Il y a quelques jours, pour le 55e anniversaire de la mort du docteur Frantz Fanon (décédé le 6 décembre 1961 à l'âge de 36 ans), les médias avaient consacré de larges espaces sur le parcours de ce militant anti colonialiste, engagé pleinement pour la cause algérienne, et ont fait revisiter son œuvre qui est toujours d'actualité. A plusieurs occasions, un hommage parfaitement mérité lui a été rendu par les Algériens. La première cérémonie organisée en l'honneur de Frantz Fanon, et une des plus belles, certainement, a eu lieu à Blida, le 25 décembre 1962, quelques mois, à peine, après la proclamation l'indépendance de l'Algérie pour laquelle il a combattu. Comme en témoigne la photo qui accompagne cet article, la cérémonie a été exceptionnelle. Ce fut une grande journée marquée par des activités variées, sportives et culturelles, empreinte de l'humanisme qui a caractérisé Frantz Fanon. Le programme a consisté en une matinée récréative pour les enfants, un après-midi sportif pour les jeunes et une soirée musicale pour les mélomanes. Le clou de la journée fut le match amical opposant l'USM Blida à l'OM Ruisseau pour le compte de la Coupe Frantz Fanon, un trophée symbolique mis en jeu à cette occasion (voir Alger républicain du 26 décembre 1962). Dans le stade de Blida, il y avait dans la tribune d'honneur, le président Ahmed Ben Bella, entouré de trois membres de son gouvernement : Houari Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika et Amar Ouzegane. Un compagnon de Frantz Fanon, l'infirmier Makhlouf Longo, prononça l'allocution de bienvenue, rappelant les qualités humaines et professionnelles du grand homme de convictions qu'a été Dr Fanon, et souhaitant à son fils Olivier, présent avec sa mère Josie, à la tribune d'honneur, «une longue et heureuse vie dans l'indépendance». Ce jour-là, tous les discours se terminèrent par le serment qu'il n'y aurait plus de «damnés de la terre» en Algérie. Le chanteur Abderrahmane Aziz prêta sa belle voix pour faire le speaker du stade, et lire la composition des deux équipes. Olivier Fanon, à l'époque âgé de 7 ans, mit toute sa force pour taper dans le ballon posé au centre et donner le coup d'envoi du match. Pour la petite histoire (sportive), il y avait dans les rangs de l'OMR un certain Hacène Lalmas (il ouvrit et clôtura le score et marqua quatre des sept buts de son équipe). Inutile de dire que le score fut lourd pour les Blidéens qui sauvèrent quand même l'honneur. Le duo Lalmas-Achour avait annoncé la couleur, et on comprit qu'il serait irrésistible dans les compétitions à venir. Mais, le grand moment de cette journée fut évidemment l'instant où l'hôpital psychiatrique de Joinville-Blida prit le nom de Frantz Fanon. Blida avait voulu de cette façon honorer Dr Fanon qui avait «libéré» l'hôpital psychiatrique de Joinville, qu'il rejoignit en décembre 1953, des chaînes de l'infamie imposée par code de l'indigénat. Selon les témoignages des frères Ali et Makhlouf Longo qui ont travaillé avec Dr Fanon, dans cet enfer d'où montaient les hurlements de malades enchaînés, étroitement gardés par des infirmiers malabars, il appliqua la méthode de la socio-thérapie; les chaînes furent jetées à la poubelle et les malades devinrent libres de leurs gestes. L'ergothérapie (la guérison par la pratique de métiers) et la sociothérapie (la guérison par les activités sociales) pouvaient commencer. L'hôpital perdait alors ses allures de prison, et tout était fait dans l'intérêt de malades qui avaient recouvert le droit à la parole en participant à des réunions avec les médecins et le personnel para-médical. Dr Fanon avait chargé le chanteur Abderrahmane Aziz d'organiser des activités culturelles - concert de chants, pièces de théâtre, ciné-club – animées par les malades eux-mêmes qui formaient l'orchestre, la chorale, la troupe de théâtre, discutaient des films pendant les séances-débats,... Ils guérissaient ainsi. Expulsé d'Algérie, Frantz Fanon partit en Tunisie avec sa femme, Josie, et son fils, Olivier, âgé alors d'un an et demi. Sa contribution au combat de l'Algérie pour son indépendance est inestimable. En si peu d'années, Frantz Fanon a tant donné à l'Algérie, devenue son pays.