Un Premier ministre qui annule un déplacement officiel à l'étranger. Un gouvernement qui se gausse des malheurs d'un de ses membres avant de prendre conscience qu'il n'y a pas de plaisanterie et de décider de faire front commun. Une classe politique dans le complet désarroi. C'est que la situation est vraiment grave. Au point de provoquer des appels à l'union sacrée face à un danger qui a fini par apparaître en une semaine comme une menace sur l'ordre républicain. Dès lors, le Premier ministre, Dominique de Villepin, et le numéro 2 de son gouvernement, Nicolas Sarkozy, ont des raisons de mettre en sourdine leurs divergences face à des évènements dont ils n'ont pas immédiatement saisi l'ampleur. Et qui, au départ, pouvaient apparaître à l'un et à l'autre comme susceptibles de manipulation dans une compétition électorale qui s'aiguise au fil des jours. Les images relayées par les télévisions du monde entier ont de quoi effrayer. Aux portes de Paris, des villes sont transformées en champ de bataille entre forces de l'ordre et des bandes de jeunes issus de l'immigration. Les dégâts sont énormes. Mais le plus inquiétant reste l'apparition de balles réelles visiblement tirées par des esprits animés des pires intentions. Parties de Clichy-sous-Bois, dans le département de Seine-Saint-Denis, qui accueille la plus forte concentration d'immigrés en France, les émeutes se sont propagées aux villes voisines de Montfermeil et Aulnay avant de parvenir à Mantes-la-Jolie, dans le département des Hauts-de-Seine. À l'origine, la mort par électrocution de deux adolescents qui ont trouvé refuge dans un transformateur de l'entreprise Electricité de France (EDF). Les circonstances du drame, encore incertaines, font l'objet d'une information judiciaire pour“non-assistance à personne en danger”. Les premières explications officielles fournies par le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, semblaient vouloir protéger les policiers. Le ministre parle d'un cambriolage. Une version que les faits ont démenti mais qui a été ressentie comme une nouvelle gifle donnée par le ministre à une population déjà fortement irritée par sa sémantique indélicate. En juillet, Nicolas Sarkozy parlait de “nettoyer au karcher” les cités après la mort d'un adolescent qui se trouvait sur la trajectoire d'une balle tirée lors d'un règlement de comptes entre deux bandes. Il remet une couche à chaque fois qu'il a l'occasion de stigmatiser les voyous et les caïds qui croient tenir leurs “territoires” à l'abri de la loi républicaine. Et sous le joug de leur propre loi. Laissé seul face aux émeutiers, Sarkozy doit essuyer les critiques de son collègue Azzouz Beggag, fils d'immigré algérien qui connaît les banlieues pour y être né et y avoir grandi. Beggag fustige la “sémantique guerrière” de Nicolas Sarkozy qui a fait de la sécurité un axe prioritaire de sa politique. En 2002, l'argument sécuritaire a été décisif dans la défaite de la gauche, accusée de faire preuve d'angélisme par des électeurs effarouchés par le développement de ce qui leur paraissait être des “zones de non-droit”. Sarkozy décide même de supprimer, dans certains quartiers dits sensibles, la police de proximité qui fait surtout de la prévention pour la remplacer par des brigades de CRS spécialisées dans la répression. Il veut de “l'efficacité” en se présentant comme le défenseur des familles paisibles et des petites gens. La confrontation devient presque inévitable dans ces sanctuaires de la misère où les jeunes, lorsqu'ils ne sont pas au chômage, vivent de trafics de tous genres. Historiquement, ces cités sont la transposition de ce qui était des bidonvilles dans les années 60 et 70. Erigées dans l'urgence, elles ont accueilli une génération d'ouvriers qui avaient leurs valeurs et leurs repères dans leurs pays d'origine. Leur souci était le boulot pour faire honneur à la famille restée au bled. Au prix de mille sacrifices. Et d'une soumission qui pouvait confiner à l'esclavage. Progressivement, ils fondront des foyers et auront des enfants en ces lieux qui ne ressemblent pas tout à fait à la France. En tout cas, pas à l'image que la République veut donner d'elle-même. Se sentant exclus, les jeunes ont fait de leurs cités des ghettos indépendants de la République. Et les politiques ont refusé de voir. “C'est comme en Algérie où l'on ne voulait pas voir la montée de l'intégrisme”, commente un cadre résidant à la cité de La Courneuve. La reconquête des cités se révèle en effet problématique. Yacine KENZY