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Les six derniers jours de Bagdad
A la mémoire des victimes de la barbarie aéroportée
Publié dans Liberté le 12 - 04 - 2003

Nous sommes arrivés en Irak le vendredi 4 avril. Nous y avons passé six jours, dont cinq à Bagdad et une nuit à Mossoul. Nous avons ainsi vécu de très près les tout derniers jours du régime de Saddam. Dans la série des reportages qui vont suivre, nous vous livrons l'état général de ce pays meurtri, l'état d'esprit des citoyens irakiens, des officiels irakiens. L'on pourra ainsi voir comment ce peuple martyrisé, ce peuple courageux affrontait, tout à la fois, la terreur du régime et le déluge de bombes, qui arrosait, nuit et jour, sans discontinuer, les villes irakiennes. Récit d'un voyage-gageure...
Tout a commencé lorsque, par un concours de circonstances tout à fait inattendu, nous avons “enfin” réussi à décrocher un visa d'un mois pour l'Irak, avec une seule entrée. C'était le mercredi 2 avril. Jusqu'à cette date, nous avions passé dix jours au Moyen-Orient, entre la Jordanie et la Syrie. Il faut voir le nombre de journalistes qui sont passés par l'un ou l'autre de ces deux pays dans l'espoir d'aller de l'autre côté.
Un officiel jordanien avait affirmé que pas moins de 1 600 journalistes étrangers étaient accrédités dans son pays. La majorité écrasante d'entre eux n'ira pas au-delà du poste frontalier d'Al-Roueiched où des camps avaient été installés pour recevoir d'éventuels réfugiés irakiens et qui resteront vides.
Chaque jour que Dieu fait, nos confrères se pointaient à la rue Taha-Hussein, en face de l'ambassade irakienne à Amman. A l'instar de cette équipe de la télévision tchèque, ils se verront prier d'aller tenter leur chance à Damas, la voie syrienne étant plus pratique, d'autant plus que les militaires américains avaient averti les journalistes que s'ils tentaient de franchir les frontières par la Jordanie, les snippers US ne répondraient de rien. En ce qui nous concerne, nous nous trouvions en Jordanie essentiellement pour visiter les camps de réfugiés irakiens et discuter avec les ONG humanitaires sur la situation en Irak. Mais, comme tout journaliste présent dans la région, nous cultivions bien sûr l'espoir de trouver quelque moyen de pénétrer en Irak. C'est ainsi qu'à notre tour, et profitant de ce que la Syrie n'exige pas de visa pour les ressortissants arabes, nous quittons Amman au bout de trois jours pour Damas. A peine un pied à terre, nous nous renseignons sur l'éventualité d'une liaison avec Bagdad. En vérité, c'est un fidayi jordanien qui nous avait assuré que tous les Irakiens qui quittaient la Jordanie pour aller défendre leur pays passaient par la Syrie, et donc qu'il devait y avoir un moyen de transport pour les emmener. Renseignement pris, nous prenons attache avec une agence de transport irakienne qui se trouve dans le quartier chiite Sitte-Zineb (ou Sayyida-Zineb). Nous devons avouer que nous avons été surpris lorsque le responsable de l'agence, Ahmed Abou Abdellah, nous avait affirmé que les dessertes sur Bagdad avaient certes chuté mais qu'elles se poursuivaient quotidiennement. “Les chauffeurs connaissent bien les routes, ne vous en faites pas”, nous rassure-t-il. Prix de la place 1 500 livres syriennes, soit 30 dollars américains, si vous prenez le bus. L'agence loue, par ailleurs, des voitures à 500 dollars américains.
Eternelle quête de visa
Cette information nous a de suite décidé à prendre la route de Bagdad. Pourtant, un problème de taille allait se poser : le visa. Vous avez beau être arabe, vous avez beau être algérien, pro-irakien et tutti quanti, le fait d'être journaliste gâche tout. Un factotum de l'ambassade irakienne nous le fait d'ailleurs savoir clairement : “Si vous voulez qu'on vous accorde le visa, vous devez nous laisser tout votre matériel. Vous vous inscrivez avec les volontaires et vous partirez comme combattants”. Nous acquiesçons à toutes ces conditions, mais il s'avérera que les choses n'étaient pas aussi simples. Notre qualité de journaliste posait problème, ce qui n'a pas manqué de consoler Patricia, une consœur du New York Times Magazine, qui attend à Damas depuis un mois, et qui nous disait avec envie : “Vous êtes Algériens, vous l'obtiendrez !”
Depuis jeudi 27 mars, nous pointons chaque soir à l'ambassade irakienne qui organisait des départs au profit des volontaires arabes. En moyenne, il en partait 500 chaque jour. Le boucan provoqué par les bus dans les rues du quartier chic des Muhadjirine a obligé les Irakiens à transférer ces départs vers la Foire internationale de Damas. Aussi, c'est à partir de là-bas que nous avons failli embarquer en cette nuit du 29 mars. Nous avions un pied dans le bus, l'autre à terre quand, après vérification de notre passeport, nous avons été refoulé à défaut du maudit visa. A partir de ce jour-là, nous nous sommes jurés d'abandonner les démarches et de se contenter de sujets “périphériques”. Il se trouve que Damas grouillait de confrères compatriotes qui, eux aussi, s'étaient épuisés en tentatives malheureuses d'obtenir le fameux document. A un moment donné, nous nous sommes retrouvés à cinq reporters algériens, sillonnant les rues de Damas. Hassan Zerrouk, Nadir Bensbaâ et Moh, tous trois du Matin, Abdelbaki Djabali d'El Watan et nous-même pour Liberté. Présents en force, nous sollicitons notre ambassadeur en Syrie, M. Kamal Bouchama, pour une intervention auprès de son homologue irakien. Il nous conduit lui-même chez l'ambassadeur qui donne tout de suite instruction au consul irakien pour nous accorder ce précieux “sauf-conduit” que des milliers de confrères nous enviaient en pareils moments, surtout que les hostilités s'étaient déclenchées depuis six jours.
Pendant ce temps, les “nouvelles du front” étaient terribles. Une véritable pluie de bombes s'acharnait sur Bagdad, et tout le monde nous disait : “C'est de la folie, c'est carrément du suicide de partir à Bagdad dans de telles circonstances !” Nous ne savons pas si nous en avions vraiment conscience, mais l'appel du devoir, la passion du métier, la hargne de vouloir témoigner des affres de cette guerre injuste et injustifiée faisaient taire en nous, personnellement, l'appel de la raison. Nous nourrissions, à l'évidence, force appréhensions. Prenant les choses avec humour et ironie, un confrère lance à un autre quand l'agent consulaire a fini de lui parapher le document “Mabrouk alik, tu as un visa pour la mort. La profession sera fière de toi”
Ignorant toute précaution, nous n'avions pour tout dire, qu'une idée en tête : foncer. Il y a l'honneur du soldat et il y a l'honneur du journaliste. Le soldat défend son territoire et celui de sa tribu, le journaliste témoigne. S'il faut aller sous les bombes et les obus et bien, il faut le faire, et sans se poser de questions.
Damas-Bagdad en bus
Jeudi 3 avril, 20h. Après avoir loué nos places, nous gagnons le bureau de l'agence irakienne qui devait nous conduire à Bagdad. La possibilité de faire un reportage avec les volontaires arabes en prenant le bus avec eux nous est fortement déconseillée : les Américains les considèrent désormais comme des cibles à abattre. De fait, ils en ont d'ailleurs bombardés plusieurs.
Pourtant, la plupart des passagers qui étaient avec nous étaient des baroudeurs qui partaient au front. Nous étions environs 50 voyageurs. Dans le lot, il y avait des familles qui rentraient en Irak. C'est triste de le dire mais elles nous serviront, malgré elles, de “boucliers humains”. Le bus est un vieux Man complètement dépareillé. Une pancarte collée sur le pare-brise du car disait à peu près “Venez profiter de nos liaisons Damas-Bagdad dans des bus modernes et confortables”. Le bus ne s'ébranle qu'à 22 h, au milieu d'une kermesse populaire. Des clameurs montent dans le quartier des Irakiens, à Sayyida-Zineb. Les familles et les amis sont venus en force faire leurs adieux à leurs braves fils qui vont au charbon faire la guerre aux Yankees. Des hymnes, des prières, des hourras s'élèvent en une cacophonie paroxystique. Cela rappelle les scènes des petites rues, les “zouqaqs” égyptiennes des romans populaires de Naguib Mahfoud. Des ambiances qui nous font monter l'adrénaline dans cet Orient si excessif et tellement bien “épicé”, où chaque événement est vécu dans toute son intensité. Le choix d'une heure aussi tardive pour prendre la route s'explique par le fait que les transporteurs doivent impérativement traverser les 300 km qui séparent Damas des frontières irakiennes de nuit afin qu'ils puissent rouler en Irak de jour. C'est plus sûr pour le trajet, les Américains ayant tendance à appuyer un peu trop vite sur la gâchette dans le noir.
Nous faisons le voyage en compagnie d'un jeune Irakien de 27 ans, Ahmed. Il était en Syrie depuis quelques mois, nous dit-il. “J'ai passé six ans dans l'armée irakienne, trois au titre du service militaire et trois comme soldat dans les troupes Al-Qods pour défendre les peuples arabes”, ajoute notre compagnon. “Tu vas donc pour te battre ?”, l'interrogeons-nous. “Bien sûr, mais pas dans les rangs de l'armée. Je vais aller dans ma ville, à Al-Koute, et je vais participer à la bataille des rues (harb a-chawariî)”, répond-il.
Sayf a 23 ans. Il est maçon. On lui donnerait nettement plus avec ses moustaches, son keffieh et sa âbaya. Il a d'ailleurs le bel accent de la campagne irakienne. Sayf est un beau garçon, un blondinet aux traits de gentleman anglais. Depuis le début du trajet, il n'arrête pas de bouger dans tous les sens en épiant tout le monde. Il est très nerveux. Dès qu'il nous a vus, il est venu vers nous et s'est mis à nous poser des questions d'un air méchant, nous soupçonnant d'emblée d'être des étrangers. A la fin, il finit par sympathiser avec nous. Il nous offre même de venir passer la nuit chez lui. Il sort une liasse de billets verts, des dollars, en lançant : “Si tu as besoin d'argent, tu peux compter sur moi !” Sayf est orphelin. “J'ai perdu mon père dans la guerre contre l'Iran. C'était en 1980. Je ne l'ai pas connu. Il est mort quelques mois avant ma naissance”, raconte-t-il. Sa mère l'a suivi quelques années après, ne lui laissant qu'un frère qui vit en Jordanie, et qu'il n'a pas vu depuis trois ans. Sayf est impatient d'arriver aux frontières et de se rendre dans le camp militaire le plus proche. “Je n'avais pas d'argent, c'est pour cela que j'ai mis du temps pour rentrer dans mon pays, je travaille chez un Libanais. J'ai dit à mon patron tu me payes tout de suite. Il m'a payé et je suis venu aussitôt”, explique Sayf. A un moment donné, il se met à pleurer. “Pourquoi pleures-tu, mon ami ?”, demandons-nous. “Je pleure Saddam. J'ai trop peur pour lui. J'admire beaucoup cet homme. C'est le meilleur”, lâche-t-il.
Le plus jeune parmi ces combattants a tout juste 19 ans. C'est un Yéménite qui poursuit ses études en Syrie. Il s'appelle Mouchiil. Il est en 1re année d'informatique. Il a fait plusieurs tentatives d'aller en Irak dans les bus affrétés par l'ambassade irakienne. Peine perdue. Il est venu à l'improviste à l'agence. Il a rencontré un compatriote à lui qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam. “C'est lui qui m'a payé le voyage. Je n'ai aucun sou sur moi”, confie-t-il.
Qu'est-ce qui l'a poussé à quitter l'université pour aller au front ? “C'est l'honneur Monsieur !”, rétorque-t-il d'un ton fier. “Quand ton honneur est bafoué, quand ton frère est agressé, il n'y a plus d'études qui tiennent”, entonne-t-il.
Bref, dans le bus, que des jeunes. Des jeunes très sûrs d'eux, très remontés contre les Américains. La plupart d'entre eux sont animés d'un sentiment religieux très fort, bien plus que d'un chauvinisme arabo-arabe. La preuve : dès que le bus a démarré, voici l'un d'eux se levant pour prier les passagers de glorifier Dieu et son Prophète “Allahomma salli âla Mohamed oua ala ahli Mohamed !”, récite-t-il, avant d'inviter tout le monde à prononcer la Fatiha. Tout le monde lève les bras au ciel et implore la protection de Dieu. Tout le car baigne dans une ambiance religieuse. Après une halte pour se restaurer, on se fraye un chemin dans une nuit noire en direction du poste frontalier de Tanaf, à 300 km à l'est de la capitale syrienne.
9h15 du matin. A 3h, on pointe devant le poste frontalier irakien d'Al-Walid. Ici, Bagdad est à 562 km. Soit à près de 900 km de Damas. (à suivre...)
M. B.
Un volontaire nommé Djaber
Abdelmalek B. a 21 ans. Ses amis l'appellent Djaber. Originaire de Tadjenant, il vit à Alger où il a géré les commerces de son père. Djaber a tout quitté pour aller combattre aux côtés des Irakiens. A Damas, nous avons rencontré des membres de sa famille ainsi que son ami intime. Ils sont venus spécialement pour le “rapatrier”. “Il est parti en catimini sans rien dire à personne”, confie son oncle. “C'est un garçon très gâté par la vie. Il change tout le temps de voiture. Il y a quelques jours, il venait de rentrer de Paris. Il claque du fric à sa guise. Rien ne laissait présager qu'il allait nous faire ça”, ajoute-t-il, le visage contrit par l'inquiétude et la fatigue. Son ami témoigne : “C'est un jeune tranquille et sans histoires. Il fait sa prière comme tout le monde et il vit sa vie. Ce que je ne comprends pas, c'est que c'est un jeune qui aime la belle vie. On va souvent passer quelques jours en Tunisie. Je ne comprends rien à son attitude”. Avant de partir pour Bagdad, Abdelmalek a laissé une lettre pour sa famille où il leur annoncé qu'il a transféré tous ses avoirs sur un compte spécial au nom de ses parents. “Il leur a laissé environ deux milliards”, dit son oncle. Et d'ajouter : “Il a confié le magasin à son employé et a abandonné sa voiture dans la rue. C'est un garçon extraordinaire. Nous devons absolument le retrouver. S'il lui arrive malheur, c'est toute la famille et ses amis qui en souffriront.”
M. B.


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