Mais les 500 derniers mètres nous ont semblé une éternité tant que le centre-ville de Haarlem est bouclé. Une occasion de découvrir les monuments classés et de comprendre que c'est cette ville qui a donné son nom au fameux quartier Harlem de New York qui s'appelait avant Nouvelle-Amsterdam. Les Haarlémites, tous âges confondus, déambulent en procession pour tout à coup former une foule compacte devant l'un des divers spectacles offerts gratuitement. Tantôt, une troupe de théâtre de rue ou une chorale, tantôt un clown qui amuse les enfants ou des musiciens qui sèment à tout va des notes de toutes sortes de musique. Les échoppes éphémères sont bien achalandées et décorées de guirlandes de toutes les couleurs. La magie de Noël est là. Après notre installation, Robbie Stoker, marié à une Kabyle de Tizi Ouzou, nous conduit à travers les ruelles de la ville, avant de nous retrouver devant un portail. La voiture traverse un espace obscur et s'arrête devant une porte illuminée. À peine mis le pied à terre, un froid grinçant nous pousse à accélérer le pas. Notre curiosité nous pousse à explorer ce lieu magique et labyrinthique. Déjà dans le hall, nous croisons quelques jeunes Algériens venus soit pour présenter leurs courts, soit pour assurer des prestations musicales. À l'intérieur, nous croisons l'acteur algérien Aziz Boukerouni, venu présenter Kendil El-Bahr, et nous revoyons avec joie la réalisatrice Sabrina Draoui, accompagnée de son mari et de son beau bébé. Une occasion d'écouter son nouveau combat contre ses problèmes de santé et ses défis de maman qui l'ont éloignée quelque peu du cinéma. Son film sur les tailleurs de pierres dans les Aurès est toujours en attente de montage. Il a déjà vu quelques films comme Petits bonheurs, Hayat et Raja des Marocains, respectivement, Chrif Tribek, Raouf Sebbahi et Abdellilah el-Jaouhary. Le lendemain, une visite d'Amsterdam s'impose. Les gens sont très chaleureux. Dans les rues, on rencontre beaucoup de Marocains venant surtout du Rif. Les Pays-Bas ont une politique qui promeut beaucoup l'intégration. Massin Barbouch est un Rifain qui est très actif dans l'organisation des évènements culturels. Ce soutien à la culture des migrants en provenance des pays musulmans s'explique par une présence importante de ces derniers. Mais pas seulement. La visibilité et les pressions problématiques de la mouvance islamiste sont aussi pour quelque chose. Les médias suivent cela de près et les gens sont à fleur de peau. On se souvient du tollé qu'a provoqué l'assassinat le 2 novembre 2004 du réalisateur Théo Van Gogh par un musulman d'origine marocaine, naturalisé néerlandais, ou encore plus récent cette vidéo montrant des écoliers hollandais apprenant la prière dans une mosquée. Hamdoune est notre guide. Un généreux Palestinien vivant en Hollande. Il fréquente les Algériens et les Marocains. À 65, Hamdoune a la tête pleine de projets. "Ce pays et ces gens qui ont asséché la mer et creusé des tunnels pour renforcer leur économie m'inspirent", nous confie-t-il. En effet, les ouvertures sur la mer, les ports dont celui de Rotterdam, considéré jusqu'en 1986 comme le plus grand au monde, et l'esprit travailleur des Hollandais ont fait de ce pays, autrefois de corsaires, une force économique et politique qui compte sur l'échiquier européen et mondial. De retour à Haarlem, nous retrouvons Karim sur le pont Melkbrug. Il donne libre cours à sa parole qui coule comme l'eau sous le pont. Nous avons ouvert les vannes de l'histoire. Karim nous raconte l'histoire de Jan Janszoon van Haarlem (1570 - vers 1641), connu également en Afrique du Nord sous le nom de Mourad Raïs, qui a donné naissance à Anthony Janszoon van Salee, lequel aurait introduit le premier Coran en Amérique. Parmi ses descendants figurent des noms célèbres comme Robert Bayles, président du marché de la Fulton National Bank de New York, la famille Vanderbilts qui a influencé l'histoire des Etats-Unis, la First lady Jacqueline Kennedy Onassis et l'acteur Humphrey Bogart. Karim dans un élan poétique, tout en nous désignant avec son doigt le lieu de naissance du Raïs, compare sa trajectoire avec celle de son frère Hakim. "Jan Janssen a quitté Haarlem pour devenir en fin de parcours, après avoir navigué avec le corsaire Suleyman Raïs à Alger, le grand amiral de la République de Salé, et prêtant au passage son nom à Bir Mourad Raïs ; mon frère Hakim a quitté les Aurès pour conquérir les cœurs de plusieurs générations de Néerlandais." L'heure de vérité a sonné. Toutes les projections sont terminées. Les jurys ont délibéré et le palmarès va être annoncé dans quelques instants. Tous les cinéastes affirment que les prix, non dotés d'ailleurs, ne sont pas les plus importants. Mais au fond d'eux, ils espèrent tous pouvoir avoir 5 minutes de gloire en recevant la moindre attention. Les producteurs et membres de jury longs métrages, René Goossens et Annemiek van Gorp, visages décontractés dégageant un sentiment d'une mission accomplie, affirment avoir vu des films intéressants, mais de qualité inégale. La présence de la femme et la prise en charge des problèmes de la société, sans oublier une recherche esthétique, semblent les avoir enchantés. À leurs côtés, Rachida Varrin, venue représenter le Festival international du film oriental de Genève, affirme que la prochaine édition qui aura lieu du 29 avril au 5 mai portera la touche du festival des frères Traidia. Les cris de Hakim annonçant le début de la soirée nous arrachent à notre voyage. La soirée a été égayée par une musique qui fusionne l'Algérois et le moderne, la distribution des prix et surtout des échanges intenses à la fin de la soirée. C'est l'actrice algérienne Imène Noel qui a récupéré la plus grande distinction du festival, décernée au film Jusqu'à la fin des temps, de Yasmine Chouikh où elle joue. Le lendemain, dans le bus, les festivaliers repartent avec les têtes pleines de facéties de Hakim, d'histoires de Karim et de la magie aussi bien du marché de Noël que du festival. La Parisienne Malika Zairi, qui est repartie avec deux prix, interpelle sa copine : "As-tu des nouvelles des ‘'gilets jaunes'' ?" "Non", a-t-elle répondu. Tahar HOUCHI