Plus d'un million de Rohinguas vivent désormais comme réfugiés au Bangladesh, tandis que beaucoup d'autres restent déplacés ou coincés au Myanmar aux côtés d'autres minorités, dans des conditions que les dirigeants des Nations Unies ont qualifiées de « désastreuses » et « intenables ». Au cœur de l'urgence se trouvent les musulmans rohingyas, privés de la citoyenneté birmane, chassés de chez eux et contraints de vivre dans des camps ou de s'exiler. « Maisons incendiées. Voisins tués. L'espoir qui s'évanouit ». C'est par ces mots qu'Annalena Baerbock, Présidente de l'Assemblée générale des Nations Unies, a ouvert mardi une conférence de haut niveau sur la situation des Rohingyas, alors que l'inquiétude grandit sur ce qui se passe au Myanmar et les conséquences de cette crise au niveau régional. La « Conférence de haut niveau sur la situation des musulmans rohingyas et des autres minorités au Myanmar », qui s'est tenue au siège des Nations Unies à New York, a réuni des hauts responsables de l'ONU, et des chefs d'Etat et de gouvernement, afin de susciter une mobilisation sur cette question. Exposés et rapports ont mis en lumière les réalités quotidiennes depuis le coup d'Etat militaire de février 2021 : recrutement forcé, violences sexuelles, frappes aériennes, famine et déplacements massifs. Les agences humanitaires alertent sur l'épuisement des ressources, laissant les réfugiés sous-alimentés et poussant davantage de personnes à entreprendre de dangereuses traversées maritimes. Les conditions de vie dans l'Etat de Rakhine au Myanmar, berceau ancestral des Rohingyas, sont décrites comme les pires depuis des décennies, les civils étant pris entre les forces de la junte et des groupes ethniques armés. La Présidente de l'Assemblée générale des Nations Unies, Annalena Baerbock (à la tribune et sur les écrans) s'adresse à la conférence de haut niveau de l'Assemblée générale sur la situation des musulmans Rohingyas et d'autres minorités au Myanmar.UN Photo/Manuel Elias La Présidente de l'Assemblée générale des Nations Unies, Annalena Baerbock (à la tribune et sur les écrans) s'adresse à la conférence de haut niveau de l'Assemblée générale sur la situation des musulmans Rohingyas et d'autres minorités au Myanmar. Garantir l'accès humanitaire Le Secrétaire général de l'ONU, dans une déclaration lue par son chef de cabinet, Courtenay Rattray, a déclaré que la crise « bafoue les droits humains, la dignité et la sécurité de millions de personnes et menaçait la stabilité régionale ». Il a appelé à trois mesures immédiates : protéger les civils conformément au droit international, garantir l'accès humanitaire et relancer les investissements afin d'alléger la pression sur les réfugiés et les communautés d'accueil. «La solution à cette crise réside, au final, au Myanmar », a souligné le message, appelant à la fin des persécutions et à la reconnaissance de « l'appartenance des Rohingyas en tant que citoyens à part entière». La Présidente de l'Assemblée générale, Mme Baerbock, a souligné l'ampleur des souffrances. Plus de cinq millions d'hommes, de femmes et d'enfants rohingyas sont concernés, a-t-elle déclaré, soulignant que 800 000 enfants ne sont pas scolarisés rien que dans le camp de Cox's Bazar, au Bangladesh. Le financement humanitaire est extrêmement insuffisant, le plan d'intervention pour 2025 n'étant financé qu'à hauteur de 12 %. «Cela devrait nous faire honte », a-t-elle dit, exhortant les Etats à accroître l'aide et à rechercher une solution politique permettant un retour sûr, volontaire et durable. « La situation s'est aggravée » Pour les militants rohingyas, la conférence n'a pas été un nouveau moment de prise de conscience, mais une exigence de justice. Wai Wai Nu, fondatrice du Réseau de paix des femmes du Myanmar, a déclaré aux délégués que les atrocités n'avaient pas cessé en 2017, lorsque plus de 750 000 hommes, femmes et enfants rohingyas ont fui les violences décrites comme un « exemple classique de nettoyage ethnique » par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme de l'époque, Zeid Ra'ad Al Hussein. «La situation s'est aggravée», a-t-elle dit, évoquant les meurtres, la conscription forcée, les violences sexuelles et la famine infligés par l'armée birmane et les groupes armés ethniques combattant la junte. « Si rien n'est fait, l'exode des Rohingyas se poursuivra jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de Rohingyas au Myanmar », a-t-elle averti, appelant à la mise en place de couloirs humanitaires transfrontaliers, à des sanctions ciblées et à des poursuites pour les atrocités commises. Une population décimée Rofik Husson, fondateur du Réseau des jeunes pour la paix d'Arakan, a témoigné des déplacements et de la violence, rappelant comment la junte a contraint des hommes et des garçons rohingyas à s'engager, souvent comme boucliers humains. En une seule semaine, a-t-il déclaré, au moins 400 personnes ont été tuées. Il a décrit les incendies de villages et les frappes de drones, notamment le massacre de mai 2024 qui a déplacé 200 000 personnes en une seule journée. «Il n'existe pas de voie de paix concertée », a-t-elle déclaré, soulignant que la condamnation internationale de la junte s'est atténuée, malgré la persistance des exactions. Malgré les sombres constats, les intervenants ont souligné que des solutions restent possibles si la volonté politique est mobilisée. Mme Baerbock a conclu son intervention en déclarant : « Le peuple rohingya a survécu à huit années de difficultés, de déplacements et d'incertitude. Sa résilience est extraordinaire. Notre réponse doit être à la hauteur ». Pour les militants rohingyas, le message était tout aussi clair : les déclarations ne suffisent plus. «La justice n'est pas facultative... C'est le seul moyen de dissuasion, le seul chemin vers la paix », a déclaré Mme Nu. «Mettre fin à la crise d'insécurité qui frappe la communauté rohingya est un test pour cette Assemblée et un test pour l'humanité elle-même», a-t-il affirmé aux délégués, appelant à la création d'une zone de sécurité sous supervision internationale dans le nord de l'Etat de Rakhine. Selon l'Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Myanmar, Julie Bishop, la crise multiforme dans ce pays est indissociable des troubles politiques déclenchés par le coup d'Etat de 2021. En l'absence de cessez-le-feu et face à la propagation du conflit armé, elle a averti que les élections prévues plus tard cette année alimenteraient de nouvelles violences au lieu de fournir une légitimité.