Les journalistes condamnés pour “offense, outrage, diffamation et injures” n'auront pas à purger leur peine. Bonne nouvelle pour ceux d'entre nous qui s'inquiétaient de leur incarcération prochaine. Mais du point de vue de la liberté d'informer et de commenter, ce n'est simplement pas une nouvelle. La mesure, si elle nous soulage d'une menace, ne concerne pas le statut du droit à l'information. Que Mohamed Benchicou, officiellement condamné pour “infraction à la réglementation des changes”, soit maintenu en détention rappelle la réalité d'une vision répressive de la liberté de la presse. Au demeurant, l'épreuve qu'endure le directeur du Matin n'est pas étrangère à la décision d'amnistie. Cette trouée dans la chape de plomb nous la devons certainement, et au moins en partie, à son calvaire. Il a fini par devenir, à son corps défendant, le prisonnier témoin de la contrainte qui pèse sur la liberté d'opinion dans le pays. Le détour de libérer les prisonniers virtuels vise aussi à nous dispenser de libérer le prisonnier gênant, prisonnier réel. Mais la liberté ne supporte pas les périphrases ; Benchicou l'a écrit : “la presse algérienne sera libre ou ne le sera pas.” La lettre même de la décision laisse filtrer une orientation corporatiste de la répression. Le communiqué précise, en effet, que ce sont les “journalistes” condamnés pour… qui sont graciés et non de simples justiciables condamnés pour tels faits. Il semble pourtant que la coutume veut que ce soient les actes qui, en pareilles circonstances, sont généralement rappelés et non la qualité de leurs auteurs graciés. Pourtant, faut-il le rappeler, l'offense, la diffamation, l'injure, pour autant qu'elles soient pratiquées dans nos journaux, ne sont pas le propre de la profession journalistique ! C'est cette appréhension punitive du journalisme pour ce qu'il a de potentiellement subversif qui devrait être réformée. Sinon, la généreuse mesure ne vaut que ce que vaudrait une mesure d'apaisement à l'endroit d'un groupe de déviants : elle est sans portée politique. L'“amnistie” de “terroristes de la plume” n'est pas la libération de l'expression. La presse parlée est filmée, c'est-à-dire l'essentiel de l'information nationale est toujours accaparé par le seul pouvoir. Elle organise quotidiennement l'exclusion des voix isolées, insoumises, ou contestataires. La presse écrite, par sa portée marginale, n'est qu'un ersatz de pluralisme d'opinion, un alibi démocratique. Sa répression en fait un abcès de fixation qui dispense le régime de la question de l'ouverture de l'audiovisuel. En tout état de cause, le préalable à toute liberté d'une justice indépendante est en attente. S'il est possible de juger un délit de presse pour un délit de change, il ne sert à rien de proclamer la liberté de presse ou même de revenir sur la pénalisation de ce délit. L'état de la presse ne pose pas la question de sa liberté ; elle pose, comme d'autres secteurs, la question de la démocratie et de l'Etat de droit. M. H.