Des pluies sur plusieurs wilayas du pays lundi et mardi    Bechar: lâcher de 300 canards colvert au lac du barrage "Djorf Torba"    Chargé par le président de la République, le Premier ministre effectue une visite de travail dans la wilaya de Jijel    Génocide à Ghaza: le bilan s'alourdit à 65.344 martyrs et 166.795 blessés    Journée internationale de la paix: Guterres appel à la paix et à la fin des conflits    La reconnaissance de la Palestine par le Royaume-Uni, le Canada et l'Australie saluée    Baddari supervise la cérémonie d'ouverture de la nouvelle année universitaire    «45.000 postes d'enseignants et 24.000 postes administratifs à pourvoir»    «La prochaine fois sera, peut-être, la bonne»    Tirer les leçons des expériences passées    Face aux nouvelles mutations énergétiques régionales et mondiales    Un comité central pour garantir la réalisation dans les délais    La JSS rejoint le MBR et l'OA en tête du classement    Mostaganem-Plage « Houria » Le corps de la jeune femme noyée repêchée    Coup d'envoi de l'année scolaire pour la catégorie des enfants aux besoins spécifiques    Défaillance de la langue arabe ou indigence de la didactique islamisée ?    Le président de la République instruit le Gouvernement d'accomplir ses missions avec une grande rigueur    Les organisations de la famille révolutionnaire saluent l'intérêt accordé par Monsieur le président de la République à l'histoire et à la mémoire nationale    ONSC : Hamlaoui a reçu une délégation de notables de la wilaya de Djanet    Commerce extérieur: Rezig préside une réunion d'évaluation pour la révision des mesures réglementaires du secteur    Le président de la République préside une réunion du Conseil des ministres    Nasri félicite Djamel Sedjati pour sa médaille d'argent au 800 m à Tokyo    L'Algérie, la Chine et la Russie au 3e soir du 13e Festival de danse contemporaine    Ouverture du 13e Festival international du Malouf: célébration vivante d'un patrimoine musical    Rentrée scolaire: l'Etat engagé à assurer les fondements du développement cognitif pour une génération éveillée    Aït Messaoudene au chevet des victimes après une attaque de chien mortelle    L'Algérie dénonce un affront de plus qui entache la conscience de l'humanité    Ali Badaoui en mission de reconnaissance en Chine    Des abus graves contre les écolières    inter-régions : La FAF prolonge le mercato estival jusqu'au 30 septembre    Sayoud instruit d'accélérer la réalisation des projets du secteur des ressources en eau    Le veto américain prolonge le génocide    Bendouda inspecte les travaux de réhabilitation et le projet de numérisation des manuscrits    La 20e édition a attiré un public nombreux    Athlétisme/Mondiaux-2025 : l'Algérien Djamel Sedjati remporte la médaille d'argent sur 800 m    Basket / Championnat arabe des clubs féminins/Finale : le GS Cosider décroche la médaille d'argent    Programme TV - match du mercredi 29 août 2025    Programme du mercredi 27 août 2025    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Aubergine, la belle étrangère
Saveurs
Publié dans La Nouvelle République le 02 - 03 - 2025

Venue d'Inde, elle a gagné à sa cause les gourmets du Moyen et du Proche-Orient et tous ceux de Méditerranée. Non sans inspirer parfois la méfiance et s'attirer des surnoms peu flatteurs.
A, comme le début de tout, le moment où le soleil bouscule les ténèbres, où les étoiles s'éteignent, où la nuit sur la pointe des pieds se retire, laissant l'horizon blanchir... C'est ainsi que commence ton nom, aubergine.
B comme baighan, ton nom de hindi, peut-être ton premier nom. Et puis, comme tes sœurs Roms le feront plus tard, tu as pris la route, tu as quitté l'Inde qui t'avait donné la vie et donné un nom. Qui avait su déceler l'amertume qui se cachait dans ta chair et t'en délivrer. Il suffit d'un peu de sel, les larmes coulent alors, amères, et ta chair devient douce, suave, fondante. L'Inde qui t'a cuisinée avec tant de talent, qui t'a intimement mêlée à ses épices, faisant de toi le joyau des pickles, a adouci ta pointe de piquant avec du yaourt, t'a réchauffée à ses braises, te donnant ce délicieux petit goût de brûlé.
Moi, je t'ai connue bien plus tard, sur les rives de la Méditerranée. Tu avais parcouru une longue route, t'arrêtant en Asie, au Proche et au Moyen-Orient avant de te poser sur les bords de la Grande Bleue. Les Perses t'adulèrent tellement longtemps, jolie bademjan, comme ils t'appelaient alors et te dégustèrent de mille et une façons.
« L'époque de l'aubergine »
Un jour, leur grand empire s'écroula, vaincu par les Arabes. Tu en es peut-être la plus belle conquête. Impossible de faire de toi une captive. Impériale, nonchalante et libre, tu te promènes avec eux, tu suis les armées, les caravanes, tu pénètres dans les palais de Bagdad et flânes dans les ruelles de la ville que l'on surnomme alors « le nombril de l'univers ». Tu les accompagnes jusqu'en Andalousie. Ils te prénomment baitenjal. Te souviens-tu des fastes andalous, de l'âge d'or du califat arabe ? De Grenade à Cordoue, tu régnais dans toutes les cuisines palatiales comme dans les humbles demeures et les tavernes, c'était « l'époque de l'aubergine », disent encore les historiens évoquant l'Espagne musulmane. Tu es intronisée officiellement lorsque tu apparaîs au IXe siècle dans le traité de cuisine d'Ibrahim. En 961, tu es évoquée dans le Calendrier de Cordoue, c'est le début de la gloire.
Les traités d'agronomie et de cuisine ne t'oublient jamais. Au XIe siècle, dans son Kîtab fadalat al-khiwafi tayyibât al-taâm, Ibn Razin al-Tujibi nous met l'eau à la bouche avec une délicieuse omelette aux aubergines. L'Anonyme andalou, au XIIIe siècle, n'est pas en reste : de la ojja d'aubergines aux crêpes d'aubergines en passant par la baraniya et les aubergines au thym, il nous confirme, si besoin est, la place que tu occupes dans la gastronomie arabo-andalouse.
Dans l'empire ottoman, tu deviens badindjân. Dieu qu'ils t'ont aimée, les Turcs, ils ont tiré la quintessence de ta saveur, tu entrais dans toutes leurs préparations culinaires ; un jour un imam s'évanouit de plaisir en humant un plat, tu n'en es pas peu fière de ce mets, le fameux imam bayaldi, l'imam évanoui. Là où tu passais, tu excitais les palais les plus avertis, tenais en éveil les gourmets les plus raffinés.
Un légume qui rend fou ?
Pourtant, après ton départ de l'Inde, tu n'eus pas toujours bonne réputation. Il est vrai que tu fumais en cachette ! Et si on attribua parfois des vertus curatives, d'aucuns t'accusèrent de tous les vices. La médecine balbutiante jugea que tu étais nocive pour la santé. D'ailleurs, tu étais amère comme la bile, décrétèrent de concert, les doctes médecins. Al-Razi pense que tu provoques la cécité, tandis qu'Ibn-Sina et Al-Bîrunî t'accusent d'engendrer la mélancolie, la lèpre et des céphalées. Au XVIIe siècle, un médecin d'Alger, Ibn Hamadush, n'est pas tendre à ton égard. Selon ses dires, tu noircis la peau, engendre le lentigo, des tumeurs indurées et des obstructions. Certains théologiens musulmans assurèrent que dans la terre où tu poussais se cachaient des djinns, les mauvais esprits, d'où un mauvais jeu de mots sur ton nom : baïtendjal : beid-el-jnin, œuf du djinn. Le personnage de bouffon facétieux qu'est Mollah Nasruddine Khodja, devenu Goga en Egypte, Giufa en Sicile, Sh'ha en Tunisie et qui serait inspiré d'un contemporain du grand maître de philosophie et de poésie persane Djallaludine Rûmi, est grand amateur d'aubergines. Dans l'un des récits qui le met en scène, il devient fou à la suite d'un festin où il s'était repu de toi, la maléfique qui altères même les facultés mentales.
L'Europe aussi s'est méfiée de toi. A peine arrivée en Italie, te voilà affublée d'un drôle de nom : melanzana, déformation de celui que te donnent les botanistes : Solanum insanum ou Mala insana, la pomme folle. Tu es accusée de rendre fou et, comme les sorcières, tu as droit à tous les procès. Médecins et hommes d'église te montrent du doigt. Rien n'y fait, tu t'es empressée de séduire les Italiens, et tu feras une entrée triomphale en cuisine du nord du pays, où l'on te déguste gratinée avec du fromage, a la parmigiana, jusqu'à la Sicile où l'on savoure l'inoubliable caponata.
Succulente bohémienne
Je t'ai connue frite (tu aimes tant l'huile ma gourmande), fondue, fumante et délectable, mélangée à des pois-chiches, du poulet et du vinaigre. Ce nom portait un drôle de nom : barraniya, l'étrangère en arabe. J'ai voulu vérifier et je t'ai suivie à la trace : parfois où tu étais passée, j'ai cherché à connaître ton nom une fois cuisinée. Surprise : quel Afghan ne s'est pas délecté d'un banjaan burani, quel Perse ignore le borani-e bademjan ? Et à la cour du Grand Turc, le burani badinjan comptait parmi les plats les plus réputés, ce plat déjà mentionné dans un livre de recettes arabe du XIIIe siècle rédigé par Baghdâdi, le Kitâb al-tabikh. Avec les variantes locales, le mot est toujours le même, borani, burani, barraniya, l'étranger, l'étrangère.
Elles courent, les légendes sur ce nom. En Iran, on le fait remonter à la reine sassanide Pourandokht, devenu pouran puis boran avec le temps. Dans le monde arabe, on raconte encore les quarante jours et les quarante nuits de festivités qui marquèrent les noces du calife al-Mamûn à Bagdad, en 825, avec la Buran, fille de Hassan Ben Sahl, folle d'aubergines. Contes et légendes peuvent t'apparenter aux reines et princesses : l'étymologie et la linguistique confirment que c'est bien de l'étrangère qu'il s'agit. Il est même une recette arabe où tu es nommée : kibritiya, la sulfureuse. Et tu viens en France, tu arrives précédée de ta réputation d'étrangère, tu réussis à t'imposer, le Sud-Ouest raffole de ta chair, en Avignon, en haute Provence, dans le Vaucluse tu entres sous le nom de bohémienne dans d'innombrables préparations culinaires.
Ma belle, ma nomade, reste libre, promènes-toi sans liens ni entraves, brandis-le comme un étendard, de statut demeure à jamais la séduisante bohémienne devant laquelle princes et mendiants s'émerveillent.
M.Z.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.