Si beaucoup connaissent Fadila Dziria comme une icône de la chanson algérienne, rares sont ceux qui savent qu'elle fut aussi une résistante engagée. Derrière la diva, il y avait une femme déterminée, marquée par les épreuves, mais toujours portée par une voix et une volonté hors du commun. Née le 25 juin 1917 à Alger, dans le quartier paisible de Djenan Beït El Mel, perché près de Notre-Dame d'Afrique, Fadila Madani grandit au sein d'une famille traditionnelle. Dès l'enfance, elle nourrit en secret le rêve de devenir artiste, une ambition difficilement conciliable avec les attentes de son entourage. N'ayant pas accès à l'école, elle partage son temps entre les tâches ménagères et les longues heures passées à écouter les disques de Maâlma Yamna Bent El Mehdi sur le tourne-disque familial. La voix de la cheikha la bouleverse. Elle confiera plus tard : « Elles chantent comme je pleure». Son quotidien, à l'adolescence, est loin d'être heureux. Mariée de force à l'âge de 13 ans, elle perd son enfant à la naissance et finit par divorcer. Ce drame la marquera à vie. Mais au milieu de ce chagrin, la musique devient son refuge. Dès les années 1930, elle monte sur scène lors de soirées ramadhanesques à Alger, notamment au Café des Sports, non loin de la mosquée Ketchaoua. Le public est conquis par sa voix rauque et vibrante, capable d'interpréter aussi bien des chansons en arabe qu'en kabyle. Son talent l'emmène rapidement à Paris, en 1935, où elle fait une rencontre déterminante : Abdelhamid Ababsa, compositeur et musicien de renom. Il perçoit aussitôt le potentiel de cette jeune femme au regard triste, qu'il forme et encourage. Il lui enseigne un vaste répertoire algérien, couvrant plusieurs régions et styles. C'est probablement à cette époque qu'elle adopte son nom de scène, « Fadila Dziria », un hommage à ses racines algéroises. Devenue l'une des voix préférées de la communauté algérienne en France, Fadila rentre au pays, où elle connaît un succès similaire. Elle collabore avec des figures majeures de la scène artistique comme Mustapha Skandrani et Mustapha Kechkoul. Ensemble, ils enregistrent son premier disque chez Pacific, «Ma l'hbibi malou», marquant ainsi le début d'une brillante carrière. Grâce à Kechkoul, elle rejoint l'orchestre de la Radio nationale, dirigé par la grande Meriem Fekkaï. Pour Fadila, c'est un honneur que de travailler aux côtés de cette cheikha. Elle y interprète avec brio les istikhbars, ces préludes improvisés où sa voix s'épanouit pleinement. Très vite, elle rejoint le panthéon des grandes dames de la chanson algérienne aux côtés de Meriem Fekkaï, Cheikha Tetma, Reinette l'Oranaise ou Alice Fitoussi. Elle participe aussi aux tournées théâtrales de Mahieddine Bachtarzi, assurant la partie musicale des spectacles. Entourée de comédiens tels que Keltoum, Farida Saboundji, Mohamed Touri ou Djelloul Bachdjerrah, elle s'essaie au théâtre et joue dans plusieurs pièces populaires, sans jamais renier son premier amour : la chanson. Fadila enchaîne alors les tubes qui deviendront des classiques : Ya qalbi khali el hal, Saadi rit el bareh, Ana touiri ou encore Ya Rabbi sehel li zoura. Sa voix résonne sur les ondes radio, pénétrant les foyers algériens et marquant des générations entières. Mais au-delà de l'artiste, c'est aussi la femme engagée qu'il faut saluer. Lorsque la guerre d'indépendance éclate, Fadila ne reste pas en retrait. En 1957, elle prend part, aux côtés de plusieurs artistes femmes, à la grève des six jours orchestrée par le FLN. Avec ses camarades – parmi lesquelles Aouichet, Nouria, Farida Saboundji ou encore Cherifa – elle s'implique dans la sensibilisation de la population à la cause nationale. Elles recueillent les besoins des plus pauvres, diffusent les messages révolutionnaires et risquent leur liberté pour faire entendre la voix du peuple. Cette implication la conduit derrière les barreaux de la prison de Serkadji. Là-bas, dans sa cellule, elle chante souvent Ya men qalbak h'zine pour réconforter ses compagnons d'infortune, notamment les condamnés à mort. Sa voix devient un rempart contre la peur, un souffle d'espoir dans un univers de douleur. Après sa libération, elle fonde son propre orchestre féminin avec sa sœur Goucem à la derbouka, Reinette Daoud au violon et sa nièce Assia au piano. À l'indépendance, elle participe activement à la reconstruction culturelle du pays, multipliant les concerts, notamment avec l'orchestre de Mustapha Skandrani. Jusqu'à son dernier souffle, Fadila Dziria n'aura jamais cessé de chanter. Elle meurt le 6 octobre 1970, à seulement 53 ans, laissant derrière elle un héritage musical immense. Elle repose aujourd'hui au cimetière d'El Kettar, dans cette terre qu'elle a tant aimée et chantée. R.C. Sources : divers articles de la pressenationale