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"Les artistes doivent se sauver eux-mêmes et sauver le théâtre"
SOUÂD KEDRI, ENSEIGNANTE-CHERCHEUSE EN ETUDE THEÂTRALE À L'UNIVERSITE MOULOUD-MAMMERI
Publié dans Liberté le 19 - 02 - 2022

Dans cet entretien, l'enseignante-chercheuse et fondatrice du Festival du théâtre et du cinéma revient sur l'état du 4e art en Algérie. Après une relative relance dans les années 1990-2000, elle estime qu'il est en "déclin" aujourd'hui à cause de plusieurs facteurs, dont l'"absence d'une véritable politique culturelle" et le "ralentissement dans la production théâtrale".
Liberté : Après avoir retrouvé un nouveau souffle durant les années 1990 et 2000, grâce notamment au mouvement associatif, le 4e art vit une léthargie. Quel constat faites-vous du théâtre actuellement en Algérie ?
Souâd Kedri : Il n'est pas très difficile de répondre à cette question. Actuellement, en Algérie, les arts, en général, et le théâtre, en particulier, sont entrés dans une phase de dispersion, d'émiettement et de léthargie. Force est de co­­­nstater que le théâtre commence à se faire très rare, pour ne pas dire son absence subversive dans le paysage culturel du pays.
Ce qui est déplorable est que pendant les années 1990-2000, le 4e art a connu une "renaissance" aux niveaux artistique, esthétique et culturel et ce, grâce à l'engagement de femmes et d'hommes de théâtre et de cinéma qui ont œuvré en collectif et relevé le défi, celui de redonner de la vigueur à la vie intellectuelle et cela, au travers de leurs créations artistiques et recherches. Aujourd'hui, le paysage culturel du pays en est touché de plein fouet. Nous sommes témoins d'une "banqueroute" qui affecte les secteurs artistique et culturel, en général, et le théâtre, en particulier.
Peut-on parler du déclin du théâtre?
Oui, bien sûr. Le marasme dans les secteurs de la culture est un état largement partagé par les observateurs et les praticiens. Le mot déclin est cruel ! Mais même les praticiens du théâtre sont arrivés à une période où faire du théâtre relève d'une gageure. Et sans vouloir être pessimiste, nous assistons à un déclin dans la majorité des arts en Algérie. Qu'à cela ne tienne, après tout déclin, il y a un recommencement, l'espoir est donc toujours présent dans ces moments difficiles de la production théâtrale qui manque terriblement au paysage culturel, car, n'en déplaise aux "démons" de la culture, on ne peut pas vivre sans le théâtre. Malheureusement, cet art est fort loin d'occuper la place que devrait lui assurer son importance sociale, humaine et artistique. Il doit faire partie de notre vie quotidienne et sociale, surtout que le pays traverse une crise socioéconomique sans précédent. Par conséquent, son absence en tant qu'objet artistique et culturel met en crise davantage la société. En somme, il n'est pas du domaine de l'inutile. Le 4e art doit être donc plus que jamais une lunette braquée sur la société. Pour ce faire, les intellectuels et les praticiens du théâtre doivent s'engager davantage dans la promotion des valeurs citoyennes et culturelles en s'intéressant au peuple. Kateb Yacine le dit merveilleusement bien : "(...) Il faut revenir à une conception vivante de la culture. Le peuple est une force. Venir au peuple, ce n'est pas descendre, c'est monter" (tiré de Parce que c'est une femme, 1972).
Qu'est-ce qui explique, selon vous, ce déclin après une "courte" renaissance ?
Plusieurs raisons sous-tendent le déclin et la notoriété du théâtre. La principale cause est l'absence d'une véritable politique culturelle. En Algérie, la "politique culturelle" est en "patchwork". Expliquons. La politique culturelle, en tant que paradigme et catalyseur, est en déphasage avec le système économique et social du pays, il s'éloigne aussi davantage de la diversité culturelle, un atout majeur à mettre en avant pour promouvoir et favoriser le vivre-ensemble. Ce qui est regrettable est que cette politique culturelle ne met pas en place une démarche d'harmonisation entre la diversité culturelle, la création artistique, la contribution à l'éducation artistique et à la transmission des savoirs. En somme, les secteurs culturels subissent un cataclysme.
De plus, ce secteur peine à obtenir le soutien nécessaire des pouvoirs publics et du secteur privé pour sa promotion et son épanouissement. Il faudrait ajouter, à ces deux raisons le manque considérable d'infrastructures culturelles, l'absence de la liberté de création, source d'énergie de tout artiste, et donc le ralentissement de la production théâtrale. Toutes ces raisons prennent des dimensions qui écrasent davantage l'espoir de survie du 4e art.
On constate également que les publics s'éloignent davantage des salles de théâtre, pourquoi, à votre avis ?
Absolument. Les publics s'éloignent davantage des salles de théâtre. La raison principale est ce ralentissement dans la production théâtrale.
Ce que les théâtres régionaux et le mouvement associatif produisent est insuffisant pour captiver le public et, donc, remplir les salles de spectacle. Ce qui est remarquable est que les théâtres régionaux arrivent à remplir les salles, occasionnellement, pendant les vacances scolaires, et cela, dans le cadre de l'animation culturelle. Or, c'est une erreur colossale. On ne réduit pas le théâtre à une animation culturelle. Quand on tente de produire du théâtre, on le fait pour accompagner la société quotidiennement. La deuxième raison est ce déficit au niveau des salles de théâtre, ce ne sont pas tous les citoyens qui ont ce droit d'accès aux salles de spectacle. Le 4e art, en Algérie, n'est pas un produit de consommation. La troisième raison est cet éloignement de l'artiste de son espace de création. Un artiste est celui qui carbure de passion et de résistance.
Il lui faut donc son espace pour créer et se libérer artistiquement. Et pour avoir un art libre, il faut libérer d'abord la création, soulager les artistes de leurs conditions précaires, pour ne pas dire difficiles, libérer les auteurs de tout ce qui les empêche de s'exprimer totalement à condition qu'on leur lâche la bride. Aujourd'hui, c'est aux artistes de se sauver eux-mêmes et de sauver le théâtre. Pour simplifier, les artistes sont privés de la scène et le public est privé de productions théâtrales.
En résumé, ce n'est pas le public qui s'éloigne des salles de théâtre, c'est le théâtre qui est absent.
Toutefois, nous avons de plus en plus de jeunes qui viennent sur scène...
Malheureusement, la formation théâtrale est en déphasage avec les aspirations des jeunes artistes. Beaucoup de jeunes s'intéressent aux arts vivants et tout particulièrement au théâtre.
Nos jeunes artistes sont une mine d'or à ne pas négliger ni à sous-estimer. La plupart des jeunes artistes se réfugient dans le mouvement associatif, fief des artistes amateurs et véritable école de formation, pour espérer avoir accès à une formation, car elle est inaccessible sur le terrain. Ce mouvement soutient tant bien que mal la création artistique.
C'est pour cette raison que les pouvoirs publics et le secteur privé doivent le soutenir et ne pas le lâcher dans sa noble mission, celle de donner à la société des artistes capables de repenser à un théâtre créatif et fécond.
À propos de la formation, quelle place pour le théâtre à l'école et surtout à l'université ?
La culture passe aussi par l'éducation. Et le théâtre, en Algérie, a ses "démons", même dans les secteurs les plus névralgiques du pays : l'éducation nationale et l'enseignement supérieur et la recherche scientifique. Sachant que le théâtre est absent de l'ossature du programme éducatif, l'école est donc ce talon d'Achille qui freine le développement du théâtre en Algérie. Le plus grand mal est l'absence de l'enseignement du théâtre en tant que discipline à l'école. Le théâtre à l'école a ses vertus. Cet art est producteur de savoir et une arme pédagogique magnifique : il est avant tout un objet d'art, un objet d'artiste. Cet art est le vecteur d'émotions, de beau, de pensée, de valeurs sociales, culturelles et d'intelligence de cœur.
En somme, il est ce maillon important qui manque au programme de l'éducation. Avec l'absence de l'enseignement des arts à l'école, ce sont les valeurs culturelles et sociales qui sont exclues du programme de l'éducation nationale. Gaston Bachelard dit l'importance de la société comme suit : "Il faut mettre la société au service de l'école et non l'école au service de la société." Apprendre le théâtre à l'école, en faire une discipline artistique, constituera une véritable ouverture sur le monde de la création. Plus important encore, l'école est un canal de transmission efficace de la culture théâtrale au sein de la société. Quand on initie un enfant à travailler la sensibilité, on lui donne une forme d'autonomie qui lui permettra de se construire dans la vie sociale.
C'est une entorse qui fait mal, car elle impacte l'épanouissement de l'enfant et, par là même, affecte directement les salles de théâtre, car un enfant initié, aujourd'hui, au théâtre, deviendra un spectateur qui se rendra au théâtre demain. Nos enfants ont besoin de rêver, de bonheur, de découvrir le beau, d'optimisme, de jeux, car tous ces moyens sont des transmetteurs efficaces des valeurs culturelles et sociales. Ce qui est paradoxal est que le théâtre soit présent en tant que spécialité à l'université et absent dans le programme de l'éducation nationale. De toute manière, même les départements des arts dramatiques pataugent, et le système LMD n'aide pas vraiment. Ces départements proposent une formation académique où le théorique l'emporte sur la pratique.
Le secteur de la culture doit-il aussi investir dans la formation ?
Le secteur de la culture doit investir davantage dans la formation. Ce secteur est en déphasage avec les réalités et les aspirations de nos jeunes artistes et des passionnés du théâtre qui aspirent à une formation qui vise à les préparer aux milieux artistique et culturel, et cela, par le biais d'un accès aux outils et aux méthodes de la création scénique.
En somme, l'objectif de la formation est de donner à la société des artistes de haut niveau. Pour investir dans la formation, il faut être prêt à investir dans la formation des formateurs. Aussi penser à investir dans la création d'espaces culturels et de formation : centres culturels, complexes culturels, théâtres, salles de spectacle, conservatoires, écoles d'arts dramatiques et instituts spécialisés dans la formation aux métiers du spectacle vivant qui mettra à profit des stratégies afin de penser à la place du théâtre devant les évolutions vertigineuses des nouvelles technologies.

Entretien réalisé par K. TIGHILT


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