La dominance de la sphère informelle n'étant pas propre à l'Algérie, représentant dans certains pays d'Afrique plus de 70/80% de la superficie économique. Pour l'Algérie, les études sur ce phénomène se sont multipliées depuis trois décennies. Comment ne pas rappeler celles annoncées antérieurement entre 1990/1999, de la réalisation d'une étude en janvier 2015 par le ministère de l'intérieur, du 23 mars 2021 d'une étude conjointe entre le ministre des Finances et le Conseil, économique, social et environnemental, rapport qui devait être remis au président de la République fin 2021 et plusieurs conseils de ministres lui ont été consacrés entre 2021/2024 et toujours le même problème en ce mois de juillet 2025 . Cette contribution d'une brûlante actualité , est une synthèse de l'étude réalisée sous ma direction pour l'Institut Français des Relations Internationales -IFRI en décembre 2013- et de la revue « Stratégies » de l'Institut militaire de Documentation, d'évaluation et de prospective du ministère de la Défense nationale (IMDEP) en octobre 2019 et de plusieurs conférences et contributions internationales entre 2020 et 2025 sur ce sujet complexe . 1.- Comment définir la sphère informelle ? Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l'économie qui n'est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle échappe à la comptabilité nationale et donc à toute régulation de l'Etat, encore que récemment à l'aide de sondages, elle tend à être prise en compte. Cette sphère utilise des billets de banques au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance, en raison des situations soit de monopole ou d'oligopoles avec des liens entre certaines sphères et la logique rentière. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L'économie informelle est donc souvent qualifiée de «parallèle», «souterraine», «marché noir» et tout cela renvoie au caractère dualiste de l'économie, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans le non droit, étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place. Pour des actions opérationnelles, les politiques doivent éviter le juridisme. Dans chacun de ces cas de figure, nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d'intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés, la différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l'environnement international (la sphère informelle étant en Algérie mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité qui conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, en fait par rapport à l'Etat, le paiement de l'impôt direct étant un signe d'une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injustes par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l'économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l'Etat. Nous nous retrouvons devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d'une vision moniste du droit. En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l'analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c'est-à-dire des institutions en Algérie. Pour comprendre l'extension de la sphère informelle, l'on doit partir d'une analyse globale, des mécanismes de régulation internes largement influencés par la régulation de l'économie mondiale, l'économie algérienne étant une économie totalement rentière. Il existe des liens dialectiques entre la logique rentière et la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l'économie et le citoyen mais en s'autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Dans ce cadre, il serait intéressant d'analyser les tendances et les mécanismes de structuration et restructuration de la société et notamment des zones urbaines, suburbaines et rurales face à la réalité économique et sociale des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale. Cela permettrait de comprendre que face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s'exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise notamment pour l'insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l'économie publique ou de la sphère de l'entreprise privée 2.- Comment mesurer la sphère informelle ? Plusieurs approches peuvent être utilisées pour évaluer l'activité dans le secteur informel, les approches choisies dépendant des objectifs poursuivis. Elles peuvent être très simples, comme obtenir des informations sur l'évolution du nombre et des caractéristiques des personnes impliquées dans le secteur informel, ou plus complexes, comme obtenir des informations détaillées sur les caractéristiques des entreprises impliquées, les principales activités exercées, le nombre de salariés, la génération de revenus ou les biens d'équipement. Le choix de la méthode de mesure dépend des exigences en termes de données, de l'organisation du système statistique, des ressources financières et humaines disponibles et des besoins des utilisateurs, en particulier les décideurs politiques participant à la prise de décisions économiques. Nous avons l'approche directe ou microéconomique fondée sur des données d'enquêtes elles-mêmes basées sur des réponses volontaires, de contrôle fiscal ou de questionnaires concernant tant les ménages que les entreprises. Elle peut aussi être basée sur la différence entre l'impôt sur le revenu et le revenu mesuré par des contrôles sélectifs. Nous avons l'approche indirecte ou macroéconomique basée sur l'écart dans les statistiques officielles entre la production et la consommation enregistrée. On peut ainsi avoir recours au calcul des écarts au niveau du PIB (via la production, les revenus, les dépenses ou les trois), de l'emploi, du contrôle fiscal, de la consommation d'électricité et de l'approche monétaire. Les méthodes directes sont de nature microéconomique et basées sur des enquêtes ou sur les résultats des contrôles fiscaux utilisés pour estimer l'activité économique totale et ses composantes officielles et non officielles. Les méthodes indirectes sont de nature macroéconomique et combinent différentes variables économiques et un ensemble d'hypothèses pour produire des estimations de l'activité économique. Elles sont basées sur l'hypothèse selon laquelle les opérations dissimulées utilisent uniquement des espèces. Ainsi, en estimant la quantité d'argent en circulation, puis en retirant les incitations qui poussent les agents à agir dans l'informalité (en général les impôts), on devrait obtenir une bonne approximation de l'argent utilisé pour les activités informelles. Les méthodes basées sur les facteurs physiques utilisent les divergences entre la consommation d'électricité et le PIB. Cette méthode a ses limites car elle se fonde sur l'hypothèse d'un coefficient d'utilisation constant par unité du PIB qui ne tient pas compte des progrès technologiques. Enfin, nous avons l'approche par modélisation qui consiste à utiliser le modèle des multiples indicateurs pour estimer l'indice de l'économie informelle. Qui présuppose l'existence de plusieurs propagateurs de l'économie informelle incluant la lourdeur de la réglementation gouvernementale et l'attitude sociétale expliquant l'accroissement de 'intermédiation financière informelle. Encore que nous assistons à des données contradictoires tant la part dans le PIB que le montant de la masse monétaire circulant hors banques dues à la fois à l'analyse superficielle loin du fonctionnement réel de la société et de la non-maîtrise du système d'information, ce qui explique que les mesures tant liées à l'usage des chèques que de l'obligation de déposer l'argent de la sphère informelle au niveau des Banques algériennes qui sont actuellement de simples guichets administratifs ont eu un impact très limité renvoyant toujours à la confiance et au fonctionnement global de la société. 3.- La sphère informelle produit des dysfonctionnements de la politique socioéconomique Faute d'institutions solides s'adaptant à la nouvelle situation, car le contrôle s'avère de peu d'efficacité (sinon il faudrait une armée de contrôleurs avec des coûts faramineux), nous assistons à une multiplication des petites activités informelles se concentrant surtout dans le petit commerce et les services, comme mode de survie dans un marché de l'emploi en crise. A cet aspect, se sont greffés la fraude fiscale et les détournements. Il y a urgence d'enquêtes précises des liens entre l'accumulation, la structuration du modèle de consommation et la répartition des revenus par couches sociales, enquêtes inexistantes en Algérie. Il ne suffit pas de crier sur les toits que cette sphère ne paye pas les impôts. Il faut expliquer les raisons de son existence et de son extension et surtout les actions à mener pour son intégration, dans la mesure où la sphère informelle n'est pas le produit historique du hasard mais trouve son essence dans les dysfonctionnements de l'Etat. Abderrahmane Mebtoul Professeur des Universités Expert international