Bento, gamelle ou sandwich, une bibliothèque de Kyoto accueillait ce 15 novembre « une fête amusante et drôle », avec l'association locale à but non lucratif and happiness. Cette dernière, connue pour s'occuper de cantines solidaires destinées aux enfants, avait organisé une animation singulière. Car ce jour-là, un tabou était allégrement brisé : on a mangé dans la bibliothèque. L'événement, détaillé dans la fiche officielle publiée le 20 octobre sur le site des bibliothèques municipales de la ville, annonçait quelque chose d'assez inattendu dans le contexte japonais : la possibilité de manger et boire dans les espaces de la bibliothèque, du moins pour une journée. Comme dans le Fight club, les bibliothèques ont des règles : on ne mange pas dans un établissement de lecture publique, constitue la première d'entre toutes. Occasionnant des stratégies de ninja de la part des étudiants en pleine révision pour avaler une barre chocolatée. Entre médiation culturelle et soutien social Sauf qu'à Kyoto, furent exceptionnellement autorisés snacks et drinks pour une journée solidaire : « L'association pour enfants with Happiness organisera une vente de boissons et de collations, et un événement en collaboration avec le club de loisirs de la bibliothèque Kisshoin aura lieu », indique le calendrier. Petites collations, douceurs, boissons étaient consommables dans la cour extérieure, ainsi que dans certains espaces intérieurs habituellement strictement prohibés — notamment la salle de référence et une partie des zones de consultation. Une exception d'autant plus rarissime que la protection des collections passant avant tout. Qu'un établissement lève l'interdit avait de quoi surprendre, mais bien entendu, c'était pour la bonne cause. Au programme de ce 15 novembre figuraient quelques activités classiques — lectures d'albums jeunesse, atelier d'emballage créatif — des moments partagés autour d'en-cas distribués par l'association partenaire. Une convivialité qui en ces lieux avait quelque chose d'irréel : en attestent les photos de tables décorées, de sachets de friandises et de coins lecture aménagés pour l'occasion (via Instagram). L'objectif ? Offrir un temps chaleureux aux enfants du quartier, en liant découverte d'histoires illustrées et pause gourmande. Une modeste initiative, qui s'inscrit dans une plus large dynamique au Japon : celle de bibliothèques qui cherchent à créer du lien social, au-delà de leur fonction traditionnelle. Permettre aux enfants de s'installer, de goûter, de feuilleter un album dans un espace normalement très codifié crée une forme de respiration, presque une petite parenthèse dans le quotidien urbain. Dérapage très, très contrôlé Cette dérogation aux consignes habituelles restera une parenthèse bien encadrée, reconnaît la direction, puisque servant une action solidaire. « Ce jour-là seulement, vous pourrez manger et boire dans la cour, les sièges de lecture et la salle de documentation », insiste la description de l'événement. Et l'exception souligne — paradoxalement — la rigueur habituelle. Elle rappelle aussi que les bibliothèques japonaises gèrent une tension constante : nouvelles attentes sociales d'un côté, impératifs de préservation de l'autre. Les institutions naviguent entre ces deux pôles, souvent avec prudence. Ici, la prudence n'a pas disparu, mais elle s'est teintée d'un geste d'ouverture. Cette expérimentation dit quelque chose de l'évolution des établissements nippones, qui s s'autorisent ponctuellement à réinventer leur image, à accueillir différemment, élargir les cadres. Les responsables, eux, y voient un moyen de toucher des enfants qui ne fréquentent pas toujours spontanément ces lieux. On ignore encore si l'expérience sera renouvelée. Mais cette journée, discrète et sans effet d'annonce, montre une institution capable de se plier à de nouveaux usages, sans renier sa fonction première. Un équilibre fragile, mais précieux.