Après l'affaire du thon, y aura-t-il celle de plus d'une centaine de chalutiers importés à l'état neuf dans des conditions douteuses par des opérateurs privés algériens auprès d'un même constructeur naval italien ? Les factures y afférentes ont été réglées à 60% par le Trésor public algérien via le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques (MPRH). Il s'agit d'une opération de financement remboursable et sans intérêts lancée dans le cadre du plan quinquennal 2005/2009 pour le développement de la pêche. Beaucoup de personnes sans relation avec ce secteur s'y étaient engouffrées pour bénéficier de ce soutien financier. Le reste du financement censé représenter l'apport personnel de l'acquéreur ont été réglés par… le seul et unique fournisseur, un constructeur naval italien. C'est du moins ce qui ressort des déclarations de Mohamed Bouali, un armateur de Annaba lorsqu'il a affirmé : «Dans le cadre de cette opération financée à 60% par l'Etat pour le développement du secteur, j'ai été contacté par le représentant d'un constructeur naval italien. Comme il l'avait fait avec d'autres armateurs, il m'a proposé d'acquérir un chalutier auprès de sa société, en contrepartie il prenait en charge la totalité de l'apport personnel. J'ai refusé.» Plusieurs années après la réception des chalutiers, force est de relever que les responsables chargés de cette opération d'octroi du soutien financier étatique donnent l'impression d'avoir conduit l'étude des dossiers au gré de leurs affinités. C'est en tous les cas l'interprétation à accorder aux conditions qui, majoritairement, ont permis de déroger au principe d'égalité de traitement des demandes et de l'octroi du financement. C'est d'ailleurs ce qu'a récemment rappelé Abdallah Khanafou, ministre de la Pêche et des Ressources halieutique. Depuis des mois, il ne cesse, à chacune de ses sorties, d'interpeller les bénéficiaires du soutien financier de l'Etat (l'équivalent de 40 à 60% de la valeur global des embarcations ou équipements pour thonier) à l'effet de procéder au remboursement de leur dette. «Ceux qui ne respecteront pas leurs engagements feront l'objet de poursuites judiciaires», avait-il menacé. Sa réaction est motivée par le fait qu'à quelques semaines du début de la campagne 2011 de pêche du thon rouge, aucun nouveau thonier n'a montré le bout de sa coque. Ce qui a eu pour conséquences la perte, encore une fois, des 610 tonnes de thon que, en l'absence de nos représentants à sa dernière réunion, la Commission internationale pour la conservation des thonidés (ICCAT) a bien voulu accorder à notre pays en 2010. Les cadres du ministère chargés de défendre notre dossier auprès de cette instance étaient étrangement absents à cette réunion pour une question de… visa ! Durant des années et jusqu'à 2008, le quota algérien était de 1 100 tonnes. Cette quantité était cédée sur remise de l'autorisation de pêche accordée par le MPRH à un armateur turc qui, en catimini, versait à ses complices algériens la contrepartie en devises versée sur un compte bancaire à l'étranger. Il a fallu que cette affaire éclate au grand jour à Annaba en 2009 pour mettre fin à cette pratique. D'aucuns ont estimé qu'elle était destinée au financement des activités d'un parti politique algérien. Cette affaire éventée, c'est celle des chalutiers neufs acquis par des opérateurs (ou qualifiés comme tels) ayant bénéficié du prêt de l'Etat qui fait actuellement l'actualité dans le milieu des gens de la mer. La question est de savoir à qui a profité le financement de l'Etat pour l'acquisition de ces chalutiers. D'autant que les factures de ces derniers, non exploitées pour la plupart, ont été réglées au triple du prix réel de ce type d'embarcations sur le marché international. Qui sont les bénéficiaires du financement accordé par le ministère pour leur importation? Cette autre question revient sans cesse dans les propos des armateurs et patrons de pêche. A Annaba, notamment, où l'on parle de black out total imposé sur l'identité des propriétaires des chalutiers neufs à quai et loin des regards indiscrets au port de la grenouillère. «Une douzaine de ces chalutiers est à quai depuis des années au port de la Grenouillère. Leur amarrage posant problème pour la mise en cale sèche des embarcations dans le besoin d'un entretien, nous avons vainement cherché les propriétaires afin qu'elles soient déplacées. Selon des indiscrétions, ces chalutiers seraient la propriété d'une seule et unique personne, une grosse pointure du système. Même les représentants des institutions en charge de la gestion du port refusent de révéler son identité. Une chose est certaine, aucun armateur ou patron de pêche de Skikda, Jijel, Tarf et Annaba, n'en est le propriétaire», indiquent des armateurs de Annaba. Pour d'autres, l'immobilisation de ces chalutiers neufs serait le fait de la rareté du personnel qualifié pour leur exploitation. Tout un mystère qui expliquerait les tracasseries imposées par la police maritime aux représentants de la presse venus accomplir leur mission d'information sur cette infrastructure portuaire de Annaba. Et si l'accès du port de la Grenouillère a été, d'une certaine manière, interdit aux journalistes, il est facilité aux faux armateurs, patrons de pêche, délinquants, trafiquants, drogués et prostituées. Tout est fait pour que l'affaire des «chalutiers neufs cachés sans propriétaire connu» reste du domaine de la confidentialité. Comment et pourquoi ? Les réponses sont à chercher du côté d'un parti islamiste algérien en étroite relation d'affaires avec les turcs. Comme quoi, le MPRH aurait été derrière une politique des deux poids deux mesures. Toute porte à croire que c'est de la complexité de l'octroi du financement créée à escient que provient la distorsion dans l'étude des dossiers des demandeurs. Selon nos sources, ces crédits ont été accordés dans des conditions douteuses. Elles seraient similaires à l'inscription au registre du commerce au nom de personnes décédées ou dont l'identification relève de l'impossible. C'est dire que l'incompétence, la compromission, la corruption et la dilapidation ont permis à certains faux armateurs de s'enrichir et à des commis de l'Etat de se constituer des fortunes. C'est ce qu'ont tenté de dénoncer, en 2009, l'ex-secrétaire général et le directeur de la pêche maritime et océanique du MPRH en ébruitant l'affaire du thon rouge de Annaba. Ils ont été condamnés à des peines de prison ferme. Dans le remue ménage qui ne manquera certainement pas de suivre cette affaire de chalutiers acquis au prix fort par des «armateurs fantômes» les gros bonnets s'empresseront de détruire dans l'œuf toute enquête approfondie. Après le thon, les chalutiers neufs importés pour être aussitôt cachés, les gens de la mer des régions côtières de l'Est parlent d'un autre grand trafic. Il s'agirait de celui de l'exportation illicite par voie maritime d'importantes quantités de carburant à destination de la Tunisie. Comme pour la pêche en période de reproduction du poisson et dans des zones interdites, ce trafic de carburant se fait au nez et à la barbe de la police maritime et des garde-côtes algériens. A. Djabali