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Ecran noir sur le Tigre
Les six derniers jours de Bagdad (III)
Publié dans Liberté le 14 - 04 - 2003

Notre reporter est arrivé en Irak le vendredi 4 avril. Il y a passé six jours, dont cinq à Bagdad et une nuit à Mossoul. Mustapha Benfodil a ainsi vécu de très près les tout derniers jours du régime de Saddam. Dans la série de reportages que nous publions cette semaine, il livre l'état général de ce pays meurtri, l'état d'esprit des citoyens et officiels irakiens. L'on pourra ainsi voir comment ce peuple martyrisé, ce peuple courageux affrontait, tout à la fois, la terreur du régime et le déluge de bombes, qui arrosait, nuit et jour, sans discontinuer, les villes irakiennes. De Damas à Mossoul, récit d'un voyage-gageure...
Vendredi 4 avril : 16e jour de la guerre contre l'Irak. Il est 19h, heure de Bagdad, 16h à Alger. Nous sommes enfin au cœur de la capitale irakienne. Les premières images de Bagdad sont tout simplement choquantes, surtout pour celui qui vient de la somptueuse Dimachq, Damas. Nonobstant les effets directs de la guerre, la première impression que nous a faite Bagdad est celle d'une ville clochardisée. Saddam a clochardisé son peuple. Cela se voit de prime abord. Cette ville tentaculaire de 10 millions d'âmes n'est plus qu'une interminable succession de béton, de bâtiments lugubres à la soviétique, de palais de mauvais goût et de ponts parallèles qui enjambent le Tigre, le fleuve qui coupe la ville en deux.
La température est de 30°c minimum. L'atmosphère est suffocante. La couleur du ciel vire au noir en raison des volutes de fumée qui s'échappent des tranchées de pétrole creusées tout autour de Bagdad. Une brume ocre alourdit l'air. C'est du sable. Bagdad avec ses palmiers ressemble davantage à une ville saharienne. C'est une ville continentale érigée au milieu de l'immense oasis poussée autour du Tigre.
D'un bout à l'autre de la ville, des tonnes et des tonnes de détritus et de gravats. Il n'est pas un seul trottoir qui ne soit défoncé. Les maisons, les magasins, les boutiques, les rues commerçantes du Vieux Bagdad, tout est sinistre, tout respire la désolation. Autre signe de cette “clochardisation”, l'état du parc automobile. Toutes les voitures qui circulent sont croulantes, des Passat made in Brazil pour les trois quarts. Rien à voir avec les berlines si chères aux Orientaux que l'on aperçoit à chaque coin de rue, à Amman ou à Damas. Ici, tout comportement ostentatoire est sévèrement réprimé. Seuls les dignitaires du régime ont le droit de posséder de belles voitures, de belles maisons, de “belles femmes”. Le visiteur remarque tout de suite que les toits de Bagdad sont les seuls à être dépourvus de paraboles. Seules les antennes squelettiques permettant de capter la chaîne stalinienne sont autorisées.
Inutile, bien sûr de parler des portraits sur dieu Saddam qui sont partout, partout, partout, accompagnés d'une bonne centaine de kilomètres de slogans qui nous renvoient à l'Algérie des années 70. Le culte de Saddam est la première religion en Irak. Il n'y en a que pour lui et son sacerdoce : le Baâth, une chapelle qui compte des millions d'adeptes forcés. Un vrai voyage dans le temps pour un Algérien qui a laissé cette forme de communication politique très loin derrière.
Une comparaison sommaire avec la splendeur du Damas traditionnel nous désespère de trouver dans cette ville-caserne la moindre senteur du Vieux Bagdad. C'est la fin des clichés. Aux Mille et Une Nuits vont succéder mille et un cauchemars. Haroun Al-Rachid était peut-être un dictateur, lui aussi, mais il nous a laissé au moins son mythe. Saddam a achevé tout ce qu'il y avait de mythique dans Bagdad pour que ne reste que le sien, légende vivante d'un potentat absolu qui n'aurait certainement pas hésité à sortir son flingue et le vider dans la bouche de Schéhérazade. En un tour d'autobus, nous avons compris que pour tout émerveillement, nous ne pouvions attendre de cette ville qu'une belle leçon de résistance, comme nous y a habitués depuis voilà trois ou quatre millénaires, son cruel et néanmoins fabuleux destin. Mille et Une Nuits ou pas, soviétique ou pas, Bagdad reste Bagdad, une cité qui porte en elle, dans sa quintessence même, on ne sait quoi d'éternel, une ville dont les bras embrassent la terre entière de Jakarta à Mexico, car il est écrit depuis les Assyriens, depuis les Babyloniens, depuis la nuit des temps que cette ville portait en elle le destin de l'humanité. Et quand Bagdad est frappée, on sent qu'un siècle vient de s'achever qu'un règne nouveau, une époque nouvelle va commencer.
Partout des sacs de sable
Bagdad nous a paru, naïvement peut-être, prête à se défendre. Partout, des blindés, des chars, des pièces d'artillerie lourde, des automitrailleuses, des batteries de DCA. Il n'est pas un seul coin où vous ne voyez d'homme armé. Tous les Bagdadiens sont mobilisés : armée régulière, fidayine de Saddam, milices du parti Baâth, Garde républicaine, de quoi avoir le vertige. Mais quelle que soit leur chapelle, les uniformes sont minoritaires face aux civils armés. Dans chaque maison, une garnison sur chaque toit, une guérite. Tous les cent mètres, des sacs de sable. Les Irakiens ne nous ont guère paru éprouvés par les affres de cette guerre. “Nous avons appris à vivre avec la guerre”, résume un ingénieur quinquagénaire qui montait la garde à l'entrée de l'hôpital Al Yarmouk. C'est un peu comme nous avec le terrorisme. Les Irakiens connaissent par cœur les cibles préférées de l'aviation américaine, les endroits où il ne faut pas s'aventurer, les quartiers où vous ne risquez rien, les heures auxquelles où il ne faut pas circuler, etc. Exactement comme les Algériens de Chlef, de Aïn Sefra, de Relizane, de Djelfa, de Laghouat, de Mizrana, de Ramka : ils connaissent les routes pan par pan, ils savent où opèrent les forces de Dieu, dans quels points sont dressés généralement les faux barrages et quelles heures il ne faut pas risquer. Nous devons avouer que nous sommes entrés à Bagdad la tête bourrée d'images télé montrant des maisons en ruine, des civils déchiquetés, des voitures carbonisées. Nous serons agréablement surpris de voir que la ville n'est pas à ce point atterrée. Vous n'allez pas voir de cadavres traînant dans les rues où des bombardements systématiques sur tout ce qui bouge. Cela dit, il n'est pas un seul pan du centre de Bagdad, là où sont concentrés les bâtiments officiels et les palais de Saddam, qui ne porte les séquelles des frappes américaines comme autant de plaies béantes. Des bâtiments encore fumants se font déjà voir dans la région d'Aramadi, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Bagdad. A Abu Ghrib, faubourg contrôlé par les Américains, les stigmates de combats particulièrement féroces entre les marines et les éléments de la Garde républicaine sont terribles. Dans la région d'Al-Karkh, à l'est du Tigre, au centre de Bagdad, les bombardements ont fait des ravages. L'on peut ainsi voir toute une succession d'infrastructures réduites en cendres : siège de la direction de l'aviation militaire, centraux téléphoniques, siège de la télévision irakienne, ministère de l'Information, hôtel A. Rachid, Foire internationale de Bagdad, palais présidentiels, siège des services irakiens, cantonnements militaires, tout est détruit. Et ce n'est pas fini. Les F16 américains reviendront tout au long des prochains jours s'acharner contre ces mêmes bâtiments qui, pour nombre d'entre eux, sont implantés dans des quartiers résidentiels, ce qui explique le nombre effarant de pertes parmi les civils.
A perte de vue, tous les magasins sont fermés à l'exception de rares commerces d'alimentation générale. Les marchés sont déserts, les rues vides. Vous ne voyez que des grappes de civils armés qui échangent les dernières infos du jour. Fait époustouflant : ils sont au centre d'une foire médiatique mondiale et pourtant, ils sont les derniers à être au courant de ce qui se dit sur eux. Ils n'ont qu'une seule chaîne de télévision et elle est complètement out. La presse irakienne est pratiquement inexistante. Qui plus est, l'électricité est absente dans la plupart des foyers, si bien que, dès la tombée de la nuit, la ville est plongée dans le noir. Comment font ces populations pour subsister, diriez-vous ? Nous avons posé la question à quelques citoyens irakiens. Un fonctionnaire à la retraite nous dit que le gouvernement avait distribué des ravitaillements pour huit mois. “Ils ont payé les fonctionnaires à l'avance. Moi, ils m'ont versé ma pension pour les six prochains mois.”
Les Irakiens peuvent, en effet, se procurer les produits de base (lait, légumes secs, farine, semoule, lait pour enfant) dans des points de distribution contre une somme symbolique forfaitaire de 250 dinars irakiens. Nous n'avons pas entendu un seul irakien se plaindre de manque de nourriture ou de médicaments. “Cela fait plus de 20 ans que nous vivons ce cauchemar. Il y a eu la guerre contre l'Iran, la première guerre du Golfe et douze ans d'embargo, cela vous développe forcément des réflexes de survie”, dit un père de famille, propriétaire d'un magasin d'électricité générale. “Dès qu'il y a du grabuge, je ferme mon magasin et je suis tranquille. J'ai mis ma famille à l'abri dans un petit village près de Mostoul ; là-bas, c'est la campagne. Pas besoin de se procurer les produits alimentaires, les vaches nous donnent le lait et la terre le reste”, ajoute notre homme, le sourire aux lèvres.
De fait, les Irakiens font montre d'un stoïcisme épatant. Le jour, ils vaquent à leurs petites occupations, le soir, ils se relaient autour de leurs postes de surveillance. C'est le cas de Read, la trentaine, employé dans une agence de change. A 16h, ils s'apprêtait à baisser rideau. “Je vais prendre mon arme et je vais monter la garde”, dit-il tranquillement. Ainsi va le quotidien des Irakiens, la vie, graine entêtée qui palpite dans les terrains les plus arides, frétille même sous les bombes.
Passées les premières frayeurs, nous apprenons, à notre tour, à nous familiariser avec les terribles tirs d'obus, les trajectoires des missiles qui dessinent des choses horribles au fond du ciel et les sirènes hurlantes des ambulances. Et c'est dans cette atmosphère-là que nous avons réalisé à quel point le terrorisme nous a aguerris. Dix ans de terreur, de larmes et de sang ont fini, nous aussi, par tuer en nous un sentiment aussi humain que la peur. Devant la dictature de l'absurde, que de fois n'avons-nous pas souhaité dans le secret de notre angoisse existentielle, que tel “missile perdu” ne nous fauche sur son passage ! Quand la vie d'un homme vaut si peu, il ne peut que se déshumaniser. C'est cette forme d'humanité, celle de se jeter à plat-ventre quand un F16 hystérique se met à cracher son fiel, que beaucoup de peuples opprimés ont perdue !
M. B.


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