Ancien président du MC Alger dans les années 90, Chaâbane Lounès dresse un tableau sans complaisance de la situation du club et critique la politique de Sonatrach. Liberté : M. Chaâbane Lounès, le Mouloudia d'Alger traverse une phase difficile avec des résultats médiocres dans les différentes compétitions nationales et internationales. Comment ce club pourtant très riche est-il arrivé à ce niveau de déchéance ? Chaâbane Lounès : Tout d'abord, je voudrais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient à cœur, à savoir la situation lamentable du MCA. Dans un premier temps, soit depuis quelques années, j'avais sciemment décidé de m'éloigner un peu de ce débat pour ne pas paraître comme un donneur de leçons. J'observais de loin avec l'espoir de voir les choses changer, notamment avec l'avènement du professionnalisme. Cependant, au fil des années, je vois que le MCA ne change pas. Pis encore, le club se mine, au grand dam de ses supporters, toujours aussi nombreux et fidèles. Sonatrach est toujours là avec ses milliards dépensés chaque année, mais toujours en l'absence de projet sportif. L'équipe est toujours sans stade, sans centre de formation, sans centre de préparation et surtout sans direction capable de mener à bon port ce valeureux club. L'improvisation et le copinage ont vite cédé la place à une véritable politique de développement du MCA. Certes, Sonatrach finance, mais elle n'a aucun projet pour le MCA. En fait, Sonatrach se limite à une politique de bricolage, alignant des directeurs sportifs sans projet et avides surtout d'assouvir des intérêts personnels. Le MCA s'est transformé en vache à traire où beaucoup s'enrichissent sans rendre des comptes. En outre, j'assiste parfois à un débat où ceux qui se sont réellement investis pour le MCA dans un passé pas si lointain sont ignorés. À leur place, des opportunistes tentent de s'agripper au club pour pouvoir en tirer des dividendes. Ces gens, qu'ont-ils donné au Mouloudia ? Rien, et je sais de quoi je parle. Pendant de longues années, j'ai géré le MCA avec mon propre argent, donné des primes de match et de signature, des frais de mission aux joueurs de mon argent personnel. Je défie quiconque au MCA de me prouver qu'il a dépensé de son argent pour le club. J'avais avec moi des dirigeants intègres et désintéressés, nous avons réussi à faire de cette équipe une fierté. Nous nous sommes complètement investis dans notre mission pour servir le MCA. Vous dressez là un tableau sévère du MCA… C'est surtout un constat réaliste. Allez parler avec les supporters du MCA , ils vous répéteront la même chose. Ils ont tout compris. Ils le répètent d'ailleurs dans leurs slogans. Ils en ont marre des promesses et surtout de voir leur club humilié de la sorte. La situation est catastrophique au MCA. Je ne jette pas exclusivement la pierre à l'actuel manager, Kamel Kaci-Saïd, il était joueur au MCA quand moi j'étais président de club, c'est sans doute un fils de bonne famille, mais je dois dire aussi qu'il s'est entouré de personnes malsaines, étrangères à la famille mouloudéenne, qui le manipulent à leur guise et qui surtout tirent profit de leur influence. À sa place, je me serais plutôt entouré d'anciens joueurs, pas seulement ceux de la glorieuse équipe des années 70 – le MCA ne peut être résumé à cette époque – des gens désintéressés et sincères qui portent l'amour du MCA. Il ne fallait pas s'entourer de personnes qui n'apparaissent que dans les salons feutrés et qui le laissent se débrouiller seul avec le quotidien de l'équipe. Mais Kaci-Saïd avait décidé dans un premier temps de démissionner avant que Sonatrach ne le retienne. Pourquoi selon vous ? Je pense que c'est une question de confiance. Le PDG de Sonatrach a sans doute une certaine confiance en Kaci-Saïd. Mais le plus important aujourd'hui, c'est l'intérêt du MCA et les revendications de la base, c'est-à-dire les supporters. Au-delà des affinités que je peux avoir avec X ou Y, le plus important aujourd'hui c'est le bilan de l'équipe. Or force est de constater qu'après deux ans, le bilan est catastrophique. Avec un budget annuel moyen de 100 milliards, Kaci-Saïd n'arrive toujours pas à gagner le moindre titre. C'est un échec total qui nécessite une réforme totale, pas des solutions de replâtrage comme celles auxquelles nous assistons actuellement. Vous faites allusion à la tentative de Kaci-Saïd de s'entourer dernièrement des anciens joueurs, c'est cela ? Ecoutez, Kaci-Saïd a échoué. Lui-même, je pense qu'il est conscient qu'il n'a pas de solutions à proposer. Il sait très bien qu'il ne peut pas réussir, d'où son envie de partir. Il sait très bien qu'il ne peut pas aller contre la volonté du peuple du MCA qui lui en fait entendre chaque semaine des vertes et des pas mûres. Je suppose qu'il a une famille qui n'accepte pas d'être souillée de la sorte. En outre, Sonatrach fait une erreur de vouloir à tout prix le garder pour des considérations pas du tout objectives. Il est temps de provoquer dès maintenant un changement radical au MCA afin de préparer la saison prochaine. Attendre la fin de saison pour changer les choses serait une erreur stratégique supplémentaire que commettrait Sonatrach. Au fait, est-ce que Chaâbane Lounès a été contacté dans le cadre de ces consultations ? Non, pas du tout. Et je ne pense pas qu'il prendrait mon avis. Ils savent très bien que je ne fais pas dans la langue de bois et la compromission. Je ne suis pas comme ceux qui organisent des banquets pour faire parler d'eux ou pour s'introduire au MCA. Justement, pensez-vous que d'anciens joueurs comme Bachi, Zenir, peuvent apporter quelque chose au MCA ? Oui, ils le peuvent, pour peu qu'on les laisse travailler. Ce sont des gens intègres. Je voudrais ajouter, si vous permettez, une chose. Allez-y… Sonatrach doit comprendre enfin que l'argent seul ne suffit pas. Il faut des dirigeants compétents et de terrain capables de proposer un projet ambitieux pour le MCA. Pas des tire-au-flanc qui profitent pour siphonner l'argent de la jeunesse.