La répression particulièrement violente de centaines d'Algériens lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, a été occultée par les médias français, a regretté Mohamed Tahar Bensaada, directeur général de l'institut Frantz Fanon, un centre d'études politiques et stratégiques pour la paix et le développement basé à Bruxelles. Lors d'une conférence-débat organisée lundi au siège du Consulat-général d'Algérie à Bruxelles à l'occasion du 55ème anniversaire des massacres du 17 octobre 1961, M. Bensaada a déploré «la négation» de ces massacres et «l'indifférence presque totale» de la presse et de toute la société française à l'égard de ces événements. Selon ce chercheur, l'Etat français s'est employé à recouvrir les massacres du 17 octobre 1961 du «voile de l'amnésie», reprochant à la presse française de l'époque d'avoir «dissimuler la vérité». «Seul le journal Libération, un quotidien issu de la résistance française, a écrit sur les évènements du 17 octobre 1961 et de la répression policière qui s'en est suivie», a-t-il indiqué. A quelques mois de la fin de la guerre d'Algérie, le 17 octobre 1961, Paris a été le théâtre d'un des plus grands massacres de manifestants pacifiques dans l'histoire contemporaine de l'Europe occidentale. Ce jour-là, des dizaines de milliers d'Algériens, répondant à l'appel de la Fédération de France du FLN, manifestaient contre le couvre-feu qui les vise depuis le 5 octobre et la répression organisée par le préfet de police de la Seine, Maurice Papon. La manifestation devait être pacifique et les militants du FLN ne voulaient pas donner de prétexte permettant à la police de justifier une répression. Mais, la réponse de la police française a été extrêmement violente. Outre l'internement de milliers de manifestants et l'expulsion de centaines d'entre eux, plusieurs centaines d'Algériens sont portés disparus oû nombre d'entre eux ont été exécutés et jetés dans la Seine, alors que des négociations s'ouvraient entre les autorités françaises et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). «L'enjeu en 1961 était le statut du futur Etat indépendant. Les autorités françaises voulaient faire de l'Algérie un Etat associé à la France», a-t-il indiqué, expliquant que les massacres du 17 octobre 1961 étaient destinés à «faire éloigner la perspective de l'indépendance», notamment par l'Organisation de l'armée secrète (OAS) qui a tenté de contrecarrer le processus de négociation qui allait aboutir à l'indépendance de l'Algérie. «En dépit de cette violence, le FLN n'est pas tombé dans le piège et décida de poursuivre les négociations et de mener un combat ciblé», a-t-il ajouté, rendant hommage au «génie» des architectes de la révolution et du futur Etat indépendant qui ont «su mobiliser toutes les ressources» pour que la cause algérienne enregistre des succès «retentissants». Par ailleurs, le directeur général de l'institut Frantz Fanon a salué le soutien apporté par de nombreux belges à la cause algérienne, regrettant néanmoins que la Belgique ait été devenue, au début des années 1960, «une base arrière» de l'OAS dont les membres ont su profiter d'une convention entre ce pays et la France qui interdisait l'expulsion de personnes pour des délits politiques. Massacres du 17 octobre 1961 : «Responsable et coupable, l'Etat français doit réparation» «Ces massacres sont aujourd'hui connus, ils doivent être maintenant reconnus par les plus hautes autorités de ce pays. Responsable et coupable, l'Etat doit en effet réparation à celles et ceux qui ont été assassinés, et à leurs descendants», a souligné le maître de conférences en science politique dans une tribune à l'occasion du 56e anniversaire de ce véritable massacre, «le plus important de l'après-guerre». «Cela passe, entre autres, par la reconnaissance qu'un crime d'Etat a bien été perpétré en ces journées d'octobre 1961», a ajouté le co-auteur de l'ouvrage collectif, «Le 17 octobre 1961 : Un crime d'Etat à Paris» (La Dispute, 2001). Ce spécialiste de l'histoire coloniale française a rappelé que, ce jour-là, des manifestants ont été tués par balles, d'autres froidement assassinés dans la cour même de la préfecture de police de Paris, certains jetés vivants dans la Seine ou encore frappés à mort après leur arrestation et leur transfert au palais des Sports, au parc des Expositions et au stade Coubertin devenus, pour l'occasion, autant de lieux de détention. «Là, dans des conditions effroyables, des milliers de FMA (Français musulmans d'Algérie) furent parqués, battus et longtemps laissés sans nourriture et sans soin au milieu des excréments qui s'accumulaient. Quoi qu'ils fassent, les policiers savaient être couverts par le préfet qui, peu de temps auparavant, leur avait tenu ce langage : Pour un coup reçu, nous en porterons dix»,a-t-il encore rappelé, relevant que de telles méthodes «ne sont pas inédites». Pour lui, «elles relèvent d'une terreur d'Etat appliquée depuis longtemps en Algérie, réactivée à la suite du déclenchement de la guerre le 1er novembre 1954 puis importée en métropole où la torture, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et les exécutions sommaires ont été courantes».