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Aubergine, la belle étrangère
Saveurs
Publié dans La Nouvelle République le 02 - 03 - 2025

Venue d'Inde, elle a gagné à sa cause les gourmets du Moyen et du Proche-Orient et tous ceux de Méditerranée. Non sans inspirer parfois la méfiance et s'attirer des surnoms peu flatteurs.
A, comme le début de tout, le moment où le soleil bouscule les ténèbres, où les étoiles s'éteignent, où la nuit sur la pointe des pieds se retire, laissant l'horizon blanchir... C'est ainsi que commence ton nom, aubergine.
B comme baighan, ton nom de hindi, peut-être ton premier nom. Et puis, comme tes sœurs Roms le feront plus tard, tu as pris la route, tu as quitté l'Inde qui t'avait donné la vie et donné un nom. Qui avait su déceler l'amertume qui se cachait dans ta chair et t'en délivrer. Il suffit d'un peu de sel, les larmes coulent alors, amères, et ta chair devient douce, suave, fondante. L'Inde qui t'a cuisinée avec tant de talent, qui t'a intimement mêlée à ses épices, faisant de toi le joyau des pickles, a adouci ta pointe de piquant avec du yaourt, t'a réchauffée à ses braises, te donnant ce délicieux petit goût de brûlé.
Moi, je t'ai connue bien plus tard, sur les rives de la Méditerranée. Tu avais parcouru une longue route, t'arrêtant en Asie, au Proche et au Moyen-Orient avant de te poser sur les bords de la Grande Bleue. Les Perses t'adulèrent tellement longtemps, jolie bademjan, comme ils t'appelaient alors et te dégustèrent de mille et une façons.
« L'époque de l'aubergine »
Un jour, leur grand empire s'écroula, vaincu par les Arabes. Tu en es peut-être la plus belle conquête. Impossible de faire de toi une captive. Impériale, nonchalante et libre, tu te promènes avec eux, tu suis les armées, les caravanes, tu pénètres dans les palais de Bagdad et flânes dans les ruelles de la ville que l'on surnomme alors « le nombril de l'univers ». Tu les accompagnes jusqu'en Andalousie. Ils te prénomment baitenjal. Te souviens-tu des fastes andalous, de l'âge d'or du califat arabe ? De Grenade à Cordoue, tu régnais dans toutes les cuisines palatiales comme dans les humbles demeures et les tavernes, c'était « l'époque de l'aubergine », disent encore les historiens évoquant l'Espagne musulmane. Tu es intronisée officiellement lorsque tu apparaîs au IXe siècle dans le traité de cuisine d'Ibrahim. En 961, tu es évoquée dans le Calendrier de Cordoue, c'est le début de la gloire.
Les traités d'agronomie et de cuisine ne t'oublient jamais. Au XIe siècle, dans son Kîtab fadalat al-khiwafi tayyibât al-taâm, Ibn Razin al-Tujibi nous met l'eau à la bouche avec une délicieuse omelette aux aubergines. L'Anonyme andalou, au XIIIe siècle, n'est pas en reste : de la ojja d'aubergines aux crêpes d'aubergines en passant par la baraniya et les aubergines au thym, il nous confirme, si besoin est, la place que tu occupes dans la gastronomie arabo-andalouse.
Dans l'empire ottoman, tu deviens badindjân. Dieu qu'ils t'ont aimée, les Turcs, ils ont tiré la quintessence de ta saveur, tu entrais dans toutes leurs préparations culinaires ; un jour un imam s'évanouit de plaisir en humant un plat, tu n'en es pas peu fière de ce mets, le fameux imam bayaldi, l'imam évanoui. Là où tu passais, tu excitais les palais les plus avertis, tenais en éveil les gourmets les plus raffinés.
Un légume qui rend fou ?
Pourtant, après ton départ de l'Inde, tu n'eus pas toujours bonne réputation. Il est vrai que tu fumais en cachette ! Et si on attribua parfois des vertus curatives, d'aucuns t'accusèrent de tous les vices. La médecine balbutiante jugea que tu étais nocive pour la santé. D'ailleurs, tu étais amère comme la bile, décrétèrent de concert, les doctes médecins. Al-Razi pense que tu provoques la cécité, tandis qu'Ibn-Sina et Al-Bîrunî t'accusent d'engendrer la mélancolie, la lèpre et des céphalées. Au XVIIe siècle, un médecin d'Alger, Ibn Hamadush, n'est pas tendre à ton égard. Selon ses dires, tu noircis la peau, engendre le lentigo, des tumeurs indurées et des obstructions. Certains théologiens musulmans assurèrent que dans la terre où tu poussais se cachaient des djinns, les mauvais esprits, d'où un mauvais jeu de mots sur ton nom : baïtendjal : beid-el-jnin, œuf du djinn. Le personnage de bouffon facétieux qu'est Mollah Nasruddine Khodja, devenu Goga en Egypte, Giufa en Sicile, Sh'ha en Tunisie et qui serait inspiré d'un contemporain du grand maître de philosophie et de poésie persane Djallaludine Rûmi, est grand amateur d'aubergines. Dans l'un des récits qui le met en scène, il devient fou à la suite d'un festin où il s'était repu de toi, la maléfique qui altères même les facultés mentales.
L'Europe aussi s'est méfiée de toi. A peine arrivée en Italie, te voilà affublée d'un drôle de nom : melanzana, déformation de celui que te donnent les botanistes : Solanum insanum ou Mala insana, la pomme folle. Tu es accusée de rendre fou et, comme les sorcières, tu as droit à tous les procès. Médecins et hommes d'église te montrent du doigt. Rien n'y fait, tu t'es empressée de séduire les Italiens, et tu feras une entrée triomphale en cuisine du nord du pays, où l'on te déguste gratinée avec du fromage, a la parmigiana, jusqu'à la Sicile où l'on savoure l'inoubliable caponata.
Succulente bohémienne
Je t'ai connue frite (tu aimes tant l'huile ma gourmande), fondue, fumante et délectable, mélangée à des pois-chiches, du poulet et du vinaigre. Ce nom portait un drôle de nom : barraniya, l'étrangère en arabe. J'ai voulu vérifier et je t'ai suivie à la trace : parfois où tu étais passée, j'ai cherché à connaître ton nom une fois cuisinée. Surprise : quel Afghan ne s'est pas délecté d'un banjaan burani, quel Perse ignore le borani-e bademjan ? Et à la cour du Grand Turc, le burani badinjan comptait parmi les plats les plus réputés, ce plat déjà mentionné dans un livre de recettes arabe du XIIIe siècle rédigé par Baghdâdi, le Kitâb al-tabikh. Avec les variantes locales, le mot est toujours le même, borani, burani, barraniya, l'étranger, l'étrangère.
Elles courent, les légendes sur ce nom. En Iran, on le fait remonter à la reine sassanide Pourandokht, devenu pouran puis boran avec le temps. Dans le monde arabe, on raconte encore les quarante jours et les quarante nuits de festivités qui marquèrent les noces du calife al-Mamûn à Bagdad, en 825, avec la Buran, fille de Hassan Ben Sahl, folle d'aubergines. Contes et légendes peuvent t'apparenter aux reines et princesses : l'étymologie et la linguistique confirment que c'est bien de l'étrangère qu'il s'agit. Il est même une recette arabe où tu es nommée : kibritiya, la sulfureuse. Et tu viens en France, tu arrives précédée de ta réputation d'étrangère, tu réussis à t'imposer, le Sud-Ouest raffole de ta chair, en Avignon, en haute Provence, dans le Vaucluse tu entres sous le nom de bohémienne dans d'innombrables préparations culinaires.
Ma belle, ma nomade, reste libre, promènes-toi sans liens ni entraves, brandis-le comme un étendard, de statut demeure à jamais la séduisante bohémienne devant laquelle princes et mendiants s'émerveillent.
M.Z.


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