Dans un monde en pleine mutation technologique, la digitalisation devient un moteur incontournable de développement. Partout sur la planète, les Etats revoient leur modèle économique, social et administratif à la lumière du numérique. L'Algérie ne fait pas exception. Elle vient de franchir une étape décisive en adoptant une stratégie nationale ambitieuse pour sa transformation numérique à l'horizon 2030. Mais au-delà des intentions et des slogans, cette feuille de route pose de nombreuses questions quant à sa faisabilité, sa mise en œuvre et ses retombées réelles. Cet article propose un déchiffrage clair et critique de cette stratégie. Une vision structurée et porteuse La stratégie s'articule autour de cinq axes prioritaires : Le développement des infrastructures numériques (fibre optique, data centers, cloud), Le renforcement du capital humain et de la formation, L'amélioration de la gouvernance numérique de l'Etat, La consolidation d'une économie numérique compétitive, La promotion d'une société numérique inclusive. Chacun de ces axes est décliné en objectifs chiffrés, avec des cibles affichées à l'horizon 2030 : 100 % des institutions connectées 500 000 spécialistes TIC formés 100 % des services publics numérisés 20 % du PIB issu du secteur numérique 100 000 start-ups numériques créées 1 milliard USD d'investissements directs étrangers (IDE) Les points forts de la stratégie Ce document est structuré, méthodique et ambitieux, aligné avec les enjeux mondiaux. L'approche adoptée est inclusive et participative, impliquant les ministères, les opérateurs économiques, les experts et la société civile. L'accent mis sur la souveraineté numérique — à travers le stockage local des données, la sécurisation des systèmes d'information et l'usage accru du domaine national « .dz » — est également perçu comme une orientation stratégique essentielle dans un contexte international incertain. Des objectifs jugés trop ambitieux Toutefois, plusieurs limites sérieuses apparaissent à la lecture du document. D'abord, le manque de plan de mise en œuvre opérationnel. Aucun calendrier, aucune estimation budgétaire, ni structure de pilotage détaillée n'est présentée dans cette version. Cela rend difficile l'évaluation de la faisabilité réelle des objectifs. Ensuite, certains chiffres interpellent par leur ampleur Former 500 000 spécialistes TIC en six ans suppose une transformation radicale du système éducatif. o Créer 100 000 start-ups numériques, dans un pays où l'écosystème entrepreneurial reste fragile, semble peu réaliste à court terme. o Atteindre 20 % du PIB issu du numérique représente un niveau encore supérieur à celui observé dans des pays très avancés comme la Corée du Sud ou la Finlande. Enfin, les enjeux des technologies de rupture (intelligence artificielle, blockchain, 5G, cybersécurité avancée) sont peu développés. Comparaisons internationales : inspirations possiblesÀ l'échelle africaine, l'exemple du Rwanda, qui a fait du numérique un pilier de sa gouvernance et de son développement, montre que des avancées rapides sont possibles avec des choix clairs, des investissements ciblés et une mobilisation politique forte. En Europe, des pays comme la France (avec Tech.gouv) ou l'Allemagne misent sur la simplification administrative, la souveraineté technologique et la cybersécurité, appuyés par des agences dédiées et des budgets chiffrés. Un tournant à ne pas manquer La volonté politique est affichée. Les fondations stratégiques sont posées. Mais pour réussir cette transformation, l'Algérie devra faire preuve de rigueur, de méthode et d'adaptabilité. Les défis sont immenses : coordination intersectorielle, attractivité des talents, éducation numérique, cybersécurité, gouvernance des données... Le succès de cette stratégie reposera désormais sur la capacité à passer de l'intention à l'action. Un tableau de bord public, des échéances précises et une évaluation indépendante des progrès seront essentiels. L'Algérie a les cartes en main pour opérer ce tournant. Reste à savoir si elle saura, collectivement, les jouer à bon escient.