En cette période où l'essentiel du doute est axé sur le confinement, l'art se révèle comme la clé de la créativité et de l'évasion si loin de l'isolement. L'art apaise la rudesse du confinement et illumine de ses nuances poétiques nos petits logis. C'est le cas de l'artiste peintre Djahida Houadef, la mère des "N'gaoussiat" et des "Casbadjiat", qui trouve matière à la création dans le confinement. Liberté : Au-delà du fait qu'il soit restrictif en matière de liberté, le confinement n'est-il pas ce temps providentiel pour réaliser enfin ce que vous n'avez jamais eu le temps de faire ? Djahida Houadef : Généralement, en matière de créativité, le confinement serait un bon exploit sans modération pour le créateur. C'est justement ce temps, en temps ordinaire, qui nous manque, nous les artistes, pour avoir un tête-à-tête avec nos sens, pour nous enfermer et travailler sérieusement sans être interrompus par les aléas du quotidien. Seulement, ce que je trouve dommage pour cette situation restrictive est qu'on ne pourra pas, malgré tout le temps libre dont on dispose, faire réellement tout ce qu'on veut, surtout lorsqu'on est conditionné par le manque d'espace de travail et de moyens. Sinon, cela reste une excellente occasion en matière de réflexion et d'étude de projets. Personnellement, en ce temps de confinement, je me suis concentrée beaucoup plus pour communiquer avec le public via les réseaux sociaux afin d'apaiser les êtres et d'en profiter pour faire connaître mon œuvre. Quelle que soit la situation, l'art doit toujours rester en éveil et proche de l'humanité, je pense que ce temps inerte est très fertile, et à saisir pour semer l'art algérien ; c'est une belle opportunité tant que les esprits sont en pause pour l'apprivoiser davantage avec les Algériens et le monde. Comment vivez-vous l'interdit en général et quel est le temps fort de vos journées ? L'interdit titille toujours les esprits, et les mauvaises nouvelles dues à cette pandémie, qu'on reçoit tous les jours, ne nous laissent pas l'esprit libre et tranquille. Cette situation inédite que vit la terre entière n'est pas une mince affaire, et nous ne sommes pas prêts à l'oublier du jour au lendemain. Ici, l'interdit est complexe, il est fusionné dans un seul et unique intérêt, celui de préserver une vie, la nôtre. Dans ce cas, la notion de liberté perd ses droits et seule "la vie" peut bénéficier de tous les atouts. Pendant cette pandémie, mon temps fort reste celui où j'affronte ma peur pour avancer sereinement, maintenir l'éclat de la lumière, et la vie doit continuer et faire absolument son chemin. Le confinement n'est-il pas aussi l'étape favorable à une pause bilan pour évaluer l'impact de vos toiles sur votre public en particulier et sur la scène artistique en général ? Effectivement, ce confinement a engendré beaucoup de questionnements liés aux deux poids, deux mesures, non seulement au basculement de l'ordre établi que vit le monde actuellement mais aussi à notre statut d'artiste embryonnaire posé maintes fois à l'ordre du jour. Parfois la suspension du temps laisse la place soit au vide qui crée des noirceurs, soit au défilement des points forts et des points faibles de notre parcours. Trancher et faire le choix peut être difficile et parfois même amer, mais le point final déterminant la fin et le début est plus que nécessaire. Heureusement que le bilan de nos labeurs et de nos réalisations projette des lueurs d'espoir par leur écho et leur retour. Que réalisez-vous en ces journées d'isolement. Dans quel endroit de votre maison avez-vous rendez-vous avec dame muse, balcon ou terrasse, pour avoir une vue sur une société confinée ? Pendant ce confinement, non seulement je profite de chaque coin de la maison, mais aussi de chaque membre de ma famille. Depuis la crise de la pandémie, la vie de la ville a beaucoup changé. Les rues respirent la propreté surtout avec ces continuelles pluies, et son image reflète de plus en plus un éclat très lumineux. D'ailleurs j'en ai bien profité pour prendre des photos de ma vue qui donne sur la baie d'Alger et les offrir aux regards des internautes. Je les garde précieusement, pour le temps qu'elles figent, et peut-être un jour elles feront l'objet d'une exposition d'art, qui sait ? Sinon, je profite bien de la lumière du jour pour peindre, de la soirée pour communiquer et pour prendre des nouvelles de la société via les réseaux, de la fin de soirée pour lire et regarder des émissions culturelles. La machine du monde est suspendue, l'infiniment petit continue à vivre et à tisser ses fils au croisement de chaque matière. Les récoltes des matières mûrissent les apprêts des sens, demeurent disposés et fécondables par les visites des muses. Voulez-vous gratifier nos lecteurs d'une description de votre toile en cours ? Ma dernière peinture est réalisée à l'occasion du Ramadhan, qui coïncide d'ailleurs cette année avec le mois du patrimoine. Je viens juste de publier cette œuvre en guise de carte ou d'affiche et de l'offrir à la communauté musulmane. Cette peinture représente une khfafdjiya qui prépare sa zlabiya de Ramadhan 2020, tout en portant sa bavette médicale afin de rester prudente et de se protéger. Cette œuvre restera une œuvre document témoin du temps du coronavirus. Son message est en deux-en-un : fêtons le mois du patrimoine et le mois de Ramadhan, tout en restant vigilant afin de couper l'herbe sous le pied à ce virus.