Le 28 juin 1997, un avion en provenance de Paris atterrit à l'aéroport d'Alger. Il transportait la dépouille d'un moudjahid, décédé dans un hôpital parisien et qui devait être enterré au cimetière d'El-Alia. De nombreux officiels algériens étaient au bas de la passerelle pour saluer la mémoire du disparu. Le lendemain, des funérailles grandioses lui furent organisées, en présence de représentants de l'Etat, de compagnons de combat et d'une foule nombreuse. Le moudjahid s'appelait Serge Michel, de son vrai nom Lucien Douchet, né le 22 juillet 1922 à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Anticolonialiste, Serge Michel rejoint le mouvement national algérien au début des années 1950 en s'engageant dans l'UDMA de Ferhat Abbès. Après le déclenchement de la guerre de Libération nationale, il devient membre du FLN et commence à écrire dans le journal clandestin La Résistance algérienne. Puis, il rejoindra Tunis pour travailler à "La Voix de l'Algérie", la radio de la Révolution. De 1957 à 1960, il sera rédacteur à El Moudjahid. En 1962, les autorités le chargent de récupérer des locaux administratifs coloniaux, dont le siège du gouvernement général. À l'entrée, les gendarmes du poste de police (des Français) lui demandent de remplir une fiche. Sur l'objet de la visite, il écrit : "Prise du gouvernement général", puis, il monte sur le toit pour hisser le drapeau national à la place de l'emblème français. Mais il reste chevillé à sa passion: le journalisme. Il fut rédacteur en chef à l'APS et participa activement au lancement de nouveaux organes de presse comme El Chaâb, Alger ce soir… Il s'attela ensuite à la formation des journalistes, parmi lesquels les futurs grandes plumes Kamel Belkacem et Bachir Rezzoug. "Serge Michel s'intéressa aussi au cinéma, travaillant notamment pour la société de production Casbah-films, grâce à laquelle le film de Yacef Saâdi et Gillo Pontecorvo, La Bataille d'Alger put voir le jour. Fêtard invétéré, poète et fort en gueule, Serge Michel, qui côtoya Kateb Yacine et croisa Jean Sénac, était l'un des rares "pieds-rouges" à avoir fait sa vie en Algérie. C'est grâce à l'entremise de son ami le commandant Azzedine qu'il s'était décidé, à la fin des années 1980, à s'installer dans le Sud algérien, à Ghardaïa, pour raisons de santé" (journal Le Monde). Ami de Patrice Lumumba et de nombreux intellectuels et révolutionnaires africains, Serge Michel contribua au lancement de journaux dans plusieurs pays du continent où il connut des déboires comme sa condamnation à mort après l'assassinat de Patrice Lumumba. Il ne dut son salut qu'à sa fuite du pays. Il était également écrivain (Uhuru Lumumba, essai-Julliard 1962, Nour le voilé, roman-Seuil 1982), poète : "Quand j'étais Nègre, Le Nègre courant d'aires, Nègre volontaire du Congo, Titulaire de Guinée-Bissau, On m'avait dit de ne pas dire, Que là-haut quelque part, Au septième ciel, Il y a comme un trou, Pas un trou noir, Un trou bleu dans le ciel noir…" (extrait du livre de la fille de Serge Michel, Marie-Joëlle Rupp, intitulé Serge Michel, un libertaire de la décolonisation, Ibis Press-2007). En 1994, il quitta le Mzab où il s'était installé pour raisons de santé, et se rend en France : "Il laisse au désert ses dernières désillusions, un peu de son âme, et son double. Et c'est avec un cruel déchirement que, en cette fin du printemps 1994, il prend l'avion pour Paris"(Rupp). Malgré des déceptions sur l'évolution du régime, en dépit du terrorisme, de sa maladie, son rêve était de revenir en Algérie, son vrai pays. Son état de santé l'a empêché de le revoir, mais son rêve est exaucé : pour l'éternité, il repose en Algérie, ce pays pour lequel il s'était battu et qu'il aimait tant.