Les Soudanais vivent avec la peur au ventre d'assister à un retour de l'ancien régime au pouvoir, dont les relais demeurent très actifs au cœur de l'Etat et d'une partie de la société soudanaise. Le fragile équilibre politique, en vigueur depuis un an au Soudan, est en train d'être bouleversé, après le retrait de l'Association des professionnels soudanais (APS) de la coalition de l'opposition, réunie au sein de l'Alliance pour les libertés et le changement (ALC), qui siège dans le gouvernement de transition, actuellement dirigé par l'armée pour une période de 21 mois, avant de passer le témoin aux civils pour les 18 mois restants. L'APS, à l'origine de la révolution soudanaise qui a chassé l'ex-dictateur Omar al-Bachir du pouvoir en avril 2019, a annoncé en effet, dans un communiqué rendu public le week-end, le "retrait de la reconnaissance de l'Association des professionnels soudanais à toutes les structures existantes au sein de l'ALC, à sa tête le Conseil central, en raison de ses transgressions de l'accord conclu" entre les différents acteurs de l'opposition soudanaise. Ce puissant syndicat rejette ces structures dans leur forme actuelle, lit-on encore dans ce communiqué, dans lequel l'APS appelle ses militants et les autres forces vives de la société soudanaise à se restructurer, "pour devenir l'expression des forces qui a intérêt à protéger et à bâtir sur les acquis de la révolution de décembre (2018)", point de départ d'un vaste mouvement de contestation contre l'ancien régime d'al-Bachir, initialement enclenché suite à l'augmentation du prix du pain. Tout en reconnaissant avoir commis des erreurs depuis la conclusion de l'accord politique avec l'armée il y a un an, l'Association des professionnels soudanais réaffirme dans son communiqué que sa "position dans le rassemblement des professionnels est du côté des aspirations de notre peuple et de la révolution renouvelée avec le plus cher de leurs sacrifices et de leurs longs sit-in", dont certains sont réprimés dans le sang, faisant plus d'une centaine de morts parmi des manifestants pacifiques, à Khartoum notamment. "Et notre position n'est rien d'autre que des échos des voix aiguës qui persistent sur la position indépendante du rassemblement", insiste l'APS. Mais pour certains membres de l'opposition et du gouvernement de transition, cette scission au sein de l'ALC et le mouvement de colère en cours contre la désignation des gouverneurs des provinces cachent mal leur jeu. Les professionnels soudanais sont ouvertement accusés de prendre indirectement pour cible le Premier ministre Abdellah Hamdouk, qu'ils voudraient évincer pour son incapacité présumée à endiguer la crise socioéconomique dans laquelle s'est englué davantage le pays, après l'apparition de la pandémie de coronavirus. Un tel repositionnement renseigne surtout sur la fragilité du gouvernement de transition, également confronté à la reprise des violences contre les civils dans la région du Darfour et qui doit aussi négocier avec des groupes armés réfractaires à l'accord conclu avec l'opposition début mai 2019 et mis en place à partir de juillet de la même année.