La première cérémonie organisée en l'honneur de Frantz Fanon a eu lieu à Blida, le mardi 25 décembre 1962, quelques mois, à peine, après la proclamation de l'indépendance de l'Algérie pour laquelle il a combattu. Ce fut une journée inoubliable, remplie d'activités variées, sportives et culturelles, dans une atmosphère d'humanisme, comme l'aurait voulu Frantz Fanon. Au programme : une matinée récréative enfantine animée par les enfants de chouhadas du centre Ourida d'El Marsa (ex-Jean Bart), un après-midi sportif pour les jeunes (gymnastique avec Nedjma Sports, athlétisme et football) et une soirée musicale pour les mélomanes, avec une pléiade de chanteurs dont Abderrahmane Aziz et Khelifi Ahmed. Le clou de cette émouvante cérémonie d'hommage, fut incontestablement le match amical opposant l'USM Blida à l'OM Ruisseau pour le compte de la Coupe Frantz Fanon, un trophée symbolique mis en jeu uniquement à cette occasion (voir Alger républicain du mercredi 26 décembre 1962). Dans le stade municipal de Blida, où s'est déroulée la partie, les gradins étaient combles et dans la tribune d'honneur, se trouvaient le président Ahmed Ben Bella, entouré de trois membres de son gouvernement: Houari Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika et Amar Ouzegane. L'allocution de bienvenue fut prononcée par l'infirmier Makhlouf Longo, responsable des sports et loisirs à l'Hôpital psychiatrique de Blida. Il était à la fois le collaborateur et l'ami du Dr. Fanon. Il a rappelé les qualités humaines et professionnelles du grand homme de convictions qu'a été le Dr Fanon et souhaité à son fils Olivier, présent avec sa mère Josie, à la tribune d'honneur, «une longue et heureuse vie dans l'indépendance». Le chanteur Abderrahmane Aziz prêta sa belle voix pour faire le speaker du stade et lire la composition des deux équipes. Après l'hymne national, Olivier Fanon, à l'époque âgé de 7 ans, mit toute sa force pour taper dans le ballon posé au centre et donner le coup d'envoi du match. Un certain Hacène Lalmas Il y avait dans les rangs de l'OMR un certain Hacène Lalmas qui se fit remarquer dès la 5ème minute de jeu, en contrôlant parfaitement le ballon dans les six mètres et, après avoir dribblé le goal, il ouvre le score. L'USMB égalisa à la 11ème minute mais ne put empêcher l'OMR de mener à la mi-temps par 4 à 1; et 3 buts étaient signés Lalmas. En deuxième période, l'OMR aggrava le score en inscrivant encore trois buts dont un de Lalmas. L'USMB, affaiblie par l'absence de plusieurs titulaires, dont le goal Zaragoci, réussit à marquer un deuxième but mais, pour l'équipe blidéenne, le score fut lourd: 7 à 2 en faveur de l'OMR. Mme Josie Fanon remit la coupe à Hammouche, capitaine de l'OMR qui, en retour, lui offrit une petite coupe avec l'inscription: «Au Docteur Fanon. Les sportifs ruisséens». Le duo Lalmas-Achour, que l'on reverra plus tard dans le CR Belouizdad, venait d'annoncer la couleur et on comprit qu'il serait irrésistible dans les compétitions à venir. Pour les jeunes et moins jeunes qui suivaient les premiers pas du football algérien dans l'Algérie indépendante, voir Hacène Lalmas sur le terrain était un véritable régal; ses dribbles, ses feintes de corps, ses «petits ponts», ses reprises de la tête, et ça se terminait le plus souvent par un but magnifique. Ce ne sont pas les joueurs de talent qui manquaient, mais Lalmas était perçu comme exceptionnel. Il avait un bon rapport avec la presse. Il allait fréquemment au journal Alger républicain, accompagné de Mustapha Zitouni, l'international, qui évoluait à l'OMSE (Olympique musulman de Saint-Eugène). Tous deux étaient des familiers de la rédaction sportive, que dirigeait Mohamed Rebah, et dont les «journalistes sportifs» de la rubrique football, étaient à peine lycéens, avec le bac en perspective; du chef de rubrique, Omar Lardjane, aux reporters, parmi lesquels il y avait Abdelkader Daoudi et l'auteur de ces lignes. La page sportive s'appelait Alger Sprint. Elle était étoffée de signatures prestigieuses à l'époque: Mohamed Mechkal, pour l'athlétisme, De Luca pour la natation, Jean Claude Boué pour le handball,…Il arrivait à Pierre Coquand, de signer, lui aussi, des papiers sur le volley ball. Une fois, un jour d'octobre 1963, la veille du match Algérie-Yougoslavie, Kateb Yacine- qui était familier d'Alger républicain tout comme Issiakhem- est entré à l'improviste dans la salle de la rédaction sportive, salua les jeunes reporters puis ouvrit sa machine à écrire portative pour écrire un billet où il évoquait les souvenirs de Zagreb, pendant la guerre de libération, et d'un certain match Algérie (Equipe du FLN) – Yougoslavie. L'Hôpital Frantz Fanon Le grand moment de cette journée mémorable du 25 décembre 1962, fut l'instant où le président Ahmed Ben Bella décida que l'hôpital psychiatrique de Joinville-Blida allait porter désormais le nom de Frantz Fanon. «Nous jurons qu'il n'y aura plus jamais de damnés sur cette terre», avait-il conclu son discours. C'est ainsi que l'Algérie honora pour la première fois le Dr Fanon qui avait «libéré» l'hôpital psychiatrique de Joinville-Blida, qu'il rejoignit en décembre 1953, des chaînes de l'infamie imposée par le code de l'indigénat. Selon les témoignages des frères Ali et Makhlouf Longo qui ont travaillé avec le Dr Fanon, l'hôpital ressemblait à une prison d'où montaient les hurlements de malades enchaînés, étroitement gardés par des infirmiers malabars, un vieux blidéen qui a bien connu lui aussi Frantz Fanon se souvient qu'à son arrivée à l'hôpital psychiatrique, le Dr Fanon avait été choqué par le spectacle de ces malades lourdement enchaînés. A sa demande d'explication, on lui avait dit qu'il s'agissait de cas «agités» et violents. Le Dr. Fanon avait alors demandé aux gardiens de le laisser seul dans la salle avec ces malades «violents» auxquels il a enlevé les chaînes. A la surprise du personnel de l'hôpital, ils n'ont montré aucun signe agressif à l'égard du médecin qui inaugurait ainsi la nouvelle méthode de travail adoptée à l'hôpital psychiatrique. Les chaînes furent jetées à la poubelle et les malades devinrent libres de leurs gestes. L'ergothérapie (la guérison par la pratique de métiers) et la sociothérapie (la guérison par les activités sociales) pouvaient commencer. L'hôpital perdait alors ses allures de prison et tout était fait dans l'intérêt de malades qui avaient recouvert le droit à la parole en participant à des réunions avec les médecins et le personnel para-médical. Le Dr Fanon avait chargé le chanteur Abderrahmane Aziz d'organiser des activités culturelles - concerts de chants, pièces de théâtre, ciné-club – animées par les malades eux-mêmes qui formaient l'orchestre, la chorale, la troupe de théâtre, discutaient des films pendant les séances-débats,… Il confia à Makhlouf Longo la tâche d'organiser des ateliers pour les malades qui avaient une vocation d'artistes ou autre et leur permettre d'exercer leurs talents. Ils guérissaient ainsi. Une assiette foncière avait été prévue près de l'hôpital pour construire des logements pour les malades guéris qui ne voulaient pas revenir dans leur localité d'origine où ils étaient considérés comme fous. Expulsé d'Algérie en janvier 1957, pour son activité de militant anti colonialiste engagé dans la cause algérienne, Frantz Fanon partit en Tunisie avec sa femme, Josie, et son fils, Olivier, âgé alors d'un an et demi. Il est décédé le 6 décembre 1961, à l'âge de 36 ans. En si peu d'années, Frantz Fanon a tant donné à l'Algérie, devenue son pays.