Par : Abdelhafidh Yaha (...) Il y a 57 ans, le 29 septembre 1963, des patriotes rescapés de la guerre de Libération nationale se dressent contre la dictature en marche en créant un mouvement d'opposition politique : le Front des forces socialistes. Face au rouleau compresseur de la répression, ils sont acculés à la résistance armée. Abdelhafidh Yaha, dit Si L'Hafidh, témoigne. Officier de l'ALN, il était cofondateur et chef militaire du FFS et signataire des Accords FLN/FFS du 15 juin 1965." Le projet de la première Constitution de l'Algérie indépendante a mis la coalition au pouvoir face à ses contradictions ; les visées politiciennes des uns empiètent sur les calculs des autres. Les enjeux de ce texte fondateur sont trop importants pour ne pas susciter des déchirements dans le clan présidentiel. Après le clash entre Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider sur le rôle du parti, le débat sur la première Constitution algérienne va révéler l'impossible cohabitation entre le président du Conseil et Ferhat Abbas, président de l'Assemblée constituante. Pour rédiger la loi fondamentale, deux projets s'affrontent. Celui de Ben Bella qui préconise un régime présidentiel et socialiste teinté d'arabo-islamisme, et la version proposée par Ferhat Abbas, partisan d'un régime plus démocratique et ouvert sur l'Occident. En d'autres termes, une Constitution à la Bourguiba. Mais c'était compter sans la détermination de Ben Bella à faire passer son texte à la hussarde. Alors que l'Assemblée constituante débat de son projet, Ben Bella fait adopter le sien le 31 juillet 1963, par les cadres du FLN, réunis au cinéma Le Majestic, à Alger. Ce nouveau coup de force déclenche les critiques acerbes de nombreux députés légalistes. La charge sonnée par Ferhat Abbas contre le FLN et, par ricochet, contre Ben Bella annonce la fin d'une alliance qui n'aura duré qu'une année : "Le parti n'existe pas pour moi. Il existe des militants dans cette Assemblée, mais il n'y a pas de parti en tant que tel. Lorsqu'on voudra faire un parti démocratique, nous applaudirons des deux mains (...) Je n'étais pas présent hier lorsque vous parliez de la Constitution. Mais je tiens à dire que la Constitution d'un pays est une chose trop importante pour la prostituer dans un cinéma." Une Constitution sur mesure Avec l'adoption de la Constitution par une "Assemblée" croupion de militants tous à sa dévotion, Ben Bella n'en est pas à sa première imposture. Rappelons-nous comment, avec quelques-uns de ses fidèles soutiens, il avait manœuvré au dernier CNRA, en juin 1962 à Tripoli, et pendant l'été de l'indépendance, pour s'installer au pouvoir. Au lendemain de cette pantalonnade, le député de Médéa, Abdelkader Guerroudj, communiste pourtant proche des thèses benbellistes, propose carrément la dissolution du Parlement : "Faisons des économies en supprimant un organisme qui, apparemment, ne sert à rien, puisque les représentants de l'Assemblée n'ont pas été associés à l'élaboration de la Constitution." Ferhat Abbas revient, dans un document joint à sa lettre de démission, sur la genèse du projet de Constitution : "À Tripoli, le CNRA avait déjà été saisi par la Fédération de France du FLN d'un projet de Constitution. Depuis, deux autres projets ont été soumis en avril dernier à la commission de Constitution. Le premier émane des frères Benabdellah, Mourad Oussedik et Hocine Mehdaoui, les députés, Bendimerad et Benghezal, consuls en France, et le second par moi-même." Ce sont deux projets qui pouvaient servir de base à des débats. Au moment où la commission allait commencer ses délibérations, le gouvernement a fait arrêter ses travaux en déclarant qu'il élaborerait lui-même le projet de Constitution. Puis, il expose sa conception du fonctionnement des institutions du pays et met en garde contre la concentration des pouvoirs : "La concentration des pouvoirs entre les mêmes mains relève d'une autre forme de délire. Le projet de Constitution fait du président de la République, en même temps que le chef de l'Etat, le chef du gouvernement et le chef du parti. Pratiquement, il n'y a plus de démocratie. L'Assemblée est sous la dépendance d'un homme qui nomme les ministres et qui, par le truchement du parti, choisit les membres de l'Assemblée nationale, après avoir été choisi lui-même par le parti." Malgré le concert de protestations qui se sont élevées au sein de l'Assemblée, Ben Bella ne change pas pour autant ses desseins. Il est déterminé à faire passer sa Constitution, même au prix de graves entorses au fonctionnement des jeunes institutions. Au cours des deux jours de débats, les 24 et 25 août 1963, à l'Assemblée constituante, hormis quelques députés d'Alger et ceux des anciennes Wilayas III et IV, rares sont les voix discordantes. La plupart des parlementaires hument le sens du vent avant de prendre leur décision. En attendant, les députés libres peuvent toujours protester. Les nombreuses interventions en vue d'infléchir l'orientation totalitaire du projet restent vaines. Aucun des quelque 150 amendements déposés n'est retenu. Pas même les propositions d'amendement de l'abbé Alfred Bérenguer, député de Tlemcen, qui préconise la limitation des mandats présidentiels à deux, ni celles de Zohra Drif prônant l'abolition de la peine de mort. Dans un style qui lui est propre, la mise en garde de l'abbé Bérenguer, qui occupe l'un des seize sièges réservés aux pieds noirs, est prémonitoire : "L'histoire est pleine de révolutions qui ont commencé dans la liberté et qui ont fini dans la servitude." Dans une déclaration à la presse, Me Arezki Bouzida, incisif, annonce son opposition nette au projet : "Je dirai non à ce projet parce qu'il repose sur un parti qui n'est pas démocratiquement structuré (...) Je dirai non que le parti fasse de moi ce qu'il veut." En fin de compte, l'adoption par l'Assemblée constituante du texte déjà plébiscité par les cadres du FLN n'est plus qu'une simple formalité. Le projet de la première Constitution de l'Algérie passe avec 139 voix pour, 23 contre et 8 abstentions. Les quelques voix discordantes n'ont pas fait le poids devant une majorité godillot de députés, choisis par Ben Bella et prêts à se soumettre à tous ses caprices. Un succès au demeurant attendu par le président du Conseil qui savoure déjà sa prochaine consécration comme président de la République. Acculés dans leurs derniers retranchements par diverses mesures aussi retorses que machiavéliques, comme les arrestations et les intimidations, il ne reste aux irréductibles de l'opposition que le silence complice, l'exil ou le maquis. En quelques mois à la tête du gouvernement, Ben Bella a réussi à se mettre à dos ses anciens compagnons de lutte et à faire le consensus contre ses dérives autoritaires. Contre le "régime néo-fasciste", le FFS entre en résistance Tizi Ouzou, où règne une effervescence prérévolutionnaire, est devenue, en ce mois de juillet 1963, le cœur battant de l'opposition. Les adversaires du "Groupe de Tlemcen" s'y retrouvent régulièrement, et depuis quelques semaines le centre de gravité de l'agitation politique s'est déplacé d'Alger vers Tizi Ouzou. La Kabylie renoue avec son atavisme : l'esprit de révolte. Le ras-le-bol fait tache d'huile, et l'attente d'une décantation politique nous paraît de plus en plus vaine. Comme tous ceux qui sont avec nous, je ne peux supporter le détournement des idéaux pour lesquels j'ai combattu. Arrestations, autoritarisme, pouvoir personnel, violation des libertés, mépris des lois, clientélisme... En quelques mois, la faction au pouvoir a multiplié les dérives autoritaires qui menacent lourdement l'avenir du pays. Nous sommes convaincus maintenant que nous avons donné assez de temps au régime pour mettre en place des institutions stables, relancer l'économie et poser les rails de nouvelles solidarités, notamment en direction des familles des nombreuses victimes de la guerre de Libération. Les réunions se succèdent alternativement au PC de wilaya à Tizi Ouzou, à Mekla et à Michelet. Toujours avec la bénédiction et sous la protection du colonel Mohand Oulhadj, chef militaire de la 7e région, engagé pleinement dans la lutte. Après une année d'indépendance, la Kabylie échappe encore au contrôle du régime benbelliste ; les autres régions sont passées sous la coupe de Boumediene et de Ben Bella. Le colonel Mohand Oulhadj est l'un des rares chefs de wilaya, avec le colonel Youcef Khatib de la Wilaya IV, à avoir gardé le commandement de leur région historique, sans aucun rapprochement avec le clan de l'armée de l'extérieur. Au plus fort de la crise entre le GPRA et le duo Ben Bella-Boumediene, la Wilaya III avait offert "asile" et protection à Krim Belkacem et à Mohamed Boudiaf, deux opposants notoires au "clan d'Oujda" qui défendaient la légitimité du GPRA. Début août 1963, l'organisation naissante prend ses quartiers à la mairie de Michelet ; le maire a mis à notre disposition les maigres moyens de sa municipalité. En l'espace de quelques semaines, de nombreux cadres politiques, comme l'avocat Mourad Oussedik, le commandant Lakhdar Bouregâa, Méziane Ghézali et Abdennour Ali Yahia, se sont joints à nous. Deux femmes députées, Meriem Belmihoub et Safia Bazi, sont en contact permanent avec notre organisation. À maintes reprises, je me suis déplacé à l'Assemblée nationale, à Alger, pour les ramener à Michelet et leur permettre de participer à nos réunions. À ce moment-là, nous ne sommes pas encore recherchés. Même si, à Alger, la police de Ben Bella arrête toute voix discordante, en Kabylie nous avons encore notre liberté de mouvement et d'action, et nous organisons des meetings dans les villages pour sensibiliser la population à notre action. Mme Boudiaf est venue à Michelet pour nous remettre un courrier de son mari ; dans cette lettre, Mohamed Boudiaf affirme que son état de santé est "très grave". Ali Ammar et Boubekeur Belkaïd, représentant son parti, le PRS, ont assisté à nos réunions. Dans le lot des nombreuses personnalités venues échanger avec nous, certaines ne sont jamais revenues, comme l'écrivain Mustapha Lacheraf, à qui j'ai montré les villages et les lieux où s'étaient déroulés de terribles combats pendant la guerre d'indépendance. Il m'a promis de revenir pour écrire sur cette page d'histoire. Sans suite. Début septembre 1963, nous tenons une nouvelle réunion au siège de la mairie de Michelet. Sont présents : le colonel Mohand Oulhadj, Hocine Aït Ahmed, Kaci Naït Belaïd, maire de Michelet, Belaïd Aït Medri, Abdenour Ali Yahia, Mourad Oussedik, Mouloud Tighilt, Méziane Ghézali, Tahar Temzi et de nombreux autres cadres. Ordre du jour : formaliser le mouvement en lui donnant un nom et désigner une direction. Dans le sigle, la référence au "socialisme" nous paraît si évidente que personne n'a émis d'objection. L'option pour un "Front" fait également consensus Après d'intenses débats au cours desquels chacun a donné son avis, le Front des forces socialistes est né ! Il reste à désigner ses premiers responsables. Le colonel Mohand Oulhadj s'adresse alors à Aït Ahmed : "Si L'Hocine, tu seras le secrétaire général du mouvement." Aït Ahmed hésite : "Je n'aimerais pas que Ben Bella dise que je suis venu pour prendre des responsabilités (...)" Le colonel lui réplique d'un ton quelque peu ferme : "Ben Bella est notre adversaire ; nous n'avons plus à tenir compte de ce qu'il pense ou de ce qu'il dit." Hocine Aït Ahmed ne rajoute rien et devient, de fait, le premier secrétaire du FFS. Quelques jours avant cette réunion, Krim Belkacem, qui se trouvait à l'étranger depuis juillet 1963, a publié une déclaration dans laquelle il s'est proclamé porte-parole de notre mouvement à l'étranger. L'initiative n'a pas plu à tout le monde. Hocine Aït Ahmed pose alors cette question à Mohand Oulhadj : "Vous êtes au courant de la déclaration de Krim ? Êtes-vous en contact avec lui depuis son départ ?" Mohand Oulhadj lui répond : "Non, depuis qu'il est parti, je n'ai plus de contact avec lui." Une mise au point est alors rédigée pour dire que notre mouvement n'a pas envoyé de représentant à l'extérieur. Cette déclaration particulièrement acerbe signe, de fait, la mise à l'écart de Krim Belkacem, qui devient ainsi un adversaire potentiel de notre mouvement. A posteriori, je pense que nous nous sommes trompés dans notre appréciation. Nous aurions dû arrondir les angles au lieu de nous mettre à dos une personnalité de premier plan comme Krim Belkacem. Dans le feu des événements, nous avons quelque peu négligé la portée de cette mise au point qui sera lourde de conséquence. Krim Belkacem ne pardonnera pas au FFS ce désaveu qui l'a poussé hors de notre mouvement. Le FFS envoie le colonel Si Sadek et le commandant Lakhdar Bouregâa dans l'Algérois pour mettre en place les structures du mouvement. À Alger, un comité est chargé d'organiser les militants. Au début, il est constitué du lieutenant Si Moh Cherif Chemam et Mustapha Moulay, originaire de Dellys. Rapidement, d'autres militants les rejoignent, comme Mourad Azzoug, Mohamed Haroui, Djilali Leghima, Chafik Aït Ahmed et Boubekeur Hadj Ali. Avec d'anciens responsables de la Wilaya IV, le commandant Bouregâa n'a pas de peine à former les premiers groupes de militants armés. Sans attendre la proclamation publique du FFS, fin septembre 1963, il organise des actions sur les routes de la Mitidja, dresse des barrages, effectue des contrôles, sans toutefois user de violence, et délivre même des cartes d'identité avec le cachet du FFS ! À quelques jours de l'élection présidentielle du 15 septembre 1963, avec Ben Bella comme candidat unique, notre mouvement envoie, un peu partout, un mot d'ordre de boycott. Depuis le plébiscite de la Constitution par référendum, le 8 septembre, le malaise est palpable, et des voix, de plus en plus nombreuses, s'élèvent contre ces pratiques autoritaires. Mohammedi Saïd (colonel Si Nacer), ministre des Moudjahidine, est envoyé en Kabylie pour animer des meetings en faveur de l'élection de Ben Bella. Il craignait de nous voir saboter ses interventions. Malgré notre opposition au régime de Ben Bella qu'il est venu représenter, nous accueillons l'ancien chef de la Wilaya III avec égard. C'est d'ailleurs Kaci Naït Belaïd qui est désigné pour le recevoir dans sa ville. Sans le chahut et le sabotage auxquels il s'attendait, le colonel Si Nacer paraît gêné. Sans faire de zèle, il déclare devant la population : "Il y a un monsieur qui s'appelle Ben Bella ; que celui qui veut voter pour lui le fasse." Le 28 septembre, la veille de la proclamation du FFS, une ultime réunion est organisée à la mairie de Michelet. Tous les cadres sont là, y compris Ali Ammar et Boubekeur Belkaïd qui seront chargés, par la suite, de nous représenter à Oran. Dans la répartition des tâches et des responsabilités, on me confie la mission de prendre en main et de sécuriser le meeting prévu le lendemain à Tizi Ouzou. Avant de partir pour la ville des Genêts, je charge Idir Smaïl, dit Smaïl Ouguemoun, responsable de la caserne de Larbâa Nath Irathen, de me faire parvenir dès le matin les déclarations de proclamation du FFS, pour les distribuer et préparer l'opinion à l'événement. Dans la foulée, je prends contact avec Mohand Oubelaïd, Omar Outelhi et quelques anciens officiers de l'ALN pour nous aider dans l'organisation de la population. En faisant appel à d'anciens maquisards connus, j'ai estimé que leur présence avec nous était nécessaire. J'ai toujours essayé de rassembler les militants, même ceux ayant des sensibilités différentes, pour que la cause en ressorte renforcée. La proclamation du 29 septembre Dès la fin de la réunion, dans la nuit du 28 au 29 septembre, je descends à Tizi Ouzou pour mettre le bataillon chargé de la sécurité de la ville en état d'alerte. Tout le monde est mobilisé. J'invite la gendarmerie et les services de police à ne pas sortir de leurs casernements. Aux premières heures de la matinée de ce 29 septembre 1963, Smaïl Ouguemoun arrive au PC de la 7e région militaire avec les déclarations du FFS. Une dizaine d'officiers et de sous-officiers sont là, tous sur le qui-vive. Quelques instants après, le commandant Mohamed Zerguini arrive d'Alger dans une voiture flambant neuf. Il est venu pour informer le pouvoir de ce qui allait se passer à Tizi Ouzou. Zerguini descend de son véhicule. Je lui tends quelques déclarations et lui lance en arabe : "Lis ya Zerguini !!!" D'une voix chevrotante, il bredouille : "Que Dieu nous protège." Je lui réplique : "Arrête ta démagogie. Quand vous êtes rentrés au pays, vous nous répétiez que nous étions tous des frères, avant de nous bombarder au canon. Je te mets sur-le-champ aux arrêts. Jusqu'à l'arrivée de Si Mohand Oulhadj." En compagnie d'Idir Smaïl, je prends la direction de l'hôpital où notre militant Amar Aouanèche est soigné sous haute surveillance policière. Il a été blessé par balle alors qu'il distribuait le tract annonçant le meeting qui allait proclamer la naissance du FFS. Après avoir désarmé les agents en faction, j'exige du directeur de l'hôpital une ambulance pour évacuer Amar vers l'hôpital de Michelet, où il sera plus en sécurité. Nous revenons ensuite au PC de la région. La population de Tizi Ouzou est méfiante ; elle ne comprend pas ce qui se passe. Les bruits de bottes deviennent inquiétants. Je charge les soldats de distribuer les déclarations du FFS aux quatre coins de la ville. Rassurés, les gens commencent à converger vers la place centrale, où doit se tenir le meeting. Au PC de wilaya, c'est l'effervescence. Depuis quelque temps, nous attendons l'arrivée de Mohand Oulhadj et des autres membres de la direction du FFS. Ils sont en retard, et je commence à m'inquiéter. Je sors du PC quand un soldat m'avertit que tous les responsables du FFS attendent à l'entrée de la ville. Que font-ils à cet endroit ? Je rejoins le lieu indiqué par le soldat où je retrouve tout le monde sur ses gardes. Je demande alors au colonel Mohand Oulhadj pourquoi se sont-ils arrêtés là ? Il me répond : "Nous avons appris qu'il y avait du mouvement en ville !" Je l'informe que c'est nous qui avons déployé l'armée pour sécuriser la ville et personne d'autre. Rassuré, la délégation reprend sa marche. Des dizaines de personnes sont déjà rassemblées et attendent le début de la manifestation. Vers 10h, Me Mourad Oussedik monte sur l'estrade dressée devant la mairie. Face à une assistance nombreuse partagée entre inquiétude et curiosité, rassemblée au centre-ville, il lit, d'un ton solennel, la déclaration de proclamation du FFS. (Voir document.) Succédant à Mourad Oussedik, Mohand Oulhadj et Hocine Aït Ahmed dressent un réquisitoire impitoyable contre les usurpateurs ; un coup de semonce qui sera lourd de conséquence et qui marquera pour longtemps l'histoire de l'Algérie. Le soir, nous reprenons la route qui monte vers Michelet. Après le succès de ce premier rassemblement populaire, nous savons que le régime ne va pas rester les bras croisés. En annonçant la naissance d'un mouvement hostile au pouvoir, le FFS proclame ainsi sa détermination à peser sur le cours des événements. Jusque-là, l'activité des opposants se résumait à des déclarations isolées ou des initiatives très limitées de quelques personnalités. À Tizi Ouzou, des hommes politiques viennent de s'engager dans la lutte contre le régime en s'appuyant sur une région militaire, et avec le soutien de la population. Alors que nous nous attendions à une réaction politique, nous sommes confrontés à une offensive militaire du pouvoir, qui tente de prendre le contrôle de cette région qui lui échappe encore. Pour ne pas mettre en péril la population et la vie de nos militants, nous décidons de quitter les villes pour nous installer dans les villages de montagne. Nous faisons tout pour éviter un affrontement violent ; nous nous considérons comme un mouvement politique, même si nous sommes armés. Si l'écrasante majorité des militants du FFS sont d'abord des soldats de la 7e région militaire, de nombreux civils nous ont rejoints dans la lutte. En prévision de ce qui pourrait arriver, nous avons pris quelques précautions pour éviter le précédent des affrontements de l'été 1962. Ne dit-on pas : qui veut la paix, prépare la guerre ? Quelques jours avant la proclamation du FFS, j'ai vidé les casernes de Larbâa Nath Irathen, de Tizi Ouzou, de Tadmaït et de Boukhalfa de leurs armes et munitions. J'ai chargé des unités pour les évacuer aux environs du village Ichelivène, dans la tribu des Ath Bouyoucef, et dans une petite forêt proche d'Akaouedj. Des militants ont ensuite été chargés de les cacher. Dans la foulée, je réunis les policiers du commissariat de Michelet au centre-ville, pour les inviter à nous rejoindre ou à nous remettre leurs armes et à quitter le commissariat au plus vite. (...)"
*Extrait du livre FFS contre dictature..., (mémoires recueillis par Hamid Arab, Koukou Editions, Alger).